D’un château l’autre - L-F Céline
mardi 23 août 2011 par penvins

©e-litterature.net


De Céline, on ne retient généralement que le Voyage et Mort à crédit, on passe rapidement sur les pamphlets dont on s'est vite fait une opinion, souvent sans les lire et l`on considère D'un château l'autre comme bien moins intéressant que les deux premiers romans et pourtant c'est peut-être celui-ci le plus captivant

 

De Céline, on ne retient généralement que le Voyage et Mort à crédit, on passe rapidement sur les pamphlets dont on s'est vite fait une opinion, souvent sans les lire et l`on considère D'un château l'autre comme bien moins intéressant que les deux premiers romans et pourtant c'est peut-être celui-ci le plus captivant. Céline est pressé par son éditeur, il n'a sans doute plus la même envie d'écrire qu'autrefois - en tous cas d'être lu par le plus grand nombre, et pourtant il le faut - mais il est en pleine possession de ses moyens littéraires et il s'en sert pour séduire un public que Normance n'avait pas convaincu et dire et répéter ce qu'il a toujours dit, notamment depuis Mea Culpa et Bagatelles, ce discours violemment antisémite  dont  les camps d’extermination nazis ont réalisé les pires fantasmes, crimes  dont les Français auraient tant voulu le rendre lui, Céline, responsable.

Il en joue, D’un château l’autre sera à la fois un plaidoyer pro domo bien sûr, mais aussi une manière de s’offrir en victime expiatoire, une victime dont la France en 1957 a terriblement besoin.

On peut bien sûr s'interroger sur cette revendication du rôle de victime !

Ce roman est passionnant à la fois parce que Céline y retrace son parcours depuis la fin de la guerre notamment au Danemark mais aussi parce qu'il y décrit les derniers jours de Vichy.

Cela commence par une longue diatribe contre son éditeur Gallimard, et c’est encore une manière de se plaindre des marchands, de ceux qui ne sont pas raffinés comme il disait dans Bagatelles. Céline ne traite pas Gaston de juif mais on peut se demander dans quelle catégorie il range Paulhan qu’il appelle Loukoum et qu’il décrit avec des traits qui font penser aux portaits caricaturaux du juif, Loukoum pleurard !... son Loukoum! avec! ... son châtreur maison! goulu, le monstre! bouche de limace, féroce à la merde, laisse rien! merde est dans un salon? soit! hop! il fonce, visque   Achille alias Gaston Gallimard  fait, quant à lui, partie de ceux qui profitent du travail des esclaves au rang desquels Céline se place.

C'est l'obsession de Céline, il y a les raffinés et les autres, ceux que seul le profit intéresse et qui sont en train de détruire la féerie pour construire un monde sans rêve, exclusivement matérialiste où la culture n'est plus qu'abrutissement pour asservir "les cons" à qui on a promis le bonheur matérialiste et qui y croient.

Sa découverte de l'URSS a été un choc qui l'a conforté dans un antisémitisme probablement hérité de son père et de l'affaire Dreyfus qui avait vu la moitié de la France prendre partie contre le capitaine pour la seule raison qu'il était juif.  En revenant de Moscou  il se met en colère contre le matérialisme soviétique dont il a perçu tout de suite le caractère tyrannique et considère que les juifs sont les vrais maîtres du Kremlin, sans doute parce qu'il s'est rendu compte que depuis 14 le monde est en train de basculer et que celui dans lequel il avait vécu s'effondre sous ses pieds. 

La supériorité pratique des grandes religions chrétiennes, c' est qu' elles doraient pas la pilule. Elles essayaient pas d'étourdir, elles cherchaient pas l'électeur, elles sentaient pas le besoin de plaire, elles tortillaient pas du panier. Elles saisissaient l'Homme au berceau et lui cassaient le morceau d'autor. Elles le rencardaient sans ambages : " Toi petit putricule informe, tu seras jamais qu'une ordure...(Mea Culpa)

De ce point de vue Céline a tout à fait raison le vingtième siècle apparaît comme le siècle où les religions qui ne promettaient pas le bonheur dans ce monde mais dans l'autre, un monde hors du temps, ont fait faillite; désormais plus personne ne croit aux contes de fées dans lesquels la Vierge-mère monte au ciel rejoindre le Fils, le pouvoir passe aux mains des matérialistes qu'ils soient soviétiques ou capitalistes''. Sans doute Céline aurait-il dû se demander pourquoi l'illusoire féérie des goys - il écrit goymes  - ne tient plus la route, pourquoi ceux qui ont tué le Père - les révolutionnaires régicides - ont instauré une société adulte quand d'autres se sont réfugiés dans l'enfance et la rêverie; mais peut-être aussi lui a-t-on volé son enfance à Louis-Ferdinand, il y a dans Bagatelles cette phrase étonnante :

Monsieur Gide en était encore à se demander tout éperdu de réticences, de sinueux scrupules, de fragilités syntaxiques, s'il fallait ou ne fallait pas enculer le petit Bédouin. que déjà depuis belle lurette le " Voyage " avait fait des siennes... J'ai pas attendu mes 80 ans pour la découvrir l'inégalité sociale. A 14 ans, j'étais fixé une bonne fois pour toutes. J'avais dégusté la chose... J'avais pas besoin de savoir lire. (Bagatelles)
à mettre en écho avec la thèse de Jean-Paul Mugnier

Cette introduction où Céline se met en scène en tant que victime n’est bien sûr pas anodine, elle est à la fois un moyen de faire oublier qu’il a fréquenté les bourreaux mais aussi le signe d’une personnalité qui refuse de s’assumer, qui a même tendance à se dévaloriser.

