Japanese Dream - Hatje Cantz
jeudi 7 juin 2012 par Jean-Paul Gavard-Perret

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BEATO : L’EXOTISME ET APRES
Japanese Dream, Hatje Cantz, Berlin.

Vénitien naturalisé anglais, Felice Beato (1832—1909) fut non seulement l’un des premiers reporters de guerre mais le premier à photographier de vrais cadavres. Ce fut à l’époque un choc autant dans les mentalités, que dans la profession. Cette prise de vue provoqua des réflexions théoriques où se mêlèrent esthétique et morale sans que la question soit tranchée. Elle demeure ouverte – plus ou moins d’ailleurs.. On se plaît à exposer certains cadavres (Syrie, Libye) tandis que d’autres demeurent cachés (auto défenestrés des tours jumelles de Manhattan du 11 septembre).

Avec James Roberston son mentor et associé Beato couvrit plusieurs guerres dont celle de Crimée. Mais en 1860 il abandonne cette collaboration et part pour le Soudan et la Chine dont il est considéré comme – historiquement - le premier photographe. Poursuivant ses traversées il fonde avec le dessinateur Charles Wirgman en 1863 à Yokohama son studio le « Beato & Wirgman, Artists and Photographers ». Là encore il fut l’un des premiers Occidentaux à capter sur le support la vie japonaise. Et ça à une époque clé : la société japonaise est encore féodale malgré l’ouverture à l’Occident. Felice Beato a accumulé un nombre impressionnant de photographies et invente ce qu’on appela le « Yokohama Shashin » (photographies touristiques du Japon).

L’incendie de Yokohama détruit son studio mais il reconstitue un fonds dans lequel il privilégie portraits, paysages et vues urbaines. Dès 1868 il publie ses deux volumes « Views of Japan » où se mêlent paysages japonais, portraits des habitants et scènes de la vie quotidienne. À partir de 1872, le photographe abandonne son art (qu’il ne prenait pas pour tel) au profit de la spéculation financière et commerciale. Mais après vingt ans d’exil japonais il reviendra à la photographie de guerre en parcourant à nouveau le monde.

Il n’en demeure pas moins que près d’un siècle et demi après ses premières photos, Beato demeure paradoxalement beaucoup plus intéressant par ses photos japonaises que captivant par ses clichés de guerre. Il est vrai que sur ce plan, on a fait sur ce thème beaucoup « mieux » (…). À l’inverse ce qui pouvait être considéré à l’époque comme exotique trouve désormais non seulement un charme mais une puissance qui n’ont rien de surannés.

Beato (qui n’est pas italien pour rien) a su créer un langage hérité des classiques florentins et le transposer dans ses prises. Ses portraits de Geishas, du Samouraï , de lutteurs de Sumo sont d’une composition parfaite. Ils seront à la base de ce qu’on appela le style de la « Yokohama School ». Mais Beato surpasse de loin les autres membres et amis de cette école : Charles Wirgman, Raimund Freiherr Stillfried von Rathenitz, et Adolfo Farsari.

Ses photographies de fait s’éloignent autant de l’exotisme que de l’anthropologie. Sans doute parce que Beato était « naturellement » un créateur pourvu d’un œil capable non seulement de voir mais de recomposer un cadrage parfait. Il influencera d’ailleurs les artistes japonais eux-mêmes : Hiroshige et Hokusai en peinture, Ozu au cinéma.

Ajoutons enfin que l’artiste et son studio furent les pionniers dans la technique des photographies coloriées à la main. Mais là encore Beato fut bien plus qu’un simple « colorieur » : il sut se faire coloriste. Et si longtemps il influença de manière discutable - par le rôle qu’on fit jouer à son insu à ses clichés - la vision occidentale sur le monde nippon, à l’heure de la mondialisation on comprend désormais le rôle réel et la valeur esthétique d’une œuvre d’exception.


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