Le Portrait d’un homme (Ahmed BEN SALAH) brossé Par les textes
samedi 15 mai 2021 par Abdelaziz Ben Arfa

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(Texte écrit en réaction à l’ouvrage que vient de publier Chokhri Mabkout( l’ex- doyen et l’ex- recteur de l’université des lettres et des arts de la Manouba, à Tunis)

Par : Abdelaziz BEN ARFA

Cher ami, Professeur, Chokri Mabkout
Votre point de vue est discutable, et je n’irai pas jusqu’à dire qu’il est réfutable, mais sujet aux réflexions :
La gauche tunisienne était productive sur le plan artistique : cinéma, théâtre, critique littéraire, musique etc. Certes. Mais, elle était très défaillante sur le plan politique : sur ce plan, Ahmed BEN SALAH était plus lumineux que la gauche gauchisante : il faut lire ce que disent de lui : Tawfik Baccar, Chedhli Al-Klibi dans son livre’’ Radioscopie d’un règne ", et l’ancien chef de cabinet de BEN Salah, Tahar Bel Kouja, dans son livre "Les Trois décennies", Hédi Al-Baccouch , dans son livre. Et le volumineux ouvrage écrit par l’ancien médecin 😊 le Toubib de Bourguiba. Et les anciens grands syndicalistes.
Ahmed BEN SALAH était le plus grand et le plus lumineux des hommes qu’avait donnés la Tunisie, il dépasse même par certains côtés Bourguiba. Il était très en avance sur son temps (d’après le témoignage d’un ancien syndicaliste venu témoigner, au lendemain de la révolution, (Tahar Bel-Kouja, chef de cabinet de Ben Salah témoignait : que Ben Salah n’accordait aucune écoute à la voix des commissions : il considérait que s’il fallait attendre que le peuple mûrisse pour assimiler le sens du socialisme, rien ne serait entrepris de sérieux et de concret (Cf. Tahar Bel Khouja- "Les Trois décennies").
Ben Salah était un homme d’État, lumineux, extrêmement intelligent et laborieux. Tous les ministres attestaient que Bourguiba admirait Ahmed Ben Salah tout en le craignant. La défunte Noura Boursalli avait consacré deux livres à Ahmed BEN Salah. Mohammed Mzali (Cf. Interviewé par Hachemi Al-Hamdi) avait déclaré que si l’on voulait comprendre l’histoire politique récente de la Tunisie, il fallait interviewer Ben Salah : il connaissait bien des choses. 😊 Il avait rédigé la constitution de 1956 ; il s’était opposé à la candidature de Bourguiba pour la présidence de la république en 1957 : il avait proposé qu’il soit le chef du parlement. Une nuit, il la passait en compagnie de Bourguiba et une autre en compagnie de Salah Ben Youssef pour concilier les deux points de vue opposés Etc.). Chedli Klibi dans son livre "Radioscopie d’un règne"( chez Déméter, 2018) établissait une comparaison entre Ben Salah et Bourguiba d’un côté ; et entre Ben Youssef et Bourguiba d’un autre côté :( cet auteur était ministre et était déjà agrégé d’arabe en 1950), Il disait que Salah Ben Youssef se caractérisait par deux qualités essentielles : un sang-froid (que ne possédait pas Bourguba) et une capacité d’organisation soigneuse (que ne possédait pas Bourguiba) : c’était lui qui avait organisé et implanté les cellules destouriennes durant la période qu’avait passé Bourguiba en Égypte. Bourguiba avait le sens développé de l’improvisation discursive, pendant des heures sans se référer à un document écrit, en haranguant la foule du haut de sa tribune. Mais, Bourguiba n’avait jamais pris le risque de participer à une manifestation. Il se contentait de donner des ordres et des directives (à Ali Bellahouane- professeur de philosophie- témoignait le professeur Taoufik Baccar, qu’il allait souvent passer des heures entières à s’entretenir avec lui dans sa maison sise, au quatrième étage en haut du monoprix de la Fayette). Il avait aussi le courage de prendre la décision à temps, sans tarder : lorsque Ben Saleh était dépêché auprès de Ben Youssef, pour le convaincre de se rendre à l’évidence : pendant cette séance, l’objet du différent était réglé, et Ben Youssef avait accepté ce que venait lui proposer Ben Salah en tant que chef de la centrale syndicale, mais Bourguiba, toujours, selon Ben Salah, avait vite pris la décision de congédier Ben Youssef du parti. Et, le climat s’était envenimé. Par ailleurs, Bourguiba avait raté une précieuse occasion pour la Tunisie : le président Boumédienne était venu le rencontrer dans une ville près du Kef, lui proposant l’union de l’Algérie et de La Tunisie ; or le leader tunisien avait refusé (ce fait est rapporté par Tahar Bel kouja, l’ex-chef de cabinet de Ben Salah, dans son livre : "Les Trois décennies". Mais, lorsque Khadafi avait conclu l’accord en vertu duquel La Lybie et la Tunisie deviendraient un seul État, Bourguiba avait voulu que l’Algérie s’y joigne, aussi avait-il dépêché Belkouja pour accomplir cette mission, mais Boumédienne avait opposé un refus catégorique : parce qu’il n’était pas consulté et qu’il n’était pas partie prenante dans cet accord (Cf. Tahar Belkouja - dans son livre -"Les trois Décennies").
