Mercredi entre deux peurs - Dana Shishmanian

Recueil de poèmes paru chez L’Harmattan dans la collection "Accent tonique" dirigée par Nicole Barrière

vendredi 31 août 2012 par Françoise Urban-Menninger

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La photographie de couverture en noir et blanc d’un chêne foudroyé prise par l’auteure donne d’emblée le ton à l’une des voix poétiques contemporaines les plus singulières dont le cri s’élève, au plus haut parmi les autres, pour dire, du plus profond de l’être, la déchirure qui le traverse.

Dans le poème La traversée, Dana Shishmanian nous confie que c’est la première fois qu’elle trouve le titre d’un poème à l’avance et d’évoquer
la traversée du tout par moi
la traversée de moi par tout
.
L’univers tout entier avance en moi,
nous dit l’auteure et c’est indéniablement dans cette cosmicité que nous sommes touchés car les mots de Dana Shishmanian nous traversent à leur tour.

Dès lors dans chacun des poèmes, nous sommes aspirés dans la spirale de cet oeil vertigineux ou ce tunnel intérieur où les mots se font chair et inversement, où la chair s’incarne dans le poème.

Dans Mercredi entre deux peurs qui donne son titre au recueil, Dana Shishmanian déclare la peur protège de la vraie peur et avoue
tenir au bout de mon souffle
ce corps de signes qui me remplace
.
Et l’auteure de se tenir tout entière dans le poème qui la fait tenir.

Car dit-elle :
arrêterai-je arrêterai-je pas
c’est ma vie ma mort ma mie
je mange et je pleure je mange je crie
j’écris
.
Sous forme de ritournelle et presque de jeu, Dana Shishmanian joue avec les mots, frôle la mort, la nargue, compose des textes qui s’amenuisent tels des sabliers renversés. Il faut dire que l’auteure a une soeur jumelle qui n’est autre que sa mort ! Dans A cache-cache, elle nous le confirme
la soeur
jumelle que j’ai toujours souhaité avoir
dont j’ai rêvé qui me hante
oui c’est ma mort
.
Et le poète de pratiquer avec talent l’art de l ’autodérision, d’inviter cet humour que l’on qualifie de politesse du désespoir, de jongler avec les mots telle une funambule sur son fil de lumière...

Dana Shishmanian nous délivre un message dès la première page en nous soufflant à l’oreille
j’ai un ressort secret
situé quelque part entre mon corps subtil
et mon coeur
il suffit que je glisse mon souffle dans la serrure
et le verrou se délie
Reste l’angoisse devant le sourire de ma mère
m’abandonnant au coin de la rue...

Ce ressort secret ouvre la porte d’une incommensurable douleur, c’est une brèche dans l’être, une trouée dans l’indicible. C’est un vide qui devient la demeure même du poète.

Dans Une jeunesse perdue, l’auteure écrit : j’étais plongée comme un seau dans l’infini. Cette douleur, cet écartèlement de l’être dans l’être donne naissance à des images dont la violence n’a d’égale que la magnificence :
comme en m’empalant sur une aiguille fine
moi papillon au thorax virtuel
...

Dana Shishmanian manie une écriture à fleur de peau, le sang affleure et irrigue chacun de ses poèmes, le coeur palpite, l’âme transparaît dans toute sa luminescence car l’auteur veille et nous le dit et se le dit :
tu guettes des balbutiements d’ailes
de papillons
.

Et de clore son recueil à nul autre pareil avec cette lucidité qui ne cesse de la traverser : Oui le vrai contenu est toujours absent mais d’ajouter, telle une ultime pirouette, et pourtant...

Et c’est dans ce pourtant que tout le travail d’écriture se voit justifié, car comment tenir autrement que par le poème qui ne cesse de mettre l’auteure au monde ?

Françoise Urban-Menninger


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