Murmures à la jeunesse, Christiane Taubira

Editions Philippe Rey, 2016

lundi 22 février 2016 par Alice Granger

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Comment rester une femme libre, donnant sa démission de ministre de la justice parce qu’elle est opposée au projet de loi sur la déchéance de la nationalité, en évitant toute dispute avec le Chef d’Etat et le gouvernement, intègre, fiable, fidèle aux valeurs de notre pays qui restent par-delà sans doute les personnes qui le dirigent ? Dans son livre, Christiane Taubira déplace avec grande intelligence et beaucoup d’élégance ce que peut avoir de violent cette démission pour le gouvernement et le Président de la République – la perte de cette femme de caractère, de conviction, aimée de beaucoup de Français, pourrait affaiblir encore le pouvoir, et inviter à le mettre plus en question qu’il ne l’est déjà – sur une sorte de mission de transmission qu’elle sent devoir accomplir avec tendresse, en ne bâillonnant pas sa conscience.

Jamais elle ne se tient dans ce livre dans la polémique politicienne, jetant de l’huile sur le feu ! Au contraire, elle prend de la hauteur et prononce un vibrant et passionné plaidoyer pour la République, sa Constitution, les valeurs de la société, comme pour présenter à chaque enfant de la France présent et à naître quelque chose de solide, d’organisé, de pensé, d’accueillant, un lieu terrestre de vie ayant une histoire et d’où personne ne peut être déchu, même le plus mauvais des membres de cette communauté humaine vivant dans ce pays. Personne ne peut y être traité comme un déchet à expulser ! Personne ne peut être jeté sur un territoire poubelle ! On ne peut s’empêcher de penser au capitaine Dreyfus, déchu et condamné, envoyé… en Guyane ! La Guyane étant considérée alors comme le territoire de la déchéance, du bagne, de la punition, une terre-déchetterie… La déchéance de la nationalité voudrait faire pareil, faire d’un citoyen français binational un déchet expulsé vers un territoire poubelle… La nationalité, écrit Christiane Taubira, dit qui est dedans, qui est dehors, ceux qui sont dehors ne sont pas forcément des ennemis, mais ils peuvent bien sûr le devenir, si bien que se pose la question de comment vivre ensemble, faire monde, aborder la mondialisation. « La seule réponse viable et féconde est dans la mondialité, une poétique de la relation, selon Edouard Glissant. » J’ai envie d’ajouter que les humains dans leurs différences pourraient s’inspirer de la permaculture pour vivre ensemble, comme dans les forêts depuis des millénaires les espèces végétales ont appris à pousser ensemble en s’équilibrant, en échangeant, en se rendant indispensables les unes aux autres. La République, proclamée après la Révolution française, attend quelque chose des citoyens qu’elle protège : ils doivent, eux, veiller sur elle, « sur les piliers qui la soutiennent, sur les principes qui la structurent. Qu’ils soient les vigies inlassables des articles premier et six de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ainsi que du préambule de la Constitution de 1946, parties intégrantes du bloc de constitutionnalité. L’appartenance par la nationalité en fait partie. » Ainsi, c’est en tant que citoyenne que, par sa démission même, Christiane Taubira assume son devoir de veiller sur les principes qui structurent la République au moment où un projet de loi les attaque. Cela fait partie du message qu’elle murmure et transmet à la jeunesse ! Sans doute l’événement pas si lointain de l’abolition de l’esclavage lui rend encore très sensible la chance de vivre à part entière dans une République accueillante sous la bannière de la Liberté, l’Egalité et la Fraternité, et cette chance-là est sans commune mesure très au-dessus des polémiques politiciennes, ce pourquoi nous la voyons prendre de la hauteur par-rapport aux locataires actuels du pouvoir. Elle murmure à l’oreille de chaque jeune que, en quelque sorte, à chaque génération, il s’agit à nouveau de veiller à la restauration de l’édifice républicain, d’être vigilant devant ce qui attaque et érode la construction accueillante et protectrice. Tandis que la responsabilité politique implique de rappeler les ancrages, par exemple il appartient à la Gauche de réaffirmer l’enracinement dans l’humanisme.

