Le geste du silence - Serge Saunière
lundi 17 décembre 2012 par Jean-Paul Gavard-Perret

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NOIRE SŒUR
SERGE SAUNIERE, L’ENCRE ET LE SILENCE

"See the world never seen, never known" (vieux chant cajun)

Serge Saunière, "Le geste du silence", encres de Chine et acrylique, Victoria’s Gallery, 5 rue de Provence, 75009 Paris, du 13 novembre au 22 décembre 2012.

La matière noire est le corps même de l’œuvre de Serge Saunière. L’encre est lancée dans un abandon et une absence de maîtrise : mais les deux sont programmés par un long travail en amont afin que de chaque image surgisse le silence puisque l’artiste permet de pénétrer dans la nuit de l’être.

Le liquide embue les figures du dehors, en consume le vernis jusqu’à la transparence noire. Il reflète le monde à l’envers par les taches qui deviennent autant des no man’s lands que des présences. En noire sœur l’encre traverse l’absence pour nous retrouver, et pour nous faire renaître comme si nous étions morts. Elle découpe le lieu vide d’une altérité étrange.

Si bien qu’avec une telle "encre" on se demande si tout reste à écrire ou si, à l’inverse, tout est déjà dit. là où la "figuration" se déploie dans une forme d’abstraction sur laquelle le regard s’arrête. L’angoisse émerge inconsciemment, trouve des repères. Sans doute parce que l’encre est par excellence la taiseuse, l’intruse qui sait que les mots ne résolvent rien. Elle montre leur envers et en scanne la pénombre.

Un hiatus est ouvert. Le corps y est séparé de lui-même en un pont suspendu au-dessus de son vide. Il y a soudain un éclat paradoxal et un éclair obscur. Ils brisent le mur de l’enfouissement, la paroi de l’antre. Emane une expiration imperceptible par ellipses et laps. Les tissus d’obscur qui peuplent nos émotions et notre mental sortent de l’abîme là où forces plastiques s’enfoncent, percent des. entrailles par effet de tension, de cassure, de suspens.

Venant de partout et de nulle part, des vagues noires se succèdent afin d’entrevoir le jour. Le corps venu de si loin trouve là son miroir. La feuille absorbe la matière et en devient son passager plus que son support. Et si la vie est un voyage, l’encre permet de repérer quelques lieux retirés ou cachés. Elle les immobilise telle une bouée de corps mort juste secouée par ces vagues de noir.

En des touches d’ultimes clartés le monde devient un lieu du songe cauchemardesque - mais pas forcément. Et ce, même si soudain, toutes les âmes ayant perdu leur blondeur d’épi sont grises comme des chats la nuit.

J-Paul Gavard-Perret


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