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Rendez-vous nomades
samedi 26 octobre 2013 par Jean-Paul Vialard

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Auteur : Sylvie Germain

Le nomadisme du sens.






(Quelques variations sur le livre

de Sylvie Germain

RENDEZ-VOUS NOMADES

Albin Michel)



Vivre ne suffit pas, il s'agit d'exister, autrement dit de questionner. "Vivre", par son caractère biologique de croissance s'illustre de telle ou telle manière, nous livrant quelques silhouettes, quelques lignes de fuite de ce que nous sommes, du visage que nous offrons aux autres, au monde, donc les nervures d'une esthétique. "Exister", par contraste, métamorphose l'esthétique en éthique, puisque, aussi bien, notre cheminement existentiel nous le livrerons au feu nourri des questions, à la catégorie de la connaissance, aux postulats de la morale.

Ce souci de la question, Sylvie Germain le poursuit, tout au long de ses livres, faisant confluer littérature et philosophie, s'affronter quête mystique, interrogations religieuses ou métaphysiques dont nos fondements sont traversés alors même que nous n'en avons plus conscience. Car, dès lors que nous essayons d'y voir plus clair dans notre propre cheminement, l'esprit, l'intellection, sont livrés à une constante recherche : il ne saurait y avoir de repos. Les mailles ontologiques sont si serrées que la profusion d'être nous assaille à chaque instant, ne nous ménageant nulle pause, nulle halte. C'est une exigence, celle du sens à chercher partout où il fait ses multiples réverbérations. D'abord en nous, dans cet intérieur toujours parcouru des flammes de l'exister. Alors nous nous penchons sur les thèmes récurrents qui nous traversent, concourent à notre édification, nous installent sur le grand praticable du monde en tant qu'hommes debout.

Ce sont nos affinités avec les choses qui nous révèlent le mieux, ce sont nos attaches électives qui tiennent un discours dont nous sommes tissés, ce sont nos lectures, nos choix qui nous déterminent, nos écrits qui livrent notre épiphanie et structurent notre singularité, inscrivent notre essence à même la densité de notre chair. Nous ne sommes pas au monde selon une pure contingence mais nous nous construisons, pierre à pierre, élevant dans l'espace cette merveilleuse tour de Babel, sans doute la plus haute métaphore pour dire la trace de l'homme dans l'univers. Nous sommes continuellement façonnés, sculptés au creux intime de notre conscience par les actes que nous mettons en jeu, les paroles que nous proférons, les écrits qui nous fécondent, les croyances, la foi; par nos choix, fussent-ils insignifiants au regard d'un empan social ou bien factuel. Bien évidemment, dans ce concert de questions, Dieu occupera une place éminente comme source de toute possibilité de paraître, de faire phénomène à l'horizon des consciences. Mais, quoi qu'il en soit de la postulation d'un Absolu ou de son exact opposé, ourdis, nous le sommes à nos corps défendant, traversés de mille influences diverses, progressant identiquement à la navette parmi les fils de chaîne, tout passage apportant son écot. De ceci il faut être alertés afin que notre parcours ne devienne simple errance parmi les collines de sable. La marche du nomade n'est jamais placée sous le signe de l'égarement. L'étoile polaire est là qui veille sur l'exactitude du parcours, règle la boussole existentielle, accorde rythme, cadence et temporalité afin qu'une chose comme une destination soit possible.

Le langage, il faut l'interroger, en débusquer le moindre interstice signifiant. Et si certains mots semblent s'attacher à nous comme par aimantation, c'est qu'ils ont à voir avec notre propre problématique, c'est qu'ils "veulent" nous indiquer notre assignation à des exhaussements du sens. Jamais l'on ne sort du fameux cercle herméneutique qui court le long des mots, aussi bien ceux des textes sacrés, que ceux fleurissant au contact de l'art, que les plus modestes d'entre eux qui, pareillement à des sémaphores discrets, agitent leurs signaux en direction de nos facultés imaginatives. On l'aura compris, entrer dans de tels écrits ne devrait s'accomplir qu'au terme d'une propédeutique, d'une initiation préalable, mais les esprits curieux auront tôt fait de s'en saisir comme d'une manne inépuisable. Ceci est à lire avec la plus grande attention et, sans doute, avec le sentiment d'une délectation à chaque nouvelle découverte. La connaissance a ceci de remarquable qu'elle se régénère constamment, s'abreuvant à sa propre source, se dispersant en longs rhizomes pour aboutir dans quelque delta parcouru d'une myriade de perceptions, de sensations, d'affects aux mille reflets. Et toujours le souci, identiquement aux saumons, de remonter à l'origine, à la frayère où s'installa la première germination du sens.


Présentation de l'Editeur.