« D’abord, le principe. Osons le dire : un pays doit être capable de se débrouiller avec ses nationaux. Que serait le monde si chaque pays expulsait ses nationaux de naissance considérés comme indésirables ? Faudrait-il imaginer une terre-déchetterie où ils seraient regroupés ? Quel aveu représente le fait qu’un pays n’ait ni les moyens ni de la coercition ni de la persuasion envers l’un de ses ressortissants ? Quel message d’impuissance, réelle ou présumée, une nation enverrait-elle ainsi ? » La terre-déchetterie : l’image est très forte ! « Une conscience de cible chez les personnes concernées, bien que non visées. Une insécurité alarmante pour leurs enfants. » Christiane évoque le symbole, en l’occurrence le symbole de déchéance de nationalité ! Ce n’est pas rien, écrit-elle, un symbole ! « Il arrive que le symbole soit tout. » « Le symbole joint. Met ensemble. C’est ce que professe son étymologie grecque. Il rassemble, comme la symphonie assemble des sonorités en beauté, comme la symbiose assemble en vie. Il est sémiotique, autrement dit il est signe et transporte du sens. Ce sens est implicite car il se réfère à une histoire et une écriture nationales. Il porte la signification d’un acquis situé au-dessus de nous. Il est chargé d’énergie. Un symbole n’est donc jamais banal. Il a une fonction sociale et une dimension éthique. » Ce symbole ne parle pas aux terroristes, aux kamikazes, dit-elle, puisqu’ils meurent en morceaux, mais aux binationaux, qui se sentiront en sursis, et cibles des maniaques de l’exclusion et des différences et autres conspirationnistes. Les valeurs qui font le socle de la République seraient ébranlées ! Certains Français y seraient implicitement moins Français que d’autres ! La loi du 16 mars 1998 interdit de rendre un Français apatride, donc seuls les binationaux seraient concernés par la loi sur la déchéance de nationalité.

Christiane Taubira réaffirme haut et fort une France qui occupe une place singulière dans le monde, par son histoire, ses principes, ses valeurs, son goût pour le grandiose, ses exigences de rectitude, elle parle haut dans les instances internationales. Mais elle pourrait perdre le poids d’un pays crédible et responsable ! Il y a un certain lyrisme de la part de Christiane Taubira, qui nous désigne avec passion une France dont il faut être fier, cherchant à nous entraîner à devenir des enfants persuadés d’avoir la plus belle et la plus bonne des mères ! Cette idée d’un pays qui sort du lot, qui est exceptionnel : une femme politique de Guyane, pour laquelle le temps du colonialisme et de l’esclavage est encore sans doute douloureux, lance un vibrant hommage à la France, ancien pays colonisateur ! Il y a quelque chose de paradoxal, de contradictoire, de guerrier aussi, dans ce plaidoyer pour un pays qui, il n’y a pas si longtemps, exposait les esclaves au devenir déchets. D’où cette passion pour défendre l’impossibilité d’être déchu, maintenant qu’elle-même n’est pas esclave, maintenant qu’elle est libre et qu’elle en sait sans doute plus que d’autre la valeur ? Quelque part, derrière cette opposition à la loi sur la déchéance de nationalité, n’y aurait-il pas chez Christiane Taubira le souci poignant de rappeler l’abolition de l’esclavage, donc le fait qu’il n’y a pas deux sortes d’humains, ceux qui ne seront jamais exclus, et ceux qui peuvent être traités en déchet ?

Ce livre s’adresse à la jeunesse, comme pour leur insuffler la sensation même d’appartenance, comme pour leur faire sentir la réalité du pays indéfectible qui les reçoit lorsqu’ils naissent, pour qu’ils entrent dans un temps poétique ! Comme pour leur dire de ne jamais renoncer à l’habiter, de se battre pour la continuation de ses valeurs, pour la qualité unique de son vivre-ensemble. On la sent en train de défendre un lien d’amour, comme faisant entendre une personnelle et très paradoxale reconnaissance pour ce pays qui ne fait plus de différence entre les couleurs de peau et les origines, au moins selon les valeurs officielles de la République. En même temps, sans jamais vouloir leur tracer un chemin qu’ils seront bien capables de trouver seuls, elle entreprend une analyse des difficultés que, en ce moment où elle, elle vit, elle rencontre, elle décèle, elle remarque. C’est-à-dire que, d’un côté il y a une sorte d’envolée lyrique, patriotique, pour ce pays qui a fait ministre de la Justice une femme de peau noire ayant on l’imagine des ascendants esclaves, et de l’autre la description n’a rien d’idyllique, et si on est Français, on doit s’engager chacun à construire quelque chose de vivable en analysant d’abord d’où viennent les problèmes actuels, sont-ils des bombes à retardement fabriquées autrefois ?