Je trouve que la comparaison qu’établit CHedly Klibi entre Bourguiba et Ahmed BEN SAlah (dans son livre : "Radioscopie d’un règne’’) est très instructive, ainsi qu’entre Bourguiba et Ben Youssef : surtout qu’en 1950, Klibi était déjà agrégé d’arabe. Selon Hédi Baccouch, BEN Salah dépassait même Ahmed Al-Mistiri : car il était très expérimenté : il avait exercé beaucoup de responsabilités (syndicales et ministérielles) : à la mort de Farhat Hached, il fut élu à l’unanimité sur la centrale syndicale avec l’appui de Habib Achour qui aimait beaucoup BEN Salah. Hédi Baccouch témoignait qu’à la veille de l’indépendance, Bourguiba n’avait pas trouvé une personne de la compétence de Ben Salah. Chédly Al-Klibi témoignait que Hédi Nouira refusait toujours de critiquer la politique de Ben Salah : il disait que plusieurs institutions avaient été créées par BEN Salah. Et que lui n’avait fait que consolider ce qui était déjà fait.
Pourquoi la politique socialiste de Ben salah avait-elle, alors, échoué ?
- La première réponse est fournie par Chedly Al-Klibi : la cause en étaient les trois dures années de sécheresse. C’est pourquoi Hédi Nouri avait dit :"La pluie a opté pour moi".
- Deuxième réponse apportée par Chedly, le médecin de Bourguiba :
Wassila complotait constamment contre Ben Saleh : elle lui vouait une haine atroce. Elle incitait Bourguiba pour que lui soit appliquée la peine capitale.
- Selon Hédi Baccouch, si Ben Salah était resté trois mois de plus au gouvernement, Bourguiba aurait été complètement évincé du pouvoir.
- Tahar Bel Kouja, qui était l’ennemi juré de Ben Salah et qui était son chef de Cabinet (avant de devenir ministre de l’intérieur) citait les grands théoriciens communistes qui avaient influencé la doctrine de Ben Salah. Il citait des fragments de la très longue lettre qu’avait envoyée Ben Salah à Bourguiba : il le taxait de Dictateur (c’est pour la première fois, d’après Belkouja, qu’une personne ose taxer Bourguiba de dictateur : qu’il était en train de mener la Tunisie non pas vers son salut mais son désastre) - Bourguiba disait que Ben Salah l’avait Trahi : il avait constaté qu’il était malade ( suite à l’infarctus qu’il avait subi), et qu’il gardait tout le temps le lit (suite à cet infarctus) : "Il ne lui restait pour BEN SALAH que douze kilomètres pour prendre le pouvoir et atteindre Carthage"(l’on pourrait en déduire que Bourguiba répétait les propos que lui tenait Wassila sur Ben Salah. Or, Ben Salah dans sa lettre envoyée à Bourguiba lui disait ceci : "Vous dites que je vous ai trahi ! Mais qui a trahi l’autre ? C’est bien vous qui m’avez trahi. Ahmed Ben Salah avait rencontré Habib Acohour à Milan, en Italie : ils avaient pris un repas ensemble dans un restaurant (propos tenus par Ben Salah). Lors de cet entretien, Ben Salah avait reproché à Achour d’avoir soutenu la politique erronée de Bourguiba. Et Achour justifiait son attitude par la pression qui s’exerçait sur lui avait (=propos tenus par Ben Salah lors de la rencontre organisée avec lui à l’espace Al-Hmra par l’initiative de la défunte Noura Bousalli : lors de cette rencontre, beaucoup de juges, d’ avocats, d’intellectuels, de professeurs universitaires, journalistes, hommes et femmes étaient venus nombreux pour entendre pendant plusieurs heures le témoignage d’ Ahmed Ben Salah, ce grand homme d’État, y compris Sarsar, le professeur, docteur agrégé en droit constitutionnel ; moi-même, j’y étais présent.
