Soumission - Michel Houellebecq
jeudi 12 mars 2015 par penvins

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Voilà, tout est dans le titre, bien sûr : le héros de Houellebecq se soumet. Conformément à son habitude Michel Houellebecq présente un anti-héros qui pourrait évidemment être la figure du mal, manière à lui de dénoncer l'attitude de ses contemporains prêts eux aussi à se soumettre. Houellebecq ferait ainsi le portrait d'une France aveuglée (inconsciente du danger islamiste) qui telle celle de 1930 reste persuadée qu'Hiltler « [finira] par revenir à la raison »1. La comparaison est sous la plume du héros-narrateur ! L'auteur se cache derrière son héros et par cette position maintient de bout en bout l'ambiguïté, il peut toujours dire François, c'est mon personnage, ce qu'il énonce c'est lui qui l'énonce. A défaut d'être complexe, le « pitch » est plutôt simple, en 2022 la France élit un président musulman modéré. Ce roman joue sur un fantasme largement partagé par son lectorat que l'auteur actualise comme pour mieux s'en défendre. Ce faisant il s'en prend aux universitaires (tiens pourquoi, donc !) Les études universitaires dans le domaine des lettres ne conduisent comme on ne le sait à peu près à rien, sinon pour les étudiants les plus doués à une carrière d'enseignement universitaire dans le domaine des lettres - on a en somme la situation plutôt cocasse d'un système n'ayant d'autre objectif que sa propre reproduction [...]2. Conclusion les universitaires seraient prêts à se soumettre à ce qu'ils n'ont pas vu venir ! On peut légitimement se demander pourquoi les enseignants sont ainsi la cible explicite de celui qui ne parvient pas à être reconnu par eux !

Cet anti-héros fascine Houellebecq, il est à la fois celui à qui il aimerait tant ressembler et celui qu'il faut à tout prix ridiculiser !

Pourtant, la pire soumission n'est pas là, car si pour se faire entendre un écrivain doit nécessairement en passer par les lois du marché, liberté lui est donnée de combattre, non lâchement en se soumettant à la langue commune qui véhicule nécessairement les idées communes, mais courageusement avec sa propre langue, celle qui va à contre-courant, qui dit, non la soumission de l'homme, mais sa révolte et invite à le suivre. Parce que la véritable soumission de Houellebecq est là, non seulement sa langue n'invente rien, elle se contente de mettre en scène avec brio le fantasme le plus commun, mais l'auteur n'hésite jamais à soutenir son récit au moyen des ficelles les plus grosses de l'érotisme le plus élémentaire. La fellation est devenu après la peur de l'islam, le fantasme le plus éculé de ce début de vingt-et-unième siècle.


Il faut bien entendu lire ce roman par-delà les attrape bobos qui le composent, écouter ce que l'auteur dit de lui-même. Il nous enjoint même de le faire : un auteur c'est avant tout un être humain présent dans ses livres, qu'il écrive très bien ou très mal en définitive importe peu3 (tient donc quel aveu !) : Curieuse définition de la littérature tout à fait à rebours de ce que la critique de ces dernières décennies tente de mettre en avant. Ici l'auteur dit au fond, ce que j'écris et la manière dont j'écris, laissez tomber, ce qui compte c'est qu'à travers mes romans, vous entriez en contact avec moi. Si le lecteur ne comprend pas, au moins Houellebecq aura été clair, la fiction islamophile qu'il nous sert, ce n'est pas le vrai sujet du roman !

Le vrai sujet encore une fois est dans le titre, dans cette découverte que [...] le sommet du bonheur humain réside dans la soumission la plus absolue4. Cette soumission c'est bien sûr un abandon de tout libre arbitre, une régression totale qui place le héros à l'intérieur de la grandeur de l'ordre cosmique5 en situation non seulement de n'avoir plus rien à décider, mais également de garnir sa couche de plusieurs femmes sans même avoir besoin de les choisir et encore moins de les séduire. Ainsi trouve-t-il par cette conversion à l'islam la fin du danger de vivre. de la même façon que sur le plan économique avec le programme de Ben Abbes, on assiste au retour de l'entreprise familiale : La forme normale de l'économie y était l'entreprise familiale 6, ce que recherche François, c'est avant tout ce cocon qui protège l'enfant-roi et lui donne tout l'amour auquel il aspire. La conversion au fond que ce soit celle de Huysmans ou celle de François, c'est toujours cela, la certitude absolue d'appartenir à une grande famille qui quoi qu'il arrive vous aime.

A travers cette fable, ce que Michel Houellebecq donne à voir, lui qui se moque de l'aveuglement des intellectuels, mais n'oublie pas de rappeler que l'auteur c'est avant tout un être humain présent dans ses livres, c'est la tentation qui nous guette et le guette lui aussi bien sûr, sinon pourquoi en faire un tel sujet de préoccupation, d'abdiquer notre liberté au profit du confort sexuel et intellectuel de ceux qui ont accepté une fois pour toutes l'ordre du monde. Bien évidemment n'a peur que celui qui se sent fasciné par ses fantasmes. En ce sens le héros de Soumission doit sans doute beaucoup à son créateur et l'ironie agit-elle comme un processus de défense


Michel Houellebecq encore une fois aura fait un succès de libraire, il n'aura pour cela lésiné sur aucun moyen, ni sur une campagne médiatique savamment orchestrée, ni sur un sujet de roman provocateur, mais fantasmé par une large partie de son lectorat, ni même sur la tentation de se faire passer pour un brillant spécialiste universitaire de Huysmans, fût-il un anti-héros. Mais l'écrivain aime tant endosser la figure du lâche, cette fois aussi il parvient à créer un personnage parfaitement odieux qui se laisse entraîner sans résistance vers la si confortable servitude.

1p 56

2p 17

3p 13

4p 260

5p 298

6p 202



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