Donc, Christiane Taubira va beaucoup plus loin, dans son analyse de son opposition à la loi sur la déchéance de la nationalité, que la simple constatation de son inefficacité. Puisque son effet sera nul en matière de dissuasion, et si la nationalité alternative lors de l’exécution de la peine est un pays où la peine de mort existe, le droit européen s’opposera à l’extradition. Elle ne peut tolérer qu’un être humain, portant la nationalité française, puisse devenir un déchet expulsable ! Que sa bi-nationalité le désigne comme potentiellement dangereux, donc déjà implicitement déchu, taché, accusé. On la sent en train de nous entraîner, et en premier lieu les jeunes auxquels elle adresse ses murmures pleins de tendresse, à prendre aux mots la République, sa Constitution, ses lois régissant le vivre-ensemble. Par-delà les défauts, les ratés, les bombes à retardements des crimes du passé. Presque comme si cette République, cette Constitution, cette beauté incomparable de notre pays, prévalaient sur son Chef d’Etat actuel, son gouvernement, et qu’elle, lorsqu’elle était ministre de la justice, elle l’était d’abord et avant tout en regard de ces valeurs portées par l’histoire, issues de batailles pour la paix. On a sans cesse l’impression que, même au gouvernement, elle oeuvrait en décalage de l’équipe aux manettes, insoumise tout en arborant une fiabilité absolue. Comme en ayant de la hauteur, des principes, par exemple celui de la non-exclusion du droit d’un groupe de personnes sous prétexte par exemple d’homosexualité, d’où la loi sur le mariage pour tous. Comme sûre que, sur un point, sur cette question de la nationalité qu’on ne peut pas reprendre, elle est plus fidèle aux valeurs de notre République que le gouvernement lui-même et le Chef d’Etat ! Tout en obéissant elle-même au principe selon lequel l’heure est bien trop grave pour fragiliser le pouvoir par des attaques qui ferait encore le jeu des terroristes. Donc, par-delà ce livre qui est un livre de liberté de pensée et de parole, ainsi qu’un livre de convictions, reste-t-elle fidèle au Président et au gouvernement. Elle n’attaque pas les personnes, les politiques, elle dit juste ses convictions et ses principes, à sa place de citoyenne française impliquée et responsable, et reconnaissante, sans haine au cœur, sans esprit de vengeance. Des qualités aux antipodes du terrorisme ! Certes, comme l’a dit entre les lignes le Premier Ministre en assurant qu’elle manquera, on va craindre ses paroles fortes, sa liberté, son insoumission, mais jamais elle ne terrorisera ! Parce qu’elle se sent Française, sans doute, avec une fierté singulière, exceptionnelle, car elle sait ce que cela signifie ! Son livre n’est absolument pas au service d’une ambition politique au sens du calcul électoral. Il est étonnamment sincère. Et, comme elle-même se montre et s’est montrée à nous en train de le faire, elle dit, à la suite de Fanon, que « Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, l’accomplir… ». Ou la trahir, écrivait Frants Fanon. Elle dégage la route pour les jeunes, afin qu’eux-mêmes accomplissent leur part. Car le pays qu’ils habitent n’est pas quelque chose d’idéal, d’immobile, il s’agit de toujours batailler pour sauvegarder et construire, traquant les bombes à retardement du passé, par exemple. « C’est une faveur qui remonte du fond des âges et porte la mémoire du monde. Une génération peut éclairer le présent et offrir à la suivante de choisir l’épaisseur et les couleurs de son propre présent. Par temps troubles et incertains soumis à des bouleversements ardus à lire, cette faveur se fait devoir. » Voilà la première phrase du livre. Qui nous éclaire d’emblée sur le sens de cette démission, en plus du motif du désaccord !

On dirait que la femme politique s’est détachée des politiques pour faire de la politique autrement, en tant que Française, citoyenne, faisant la preuve que le pouvoir n’est pas seulement en haut, au sommet de l’Etat, mais que la parole libre, insoumise, mais aussi éduquée, cultivée, a du pouvoir, est politique, reste efficace, veille ! Parce que, dans ce livre, si bien sûr elle évoque les moments difficiles des attentats vécus de l’intérieur des Ministères et du palais de l’Elysée, elle s’en écarte par la démission et l’écriture pour ne jamais démissionner de son devoir de transmission en sa place de Française face aux jeunes Français auxquels elle murmure pour leur transmettre le flambeau !