-Et même lorsque Ben Salah fut mis en prison, Bourguiba ne cessa de dire : "Méfiez-vous surtout des jeunes. Ben Salah a beaucoup de partisans qui soutiennent sa politique. Ben Salah était l’ami de Gaston Bachelard. Il allait chez lui comme un grand ami. Il était le grand ami de Lakdhar Al-Ibrihimi, l’Algérien (grand homme de politique internationale, l’émissaire international (par exemple dans la guerre syrienne). Il avait informé Ben Salah qu’il n’avait qu’à atteindre les frontières (entre la Tunisie et l’Algérie) et qu’il se chargerait de lui. Ben Salah ne passait pas la nuit dans la prison mais bel bien chez lui dans sa maison. Et quand il s’évada, l’information fut communiquée tardivement par la radio d’un pays étranger : (j’avais pris connaissance de ces informations que j’ai puisées dans le livre de Tahar Bel Khouja qui disait qu’il était le chef de cabinet de cet Homme d’État et dans le livre de Chedly Al Klibi qui précisait que Ben Salah était le ministre de tout. (Cf. "Radioscopie d’un règne", chez Déméter, Tunis, 2018). Chedly Al-Klibi pensait que Bourguiba avait démoli la carrière d’un éminent politicien : Ben Salah avait quitté le pouvoir à l’âge de 45 ans. Il avait déjà été ministre alors qu’il n’avait pas encore atteint l’âge de 30 ans. Au lendemain de la révolution, Béji Kaid Essebssi reconnaissait que Ben Salah avait beaucoup souffert. Et, après sa déposition par Ben Ali, Bourguiba regrettait d’avoir condamné injustement Ben Salah. Et il avait même demandé à son médecin d’intervenir auprès de sa femme Wassila pour que celle-ci revienne au foyer conjugal, mais, celle-ci avait refusé. (Cf. le volumineux livre écrit sur Bourguiba, par son toubib, Chedly .
J’adhère totalement à la thèse de Taoufik Baccar qui reprochait à la gauche tunisienne de n’avoir pas soutenu la politique socialiste de Ben Salah. D’après Tahar bel-Kouja, personne avant Ben Salah n’avait qualifié Bourguiba de dictateur : il cite la lettre adressée par Ben Salah à Bourguiba. La première personne qui avait soutenu Ben Salah et avait tenu tête à Bourguiba : c’était Radhia Haddad. Car, même, lorsque le frère de Ben Salah avait contacté Ahmed Mistiri pour défendre la cause de Ben Salah, il avait refusé par peur.
Avant la mort de Ben Salah, les journalistes lui avaient demandé s’il était prêt à pardonner à Bourguiba tout le malheur qu’il lui avait causé, et celui-ci avait fait montre d’une grande noblesse d’âme.
Pourtant, le lendemain de la révolution, sur les antennes de la radio tunisienne, à l’occasion de la commémoration de la fête de l’indépendance (le 20 mars), la journaliste avait interviewé l’ancien ministre et propriétaire de la Bank BIAT, sur ce que sa mémoire retenait de cet auguste événement : il avait répondu qu’il en gardait un mauvais souvenir : Ahmed BEN SALAH avait proposé à Bourguiba de retrancher une partie des biens accumulés par des capitalistes et de les offrir aux démunis et aux nécessiteux. Imaginez, Madame, une personne qui a trimé et qui a peiné durement, pendant de longues années, pour acquérir ce bien, il l’offre aux paresseux et aux feignants !
Il est vrai aussi que la gauche ne possédait pas de grands théoriciens : elle se contentait de lire ces insipides textes de Marx : le Manifeste, l’idéologie allemande, les thèses de Feuerbach, misère de la philosophie etc, de la contradiction de Mao, les livres de Nicos Poulantzas, de Abdellah Laroui, de Gramachi et Régis de Bray (à son époque cheguevariste). Or, Régis Debray n’était devenu un penseur qu’à partir de son livre :"Le Scribe", Loytard n’était devenu ce qu’il était qu’à partir de "Discours / Figures", Althusser à partir de son livre :"Lire le capital", Alain Badiau à partir de "Conditions" (le soustractif).
Sartre, dans son livre "Critique de la raison dialectique" lançait un défi aux intellectuels de gauche qui n’étaient pas capables de lire" L’Être et le Temps", de Heidegger (seul Georges Lucas en aurait été capable.).
Et que dire de la gauche tunisienne ?
La gauche tunisienne était très en retard : elle était dogmatique. Elle confondait "croire et penser" : elle rejoignait, par bien des comportements, le dogmatisme des religieux. Elle était même en ignorance totale du grand tournant opéré par les sciences linguistiques. La gauche française avait du moins le mérite de lutter contre le fascisme, de fonder des universités populaires telles Vincennes et Nanterre etc., et des maisons qui publiaient des livres, telles les éditions sociales et les éditions Maspéro, avec de grands cinéastes tel que Jean-Luc Godard.
La gauche tunisienne n’a que le nom. La prose des écrivains de gauche est insipide et fade. Rien de lumineux, rien de créatif.
Il y a beaucoup de choses à dire là-dessus : aussi je me contenterai de ce peu.
Mais, ce que je soutiens ici n’est qu’un humble avis. Il n’a de sens que s’il est discutable et réfutable : car, je voudrais que le dernier mot soit à vous, Maître.
Merci.
Abdelaziz BEN ARFA -


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