Autre aspect de la diatribe de Céline contre Achille, la revendication de la juste rémunération de son travail. Céline est tourmenté par l’argent, non pas de manière avide, il attribue bien au contraire tous les maux de son époque à l’avidité des juifs, mais par peur de manquer, une peur qui lui vient de son enfance, de sa mère dit-il, il précise : je suis d'avant 14, entendu... j'ai l'horreur de la folle dépense... Céline est non seulement une victime que l’on accuse d’avoir vendu à l’Allemagne les plans de la ligne Maginot, (sic) mais il est aussi injustement spolié des fruits de son travail auxquels il tient tant, non seulement parce que cela lui est dû, mais parce qu’il a peur de l’avenir et pour lui-même et pour sa veuve quand il viendra à disparaître. Il insiste sur son désintérêt pour l’argent, répète qu’il lui arrive de soigner gratuitement dans le même temps qu’il se dit volé par son éditeur, manière de se distinguer de ceux qu’il dénonce tout en réclamant cet argent auquel il tient énormément.

Installé sur les hauteurs de Meudon Bellevue, Céline aperçoit tout en bas la Seine et l'usine de l'île Seguin dont le patron Louis Renault fait figure de martyr de l'Epuration alors que lui, Céline se plaint d'avoir été oublié. Dans une crise de paludisme, autre manière pour Louis-Ferdinand de se poser en martyr, il aperçoit un bateau-mouche sur lequel ont embarqués de nombreux fantômes ainsi que l’acteur Le Vigan auquel Céline rend hommage pour l’avoir défendu lors de son procès. Ce qui pourrait apparaître comme une longue digression est tout au contraire une introduction au sujet du roman le château de Siegmaringen, Céline fait ici un retour sur les années d’Epuration, qu’il appelle d’inquisition et dit sa haine pour tous ceux qui l’ont chargé.

On ne peut pas juger Céline, on ne peut juger que ses idées qui furent criminelles sinon dans leur intention tout au moins dans les faits mais on peut essayer de comprendre à travers la manière dont il tente de se défendre ce qui est en jeu derrière son discours. Il a eu certes le grand tort comme beaucoup d’autres à cette époque d’assimiler le grand capital à tout un peuple, or bien sûr il y a des juifs pauvres et des juifs petits bourgeois et s’il y a aussi des juifs milliardaires, c’est sans doute parce que leurs ancêtres durent assumer le rôle d'usurier que les catholiques considéraient comme dégradant, et plus encore parce que de tous temps pour les français catholiques l'argent a été sale. C’est cette idéologie de rejet de l’argent et du bonheur matériel qui anime Céline avec les conséquences effroyables que cela a pour ceux qui ne pensent pas comme lui.

Ce qui rend ce roman intéressant du point de vue littéraire c’est tout ce que Céline arrive à dire de ses convictions les plus intimes et les moins politiquement correctes sans doute pas sans choquer ses lecteurs mais en parvenant malgré tout à les conduire jusqu’au bout de son récit,  le style de Céline c’est ça, aller au plus profond de l’humain, dire ce que la langue n’ose plus dire – et particulièrement la langue officielle – et qui  pourtant est là. Si Céline bouscule tant la langue, c’est pour dépasser le discours convenu celui qui permet de tout accepter y compris que l’on tue des millions de soldats sur les champs de bataille et que l’on embrigade des peuples entiers dans des systèmes totalement fous comme celui qu’il a rencontré à Moscou.

C’est aussi pour montrer l’aveuglement des vaincus, parce que si Céline est un enfant ivre de fééries il n’en demeure pas moins attaché au principe de réalité quand il s’agit de défendre sa peau. Comme il le dit lui-même le moral a toujours tenu !  Et quand il décrit Siegmaringen c'est avec un humour féroce regardant défiler tout ce petit monde en face de sa chambre dans des chiottes qui dégorgent tant il y a de merde et enfermant les fous dans la "chambre 36" -  celle du Front Populaire ?!! - toujours est-il la chambre 36 c’était Aïcha qu’était chargée d’accueillir,  ouvrir,  boucler… ce qui se passait ?… je pouvais pas demander à Raumnitz… il paraît que la nuit, des ragots, y avait des départs… il paraît qu’un camion passait certaines nuits… moi, je l’ai jamais vu ce camion !… manière insidieuse de dire l’indicible, en 1944 l’horreur des camps de concentration n’avait pas encore été découverte, moi Céline j’avais peut-être entendu parler mais je ne savais pas.

Alors que Normance avait été un échec commercial, D’un château l’autre aura un certain succès, Céline aura réussi à entrainer ses lecteurs dans les arcanes de la Collaboration, à faire entendre sa petite musique tellement différente des discours officiels et tellement plus proche de la réalité : Je veux remémorer !… je veux qu’on me laisse !… voilà ! tous les souvenirs !… les circonstances ! tout ce que je demande ! je vis encore plus de haine que de nouilles !… mais la juste haine : pas « l’a peu près » !… et de la reconnaissance ! pardon !…j’en déborde ! Nordling qu’a sauvé Paris a bien voulu me tirer du gniouf… que l’Histoire prenne note !…


Copyright e-litterature.net
toute reproduction ne peut se faire sans l'autorisation de l'auteur de la Note ET lien avec Exigence: Littérature