Moi, ma vie, son oeuvre - François Blistène
vendredi 20 juillet 2012 par penvins

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Tout écrivain parle de lui dans son œuvre et prétend que ce n’est pas lui ou pas tout à fait lui. Ce roman bien sûr n’échappe pas à la règle, en dépit de ce qu’il prétend. Ne vous obstinez pas à croire tous mes racontars souligne le héros de François Blistène comme s’il n’était pas concevable que François Blistène, avocat au barreau de Paris, dévoile ses petits secrets et ceux de sa famille. Donc quelle est la part du réel, quelle est celle de l’imaginaire, à vous de vous débrouiller puisque vous êtes un intelligent, c’est lui qui le dit ! François Blistène a tellement mis de soin à se dédoubler, à séparer son activité d’avocat de celle d’écrivain que l’on finirait presque par penser qu’il n’a écrit qu’une sorte de roman policier pour passer le temps. Cependant il n’est pas interdit de lire avec malice, en détournant la phrase de son sens prétendu, ce que dit Thomas S., le héros du roman : on peut être un immense artiste et ne pas parler de son travail !

Le propos même du roman ainsi que le souligne l’éditeur c’est de se moquer « de la notion d’œuvre et de la vacuité de toute biographie », tiens donc ! il s’agirait de dire que l’auteur n’est pour rien dans ce qu’il écrit, de même que Thomas S. n’est pour rien dans les tableaux qu’il s’est attribués. Magistrale façon de dissocier œuvre et auteur et de ne pas mettre en danger sa carrière d’avocat ! Pourquoi donc faudrait-il que l’écriture soit une activité où l’auteur ne s’impliquerait pas vraiment ? Le style de l’auteur, léger, humoristique est là pour renforcer le discours, ce que je vous dis, je vous le dis pour m’amuser, au fond je n’y tiens pas plus que cela. Ah bon monsieur Blistène, vous y tenez si peu, et vous avez pris la peine d’écrire presque 300 pages pour nous convaincre qu’une œuvre pouvait parfaitement être adoptée par un faussaire sans que personne n’y voit à redire, qu’au fond peu importe le peintre, la peinture a une valeur intrinsèque et l’artiste n’est là que parce qu’il en faut un. Mais je ne vous crois pas monsieur Blistène, cet ouvrage est un roman et si la supercherie finit, tout de même par être découverte, je me suis demandé tout au long de ma lecture comment une telle bévue de la part d’un public de connaisseurs était possible. Non, nous sommes bien dans une fiction, on marche, mais on n’est pas dupe, l’histoire n’est là que pour soutenir le propos, à la limite extrême de la vraisemblance.
D’ailleurs vous n’avez pas su cacher jusqu’au bout votre véritable ambition, votre héros finalement a réussi à devenir le peintre qu’il prétendait être.
Thomas tu y es arrivé ! lui murmure Kobler, son galeriste.
L’ambiguïté de l’artiste est là, manifeste, il s’agit bien de se dire et de ne pas se dire, garder en dernier ressort le secret comme Thomas garde le secret de son père :
J’aggravai ma sournoiserie :
Ce sera notre secret papa !

dira l’enfant qui a vu son père se rendre chez la « putain du bourg ».
Il garde aussi le secret de son patron qui restera enfoui à l’intérieur du roman,
Je devins le seul dépositaire de la part intime de cet homme à l’exubérance forcée, dont les secrets en eussent choqué plus d’un. Il ne regretta pas sa confession. Je n’exerçai aucun chantage à son encontre : j’aurais pu, car, en échange de mon silence, j’aurais tout obtenu, comme avec le père.  [1]
Vous êtes allé jusqu’au bout de votre logique autodéfensive, vous n’avez pratiquement rien avoué monsieur Blistène hormis bien sûr votre incapacité à dire. Sans doute votre œuvre finira-t-elle peu ou prou par vous révéler mais ce sera bien évidemment à l’insu de votre plein gré... et pour le plus grand plaisir de vos lecteurs.


[1c’est moi qui souligne


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