Les Années folles de l’ethnographie
lundi 23 novembre 2020 par Meleze

©e-litterature.net


Ethnologie
Les Années folles de l’ethnographie Trocadero 28-37
Éditions du Muséum 2 017

C‘est un gros livre de 1 000 pages, un peu redondant dans ses 200 premières pages pour ceux qui auraient déjà lu l’histoire du Musée des arts et tradition populaires qui se trouvait autrefois dans le bois de Boulogne, dont Mme Lauriere, sous la direction de laquelle le Muséum a commandé cette collection de l’année 1928 à l’année 1937 était déjà l’autrice.

Ceci dit, ce livre, ne serait-ce que parce qu’il apporte un témoignage documenté sur deux questions d’actualité devenues brûlantes dans le combat que la France mène au Sahel aujourd’hui au 21°siècle, ce livre est une réussite :

La demande africaine et asiatique pour un retour des œuvres d’art injustement pillées

Est-ce que l’institut d’ethnologie a eu un poids dans le découpage de l’Afrique Occidentale en de fragiles nations qu’on voit plier aujourd’hui sous les coups de l’islamisme radical ?

On trouve une carte de toutes les missions effectuées pendant les dix années en référence. C’est riche d’enseignement pour notre diplomatie et aussi pour l’étude de l’influence de la France dans le monde. À cette époque nous avons pénétré des régions et écrit des opinions qui sont toujours à la pointe de la connaissance.

En matière d’indianisme (étude des Indiens d’Amérique du Nord) on notera l’article sur le Français Cozes promoteur du scoutisme, parce qu’il jette une lumière sur le scandale du scoutisme qui a éclaté aux USA.

Plusieurs pages reviennent aussi sur le travail ethnologique auprès de la population des Dogons. C’est très douloureux (p370). Ce peuple qui a été le plus étudié en ethnologie se trouve aujourd’hui confronté à un génocide car il est animiste en opposition avec les Peuls musulmans intransigeants avec lesquels ils sont en guerre.

Dans le cas de l’Algérie les Années folles de l’ethnographie reviennent sur l’exposition de 1934 sur le Sahara. On est en droit de se demander si la France a jamais quitté l’Algérie. Les colons ont été rapatriés, l’indépendance a été proclamée comme chacun le croit, mais l’armée contrôle toujours le Sahara puisque c’est à partir de l’Algérie que l’opération Barkhane pour le contrôle de Niger du Mali du Tchad est organisée face aux Islamistes. On lit sous la plume d’ Anne Loyau (p 759) : « le musée offrait à la cause coloniale sa modernité muséographique, sa notoriété scientifique et son rayonnement mondain. Raisons coloniales et scientifiques affichaient leur coopération et leur convergence d’intérêt - elles semblaient ainsi se justifier mutuellement. S’il le fallait encore, preuve scientifique était faite que le Sahara n’était pas que du sable à gratter. »

Ces « Années folles », folles en fait de l’enthousiasme d’une jeune génération, sont une synthèse très agréable. Dans ces années-là 1927-1937 Marcel Mauss est le passeur entre la sociologie française de son oncle Émile Durkheim et l’ethnologie qu’il enseigne à l’institut du même nom crée en 1924 pour la formation de l’administration coloniale. Dans ces années-là il est au maximum de son activité intellectuelle. La présentation qui en est faite par Hirsch est très bien réussie. Existait-il chez Mauss la prémisse qu’un peuple soumis à l’étude tel que les Dogons pouvait être sujet d’un génocide comme lui-même Français d’origine juive aurait bien pu être poursuivi par la Gestapo ou la milice ? Nous ne le pensons pas. Mauss n’a pas participé ni anticipé des frontières coloniales qui ont ainsi groupé des peuples qui maintenant s’entre-déchirent.

La présentation de ce livre ne serait pas complète, si on ne mentionnait pas l’article final dans les études ethnographiques. Le premier à y avoir pensé est M.Leroi-Gourhan. Puis il a été suivi par le cinéaste devenu célèbre Jean Rouch. C’est un des domaines dans lequel la France a gardé le plus d’avance avec l’organisation chaque année du festival Jean Rouch à la fin du mois de novembre. Les éditions du Muséum montrent que les photos ont été particulièrement utilisées par l’école française d’Extrême-Orient, et aussi par le docteur Vellard qui accompagnait C.Lévy-Strauss dans ses missions au Brésil et qui fournit ainsi une contre-expertise.

Conclusion
Les Années folles de l’ethnographie s’arrêtent très opportunément en 1937 années ou Rivet et Rivière se séparent ce dernier devant prendre la direction du musée des arts et traditions populaires. C’est un peu hypocrite de la part de tous les contributeurs, de laisser le lecteur dans l’ignorance du fait que face à la montée du nazisme les deux hommes vont prendre des directions opposées. Riviere va se compromettre dans la collaboration avec le régime de Pétain tandis que Rivet sera un des héros de la Résistance ayant abrité dans ses murs le réseau héroïque qui porte justement ce nom de « Résistance ». Une très belle lettre de Violette Héritier spécialiste de la Guyane et déportée à Ravensbrück est citée à ce sujet (p 610)
On retrouvera aussi une en conclusion de ces Années folles, une autre interrogation du même genre dans la carrière de Jacques Soustelle (p. 625). Sous-directeur au Musée de l’Homme en 1939, il va rejoindre le Général de Gaulle à Londres mais s’opposera violemment à lui au sujet de l’indépendance de l’Algérie. Étant donné qu’il est rare de lire le nom de cet anthropologue dans un ouvrage français on peut presque parler d’un retour en cour au milieu de ceux qui ont fait la France.

Meleze
23 novembre 2020


Copyright e-litterature.net
toute reproduction ne peut se faire sans l'autorisation de l'auteur de la Note ET lien avec Exigence: Littérature