Memento- Christopher Nolan
lundi 27 août 2012 par Ange Philippe

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Leonard Shelby ne porte que des costumes de grands couturiers et ne se déplace qu’au volant de sa Jaguar. En revanche, il habite dans des motels miteux et règle ses notes avec d’épaisses liasses de billets.
Leonard n’a qu’une idée en tête : traquer l’homme qui a violé et assassiné sa femme afin de se venger. Sa recherche du meurtrier est rendue plus difficile par le fait qu’il souffre d’une forme rare et incurable d’amnésie. Bien qu’il puisse se souvenir de détails de son passé, il est incapable de savoir ce qu’il a fait dans le quart d’heure précédent, où il se trouve, où il va et pourquoi.

Laquelle de vos facultés peut être visuelle, absolue ou à court terme ? Je vous le donne en mille : la mémoire. De tout temps, Hollywood a toujours rêvé de faire un film sur la mémoire (Cf la mémoire dans la peau, The Eternal Sunshine of Spotless Mind, Mulholland Drive). Ce sont d’ailleurs d’excellents films dans leurs genres mais aucun d’entre eux n’a atteint le niveau du plaisir jouissif ressenti en visionnant le Memento de Nolan. C’est bien simple avec Nolan, l’impression laissée au spectateur à l’issue du film est de l’ordre de l’idée générale. Ainsi, l’on a l’impression d’avoir assisté à un tour de magie dans Le prestige et l’impression d’avoir rêvé après Inception. Avec Memento, l’impression sera celle d’un amnésique : « Où j’en étais ? » dixit Guy Pearce.

Basé sur un scénario bipolaire et symétrique, le film présente l’avant et l’après d’un point de rupture. Le point de rupture est le dénouement de ce film. Ainsi, la situation Avant la rupture, c’est le pôle en noir et blanc et la situation Après, c’est le pôle en couleurs. Pour reprendre une expression sportive (golf), on observe un back-spleen dans la situation Après. En l’occurrence le rétro-effet du scénario se passe de commentaire tant il est effectué à la perfection. La situation Avant, quant à elle, suit un scénario parfaitement linéaire. La maîtrise du temps et de l’espace afin de s’inscrire dans la continuité de l’idée générale du film est d’un génie sans égal : le réalisateur fait appel à notre mémoire procédurale. A ce propos, le réalisateur et le scénariste misent sur notre propension à ne pas oublier des gestes simples et des réflexions simples. Le spectateur ne peut omettre que Guy Pearce soit amnésique, ce qui permet de comprendre rapidement le film et de comprendre que la succession de scènes et de séquences n’ont aucune logique même si elles semblent clairement liées par une idée directrice et motrice : la recherche d’un assassin. Le scénario ne semble ainsi empiler les séquences les unes sur les autres sans que l’on comprenne toujours la motivation des autres personnages envers le personnage central, mais il apparaît distinctement que ce scénario suit un fil conducteur bien précis et bel et bien mémorisé. Sur ce point, l’architecture et la construction du modèle scénaristique achèvent de surprendre le spectateur.

Le point d’orgue de ce film réside en sa capacité de faire appel à une combinaison de la mémoire procédurale et de la mémoire à court terme du spectateur sur un fond de mémoire absolue afin de juger l’orientation que prend ce film : Guy Pearce se trompe de meurtrier ? Ses choix ne sont-ils pas douteux ? On obtient la cerise sur le gâteau lorsque Nolan a l’ingénieuse idée d’inscrire une histoire dans l’histoire avec le récit des déboires mémoriels de Sammy Jankis. Avec cette histoire qui semble inscrite dans la mémoire absolue du personnage principal pourtant amnésique, le réalisateur nous prépare en douceur vers le dénouement surprenant et empreint de réalisme. De plus, une indication visuelle est donnée par l’image subliminale parfaitement exécutée qui montre Guy Pearce dans la peau du personnage de Sammy Jankis durant une fraction de seconde.

Si ce film est une réelle ode aux scénarios architecturaux symétriques, ce film démontre aussi le talent de certains acteurs sous-estimés. Guy Pearce, charismatique à l’écran, assumant pleinement son personnage, n’a plus été aussi excellent depuis L A Confidential. Sa performance est juste en tout point et il est admirable de naïveté dans ses scènes d’amnésique. Joe Pantoliano déçoit rarement ; il n’a pas déçu ici. Comme dans bien de ses rôles, il a su se montrer crapuleux… même en tant que flic. Carrie-Anne Moss a apporté la petite touche féminine commune aux films de Nolan. La différence avec les autres films de Nolan, c’est qu’ici la touche féminine est à l’image de l’univers de l’intrigue : une canaille manipulatrice et qui ne manifeste aucune compassion face à la faiblesse d’un homme handicapé.

Je conclus en pensant à l’inspiration de Nolan qui choisit comme aide-mémoires un polaroïd et des tatouages. Si le polaroïd était un raccourci facile, les tatouages sont dignes du futé qu’est ce réalisateur britannique. N’en jetez plus, sur ce film, Nolan a conquis ses lettres de noblesse hollywoodiennes mais ce qui fait froid dans le dos, c’est de savoir qu’il s’agit de son premier film avec de vrais moyens hollywoodiens…


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