« C’est à nous de dire ce que le monde du temps présent recèle de plus périlleux. » Et tout de suite, elle ne sous-estime pas les adversaires terroristes en ne les voyant que comme des barbares. Au contraire, elle leur reconnaît, curieusement, une intelligence, démente, ayant rompu avec ce qui nous est commun en humanité. Mais cette intelligence est créative, réactive « cyniquement ingénieuse, furieusement astucieuse… Cette intelligence hypnotique qui exalte les âmes disloquées, fait cas de toute folie destructrice… C’est une intelligence obtuse, dépressive car elle n’aime rien de ce qui est beau… » Elle n’aime rien de ce qui est beau ! Par cette phrase, Christiane Taubira nous dit déjà son amour du beau. Du beau tangible, dont personne n’est privé. Un peu comme associer France et beauté. Vivre sur la terre belle. Ne pas en être chassé. « Cette rage contre la beauté ressemble à une addiction. » Attaques contre les éclats de la vie.

Il faut refuser, dit Christiane Taubira, de capituler intellectuellement. Il faut gagner la bataille du recrutement de l’Etat islamique, détourner ces soldats qui, sur tous les continents, font allégeance à des zombies maléfiques ! Car il faut d’abord comprendre, et ramener du sens au monde ! Sinon, de nouvelles frustrations s’installeront et nous aurons arrosé le terreau « où poussent ces contentieux passionnels », nous aurons refoulé vers les générations suivantes les arriérés de rancœurs. Christiane Taubira a à cœur d’insister sur le fait que chacun est responsable de ses actes et doit en répondre. Donc, disséquer le mécanisme de l’embrigadement sectaire, les insatisfactions qui les servent. Au pays de Montaigne, il est urgent de se demander : que sais-je ? Pas de profil type pour ces jeunes embrigadés ! Ils sont loin d’être tous de banlieue défavorisée, pauvres et analphabètes, maghrébins, ayant des parents illettrés. Peu finalement ont connu la prison. Le rôle d’Internet est bien plus grand que certaines mosquées. Beaucoup de ces jeunes sont donc instruits, qualifiés, viennent de familles de la classe moyenne, étaient catholiques, ou juifs, ou athées. Ce qu’ils ont en commun ? Leur tranche d’âge : un tiers de mineurs ! L’adolescence avec son mal-être, ses failles narcissiques, sa révolte contre les hiérarchies, les chimères. Même si le contexte économique est souvent accablant, il y a quand même un grand nombre de jeunes connaissant ce contexte misérable et cette humiliation qui ne se laissent pas embrigader.

Sans doute, « Les injustices insupportables sont celles qui émanent des inégalités d’accès à l’éducation, aux soins, à l’emploi, à la culture, au droit, à la mobilité, aux responsabilités, celles qui poussent sur les désordres d’une solidarité défaillante et d’une inéquitable répartition des sacrifices et des richesses. » Cependant Christiane Taubira évoque d’autres responsabilités, tenant à la géopolitique et à l’histoire coloniale de la France et de l’Occident, tout en ne s’arrêtant pas à son rappel de pourtant très dangereuses bombes à retardement ! Elle écrit : « Impossible de croire ou de faire croire que nous n’avons rien à voir dans l’entropie envahissante. Impossible que nous n’ayons rien à dire sur le Moyen-Orient, spectaculaire échec de deux générations, malgré Yitzhak Rabin, monumental. Impossible que nous ayons perdu la mémoire des intrigues et ingérences en Iran et de leurs conséquences. Impossible que nous soyons étrangers au chaos en Libye. Impossible que les pétromonarchies aient prospéré à notre insu, que la notabilité de régimes autoritaires se soit construite sans notre complaisance, que les frontières aient valsé à notre corps défendant, que la dissymétrie en pertes humaines dans les guerres technologiques ne soit jamais porté à notre débit. Impossible d’ignorer que l’impotence diplomatique et l’impuissance politique des instances multilatérales finissent par être néfastes. Impossible que nous soyons innocents de l’état du monde, des inégalités, des prédations qui perdurent, du détournement des richesses, des connivences en corruption, de l’oppression des femmes, de la persistance des maladies de la misère, des faibles progrès en éducation, de la prolifération des armes, de la dégradation des paysages, de la confiscation des territoires, des déprédations des lieux de vie. Nous ne portons pas le poids du monde sur nos épaules, mais nous ne pouvons pas nous exonérer des effets de nos choix géopolitiques, des sources contestables de certains de nos conforts, de nos défaillances de solidarité. » Si chaque génération croit, écrit-elle, qu’elle peut changer le monde, sa génération à elle sait qu’elle ne le peut pas. Elle peut seulement empêcher que le monde se défasse ! Dans ce grand paragraphe sur la responsabilité française et occidentale, Christiane Taubira n’écrit jamais le mot « colonisation », mais il hante les phrases, bien sûr ! Elle n’évoque cette responsabilité-là qu’une seule fois, et pourtant c’est la chose la plus importante pour entendre cette bombe à retardement qui explose maintenant avec les attentats perpétrés sur tous les continents, exploitant pour le recrutement la fragilité encore adolescente de jeunes et très jeunes dans un contexte économique et éducatif difficile, injuste, inégalitaire. Les mots « colonialisme » et « néocolonialisme » ne sont pas écrits, mais nous pourrions étayer ce paragraphe unique de Christiane Taubira par le livre d’entretien de Noam Chomsky et André Vltchek, « L’Occident terroriste » !

