Légendes à l’écart, Entretien avec Kristel Loquet - Michel Butor
dimanche 1er décembre 2013 par Jean-Paul Gavard-Perret

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Editions Marcel de Poney, Illiers Combray, 150 p., 20 €

A la lecture de cet entretien « sans légende » revient en tête la proposition de Marcel Duchamp pour définir l’activité artistique et littéraire : « les porteurs d’ombre travaillent dans l’infra mince ». Butor reste néanmoins tout autant un porteur de lumière. Quant à Kristell Loquet, elle demeure une irrégulière de l’art et de la littérature. Les deux n’ont cessé de remettre en cause le statut des genres et du livre dans leurs pratiques et démarches.

L’œuvre de Butor peut se résumer à un récit polyphonique des formes dont « l’infra-mince » pourrait être un des repérages. L’auteur laisse entendre que l’art et la littérature s’inventent tout autant par des formes denses que par des formes à peine saisissables. Son travail s’inscrit dans la survivance des enjeux fondamentaux de la pratique littéraire - pour s’en convaincre il n’est qu’à relire les volumes de « Répertoire » - mais aussi en des recherches de protocoles renouvelés de la création contemporaine.

Butor sait retenir – tout comme Kristell Loquet - les survivances des corps : corps humain, animal, végétal, minéral tout y passe en divers dispositifs dont l’objet est bien la capture à la limite de l’immatériel, du fragile et du fugace. Ces procédures sont autant de parcours sur divers « écrans » ou supports et selon diverses « scripturographies ». L’écrivain travaille par relevés de séquences. Elles s’empilent au fil du temps. Ses textes ne traduisent pas la nature et le monde mais les représentations que ceux-là donnent d’eux-mêmes. En ce sens tous ses livres demandent l’affrontement aux espaces, aux parcours, aux paysages et aux souvenirs. Reste de ces ensembles l’univers matériel et mental de ce qui lie ou oppose le savoir, l’acquis des cultures et l’intime des ressentis et des désirs.

Avec le temps et pour l’essentiel Butor n’use de ses dispositifs que dans un environnement proche. Mais sa référence savoyarde renvoie aux grands espaces intérieurs des Amériques et d’ailleurs. Ses approches font figure d’une centrale de traitement et de condensation. Fiction, poésie, travaux critiques, entretiens, œuvres plastiques, scenarii, catalogues, préfaces, éléments sonores, photographies, travaux digitaux et autres œuvres hirsutes et inclassables écrites en solo ou en compagnonnage créent un corpus hors du commun. Chacun des éléments en est essentiel, mais aucun à lui seul ne donne la clé de l’œuvre. Pas plus d’ailleurs que l’auteur lui-même. Exquis, courtois, modeste Butor - « titillé » ici habilement par Kristell Loquet - avance par sauts et gambades en un langage qui fonctionne comme un agent perturbateur loin des images culturelles standards et de la lisibilité officielle. Plutôt que décrire son œuvre il opte pour ce que Mike Kelley nomme le « dé-scripting » très personnel où l’énergie fait toujours le plaisir du texte.

Jean-Paul Gavard-Perret


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