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Le livre à écrire
jeudi 27 mars 2014 par Jean-Paul Vialard

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Toute écriture est une catharsis.

 

 


 


Quelques notes sur "Le livre à écrire"

de Constance Larsen.

Editions Publibook. 

 

  

 La note de l'Editeur.

 

"Marie et Constance, deux sœurs que huit années séparent, sont les héroïnes de ce roman. Constance, la narratrice, pose des mots sur leurs maux avec beaucoup de pudeur, mais sans tabou. La famille, temple du secret, complice,y est, observée, disséquée, bousculée.

Devenue alcoolique dans un environnement professionnel mondain et festif,Constance Larsen se bat contre son homosexualité, avant de parvenir à l’assumer. Marie, elle, ne la juge pas, jamais. Marie la soutient, la comprend. Marie l’amoureuse, l’intrépide, croque la vie à pleine dents, encore un peu,

avant le grand plongeon.Constance, elle, s’en sortira, cabossée mais vivante. Marie, la plus fragile, la plus ravagée, ne supportera plus cette vie de mensonges et de non-dits. Elle se suicidera."

 

 Pour aborder le livre.

 

  Toute constat d'existence se réduit souvent à ces quelques mots : "Il me faudrait écrire un livre." Mais de quels pouvoirs est donc dotée cette écriture pour prétendre exorciser ce qui, en nous, est demeuré au seuil d'une parole ? Car, si nous avions parlé, si, même symboliquement, nous nous étions livrés à quelque confidence sur le divan du Psychanalyste, alors du même coup, le livre se serait absenté de nos préoccupations. Mais, en réalité, s'agit-il de la même aventure ? Nous voulons dire la "confession" psychanalytique et le dépôt du secret, la nuit, dans le recueil des pages blanches ? S'agit-il de la même chose au regard de la conscience ? Y aurait-il simple analogie du dire à tonalité freudienne ou lacanienne et du dire de l'écriture ?

   "Ecrire un livre est un acte d'une audace extraordinaire…Chaque mot écrit est une victoire contre la mort."

     Si nous reprenons cette réflexion de Michel Butor, citée par l'Auteur, c'est parce qu'elle nous paraît détenir une grande part de l'énigme. C'est bien de "mort" dont il s'agit. Chaque mot écrit est une tache de sang, une parcelle de peau, une lymphe qui se libère de nous en même temps qu'elle signe une perte. Irrémédiable. Et, jamais, nous ne pourrons en réaliser l'assomption, comme un probable retour vers l'origine et tout s'effacerait. Les stigmates de la mort, de la douleur, de la perte des êtres chers sont des traces indélébiles, creusées à même le corps. Comme une vergeture, une incision, un tatouage existentiel. C'est là, caché au sein de l'intime, ça fait ses battements mortifères, ça dit le nom de l'Aimé disparu, ça appelle l'autre nom, celui de la Sœur absente.

  C'est de l'ordre du souffle, du battement des viscères, de l'articulation du condyle dans le glénoïde. Nous voulons dire que c'est de la chair, du tissu conjonctif, de l'épithélium. C'est un en-soi et, jamais, cela ne peut se retourner comme la calotte du poulpe et le Psychanalyste, avec sa grille jungienne n'aurait plus qu'à lire le langage des archétypes et la messe serait dite et l'on quitterait le divan l'âme libre et l'esprit en paix. C'est bien plus complexe que cela. Les outils, les serrures pour réaliser une incursion dans la psyché sont impuissants à opérer quelque miracle que ce soit, fût-il celui de révéler l'origine des troubles et d'en proposer une pharmacopée adéquate à la résolution du cas. C'est toujours un pis-aller que de confier son en-dedans, surtout lorsqu'il est frappé de coruscation, à l'expert des âmes. Celui-ci, au mieux habillera les braises de cendre mais l'étincelle couvera et le vent soufflera toujours qui réveillera la terrible ignition.

  Alors que faire ? Le suicide, l'alcool, la drogue ? S'adonner à la mescaline comme le Poète Michaux ? Mais tout le monde n'est pas poète et, parfois, souvent, le peyotl, s'il crée de beaux tracés épileptiques et telluriques se comporte comme un "Misérable miracle".

  Alors que faire? Recréer une cellule familiale détruite ? Rebattre les cartes une nouvelle fois ? S'étourdir dans les voyages ? Mais tout le monde n'est pas "homme aux semelles de vent" et les destinations vers Harar, parfois sans retour. Alors que faire, sinon écrire, tracer au calame sa douleur dans la peau-palimpseste, effacer, comme on obture un souvenir, et réécrire comme on s'adonnerait à sa propre reconstruction. Oui, assurément, c'est cela qu'il faut faire. La nuit, sous le cercle de la lampe blanche. Sans autre témoin que sa propre conscience. Personne d'autre ne pourrait y pourvoir, s'immiscer dans les strates des sentiments, dans les feuillets complexes des passions, dans le feu de l'âme alors que les scories sont encore présentes. Longs lapillis striant la nuit de l'inconscient, faisant leurs sillages signifiants dans l'éther alors même que l'on cherche sa voie, comme celle d'une étoile lointaine faisant sa brillance à nulle autre pareille.

  Ecrire, oui. Jusqu'à la douleur s'il le faut. Une souffrance remplaçant l'autre. Un corps à corps. De soi à l'Autre qui n'est plus. De l'Autre qui est un souvenir à soi devenu simple concrétion d'une mémoire vive. Une écharde plantée au centre, dans le plexus, là où se croisent les volutes de sang, le faisceau des nerfs, tresse vivante de l'exister. Anatomique. A laquelle correspond la psychologique, l'existentielle, l'ontologique, celle qui veut encore dire l'être, proférer des sons, marcher, boire, désirer, créer à chaque seconde un viatique de façon à retarder la finitude. Pour d'autres, elle a déjà exercé sa puissance, elle a semé ses plaies, elle a réalisé l'essence de l'homme. Certes, mais notre condition mortelle, nous voulons lui donner espace et temps, alors nous écrivons et les mots font leurs longues caravanes signifiantes et les phrases suivront d'autres phrases et nous serons vivants, au moins l'espace d'un livre. Tout essai de porter une œuvre au grand jour est toujours le chemin d'une catharsis. La dramaturgie épure les passions, en maîtrise les flammes afin que, rendus à nous-mêmes, nous puissions participer à notre propre édification.

   C'est sans doute ce message dont "Le livre à écrire" est porteur, dans une belle langue. Simple, exacte, limpide. Le "livre à écrire" est toujours devant nous, pareillement à l'offrande que l'existence nous fait mais que, parfois, il nous est demandé de recomposer. Un hymne à la vie en est parfois l'heureuse résultante.  

 



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