Christiane Taubira, cependant, nous donne encore des raisons d’espérer en murmurant à l’oreille de la jeunesse mais aussi aux nôtres, ces mots d’Edouart Glissant : « Pense avec le monde, il ressort de ton lieu, agis en ton lieu, le monde s’y tient. » Nous sommes faces à un défi qui nous oblige à répondre comme il convient, ou à nous trahir ! La réponse n’est ni la déchéance de la nationalité, ni le rétablissement de la peine de mort !

Dire la pulsion de vie contre cette équipée de la mort ! Imaginer le partage de la beauté ! « Ce pays offre de la beauté à profusion. Une luxuriance de paysages qui varient les charmes d’une arrière-saison à une autre. Des cours d’eau familiers aux reliefs rocheux. Des plaines aux forêts, des vallons aux collines de Jean Ferrat. La mer, enragée par moments, autour des phares ou contre les rochers, ses reflets d’argent et ses marées d’équinoxe. » La beauté poétique d’un pays, que nous retrouvons dans un moment naissant par-delà le tremblement de terre des attentats. « Cette demande de beauté est là, latente ou impatiente, indolente ou diligente. » La beauté poétique est là, à profusion, mais nous ne la voyions pas. Dans la déchirure des attentats et de la menace du changement climatique nous sommant de révolutionner nos habitudes de vie nous commençons à l’entrevoir ! L’écriture lyrique et poétique de Christiane Taubira nous y invite !

Enfin, dans son livre Christiane Taubira revient sur son origine, les Outremers, territoires des premières conquêtes coloniales de la période de traite négrière et d’esclavage. Ces vieilles colonies étant restées françaises après la deuxième abolition de l’esclavage en 1848, la question de la bi-nationalité ne se pose pas. Mais elle souligne une chose très importante, qui nous aide à mieux entendre cette femme d’exception : ces Outremers d’où elle vient enseignent la diversité du monde, la vigilance à l’autre ! En effet, ces territoires se situaient au carrefour des mondes « du fait même de cette histoire où les communautés, langues et cultures amérindiennes ont été percutées par l’arrivée des conquistadors européens, puis celle des captifs africains, puis encore des travailleurs engagés venus du continent asiatique, par l’arrivée des proscrits européens déportés dans les bagnes, de chercheurs d’or caribéens, de travailleurs libres accourus de partout par les mers et les terres ; en réceptacle de toutes les misères, de toutes les souffrances, de toutes les désespérances, de tous les rêves, de tous les projets, de toutes les expériences, en terres hospitalières aux rencontres biaisées, aux étonnements suscités par une altérité impromptue, des amitiés improbables, des affinités aléatoires, les Outremers enseignent la diversité du monde… » De ce singulier bouillonnement, écrit Christiane Taubira, a surgi une indomptable vitalité, il a aiguisé une appréhension des incompréhensions primordiales, « comment l’enfermement buté dans des cultures ataviques à racine unique nourrit l’exécration de ce qui bouge et qui dérange… ceux qui sont effrayés par la diversité et l’imprévisible du monde haïssent tout ce qui est différent, ouvert, inhabituel. Ils sont hallucinés par l’effervescence de la vie et sa part d’imprévisible. » Voilà, on dirait que le paradigme de la permaculture avait déjà marqué la vie des Outremers !

Christiane Taubira, une autre façon de faire de la politique, une parole libre, insoumise, différente, dérangeante, responsable, humble, fière, en un mot une parole politique !

Alice Granger Guitard


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