"Qu'en est-il de "Dieu" ? Est-ce une invention, et si oui, de quel type : une œuvre géniale créée par l'imagination humaine, une découverte insoupçonnée, inimaginable, opérée par voie de révélation, une pure fiction construite sur fond de peur et de désir, un mensonge phénoménal concocté pour les naïfs? On peut opter pour une signification unique et s'y tenir sa vie durant, ou migrer d'un sens à un autre au fil du temps. On peut aussi déambuler sans fin, en zigzag et en spirale, autour d'une seule signification qui s'impose plus troublante et magnétique que les autres, pour l'interroger, encore et encore. Et si celle-ci, aussi sapée, criblée de doutes, de points critiques et de pénombres soit-elle, coïncide avec les données de la religion reçue en héritage par voie du hasard de la naissance, alors ce hasard se transforme progressivement en aventure, et l'aventure en destin, à force d'être sans cesse relancée, poursuivie. "



RENDEZ-VOUS NOMADES - extrait.

"Un reliquat de sens résiste, il glisse, insaisissable. C'est ainsi que le désir court, sans fin, et qu'il s'accroît - désir de voir encore, davantage, autrement, désir de comprendre plus, et mieux. Désir de caresser la peau de la réalité, d'en palper la chair, d'en sonder l'épaisseur, d'en sentir battre le pouls - comme ces mains aux doigts écartés dont les hommes des temps préhistoriques ont laissé des traces, en négatif et en positif, sur les parois des grottes. Mains à l'écoute de la roche, de la pénombre, des énergies de la terre, de la vie et aussi de la mort. Paumes offertes et demandeuses, posées contre le flanc du corps prodigieux du monde. Mains de gloire et de quête.
Le désir court, il tâte le monde, il se collette avec la réalité, il empoigne et étreint l'humanité dans l'espoir d'accéder à leur cœur, d'en comprendre le fonctionnement, le processus, mais parfois il s'arrête, saisi d'effroi, d'impuissance..."


Pour essayer de consoner brièvement avec cet extrait :  


Belle écriture s'il en est. Comment ne pas consoner avec cette prose simple mais vibrante, charnelle, plongeant ses racines à même la densité du monde ? Comment ne pas sentir, lisant, cette peau du réel si proche que nous finissons par ne plus percevoir, glissant tout contre elle comme par un défaut des doigts à éprouver la pulpe de ce qui se présente à nous dans une manière d'offrande. Ne plus résister, ne plus tendre son corps comme une voile à l'encontre des choses, ne plus fermer ses oreilles au bruissement de la terre. Partout courent les ondes sensibles, depuis la touffeur du magma jusqu'à l'ultime courbure du ciel. L'espace en nous comme une arche immense ouvrant l'illimité, la symphonie de tous les possibles. Et le temps, cette texture tellement soudée à notre concrétion que nous n'en sentons même plus les syncopes, le rythme diastolique-systolique, les battements pareils au flux des marées, aux reflux de ce qui, en nous, se balance au rythme du monde. Immense cordon ombilical nous reliant à ces ancêtres dont nous ne conservons guère dans nos souvenirs que de barbares effigies pariétales, ombreuses, fuligineuses, perdues quelque part dans un rêve de pierre.

L'homme, alors, était si proche du minéral dont il tirait son savoir. Préhistorique, certes, mais inventeur des prémices de l'art, des bifaces précurseurs de l'outil, articulant les premiers sons qui deviendraient langage. Et ces mains posées sur les immenses toiles des rochers, ces mains, positives ou bien négatives qui, déjà dans les lointains d'incompréhension, gravaient les premiers signes, les premiers indices dont encore aujourd'hui nous faisons usage sans bien en connaître l'origine. Modernes, postmodernes, bientôt sans doute méta-modernes. Les vocables sont inépuisables concernant la gloire de l'homme contemporain. Et pourtant, il suffirait de gratter un peu l'épiderme, d'entailler au scalpel la dure-mère pour qu'aussitôt surgissent devant nous, en pleine lumière, les gesticulations primitives, les soubresauts du limbique, les convulsions du reptilien. Notre néocortex que nous arborons fièrement en arrière de nos éminences sus orbitales a bien du mal à contenir toutes ces pulsions primitives. Partout les guerres font rage à la surface de la terre, partout les polémiques, les combats, les diasporas, les conflits sans fin. Il est temps que l'homme se soucie de plus de sentiments policés avant que ne se retournent contre lui ces murs de la grotte primitive qu'il a mis une éternité à franchir. La liberté est à ce seul prix d'une pacification des humeurs plongeant leurs racines au plus profond d'un atavisme oublié, refoulé. 
"Mains de gloire et de quête", nous dit l'écrivain dans une belle formule que l'on pourrait inscrire au fronton de tous les palais du pouvoir, de tous les temples dédiés à la sagesse. Ces mains en quête d'une nouvelle gloire ne pourront porter l'humain à sa quintessence qu'au prix d'une nécessaire prise de conscience. Lire de tels textes est déjà un acte de cette sorte !



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