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Marianne porte plainte, Fatou Diome

Editions Flammarion, 2017

jeudi 4 mai 2017 par Alice Granger

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Comme à chaque fois avec ses livres, Fatou Diome époustoufle avec sa langue si riche, si cultivée, qui nous prouve une fois de plus qu’en quelque sorte elle est la plus brillante des Français lorsqu’elle parle et écrit dans notre langue, bien que venue d’Afrique, mais bien sûr ayant été à l’école forcée d’apprendre la langue des colonisateurs et à ne pas parler sa langue au risque de devoir porter un collier en os de poulet. Armée de cette langue, et faisant parler Marianne par sa bouche mauve, elle porte plainte contre ces dangers si nombreux qui mettent en question l’identité française, et en particulier cette tradition d’ouverture à ceux qui viennent d’ailleurs sur cette terre des Droits de l’homme et des Lumières. A ceux qui venus d’ailleurs sont Français ou veulent le devenir, l’histoire en particulier coloniale ou les Droits de l’homme donnent une légitimité à leur demande ou à leur colère. Des personnages politiques qui apparaissent comme des loups, en particulier en cette période électorale, les stigmatisent et les considèrent comme illégitimes, le terrorisme étant l’alibi pour ostraciser les musulmans, les réfugiés.

Ces loups, qui menacent les agneaux, dans ce livre de Fatou Diome, ne sont jamais nommés par leurs noms, mais, curieusement, Fatou Diome, d’un magistral coup de sagaie littéraire, leur donne à chacun un surnom, comme les enfants dans la cour d’école pour descendre certains des leurs. Marine Le Pen devient La-Marine-Marchande-de-Haine, François Fillon devient François-Fions-nous-à-Dieu, Nicolas Sarkozy devient le Manipulateur-gesticulant, Nadine Morano devient Mégaphone de l’Est, Manuel Valls devient Le Recycleur ou Don Manuel Valls, François Hollande devient le Tendre-Motard de l’Elysée, nous devinons que Ségolène Royal est l’adorable bécasse. Les vigoureux coups de sagaie sérère visent par une offensive logique de l’humiliation à l’œuvre par ces surnoms d’une part à abattre les monstres donc à mettre en valeur la femme providentielle capable de le faire par sa plume si guerrière pour protéger ses agneaux vulnérables qui semblent ne pas pouvoir se défendre tous seuls, mais en même temps elle donne une reconnaissance paradoxale à ces loups qui font si peur ! Les surnoms, avant d’abattre en faisant entendre la plainte infinie des agneaux terrifiés à l’idée d’être expulsés, empêchés d’entrer, être vus comme des bâtards illégitimes par-delà leurs contributions historiques à la défense de la France en tant que colonisés pendant les Guerres mondiales, désignent ceux qui sont tout-puissants, monstrueusement menaçants, stigmatisant honteusement une partie de la population française soudain frappée d’illégitimité. Fatou Diome insiste beaucoup pour mettre en lumière ces loups, la peur qu’ils inspirent. Cette peur qui lui donne légitimité pour porter plainte en s’identifiant à Marianne. Une forme littéraire raffinée mais guerrière d’exploitation de la peur, en la renversant dans un grand rire en affirmant que c’est elle qui fait peur au Front national.

En la lisant, et en me souvenant de récits de son enfance dans ses œuvres ou même qu’elle m’a racontés elle-même, il me semble voir la princesse petite fille unique de ses grands-parents, née dans les bras sénégalais de l’Atlantique, en train de succéder à sa grand-mère Sérère pour devenir matriarche par ses talents littéraires reconnus dans la langue même des colonisateurs d’autrefois et maintenant Française dans leur pays devenu le sien. Je l’imagine se voyant enfant unique et princesse choyée par ses grands-parents, ceci s’étant transposé par la reconnaissance littéraire en invitation partout sur la planète et cette sorte de tour d’ivoire tel un ventre matriciel où elle ne manque jamais de se montrer à nous en train d’écrire poèmes et romans. Je la vois en la lisant, voici que tout-à-coup elle se montre à nous telle que j’imagine autrefois elle allait chez sa mère. Celle-ci, il me semble la voir regarder bizarrement sa fille comme une illégitime n’ayant pas sa place ici tandis que les enfants légitimes de cette mère la regardaient aussi comme une intruse à chasser parce que, littéralement, il y avait quelque chose de dominant chez cette sœur aînée habituée à être regardée comme une princesse, comme enfant unique. Autour de cette mère qui fut après sa faute, la naissance de la fille bâtarde laissée chez les grands-parents, forcée de se marier, il y a on l’imagine, aussi ces loups qui imposèrent ce traitement à la femme tachée, donc des loups responsables aussi de la situation d’illégitimité de la fille bâtarde lorsqu’elle se présente là. En même temps, nous imaginons que pour la petite fille unique au foyer de ses grand-parents, ce fut le choc de découvrir ces autres que sont les autres enfants de sa mère ! Choc de ne plus se voir unique, et en même temps, désir invincible de tout faire pour être reconnue… comme unique, comme infiniment plus intelligente, éveillée, différente, par rapport aux autres enfants. Apprendre le français, la langue des dominants, n’a-t-il pas prodigieusement servi ce désir d’être unique ? Et elle a réussi avec un grand talent ! Se sentir être une victime prend le sens de ne pas être reconnue comme… unique, or unique sur son piédestal comme auprès de la matriarche sa grand-mère, c’est aussi en quelque sorte ne pas accepter de frères et sœurs à sa hauteur, à égalité, c’est renverser cette hauteur foncièrement humiliante en revenant une fois reconnue littérairement comme unique comme celle qui prend soin des frères et sœurs et de la mère. Je vois se dessiner cela en lisant Fatou Diome, tandis que par ses talents littéraires irréfutables elle s’attaque aux loups pour protéger les agneaux, et qu’elle s’impose comme une remarquable matriarche Sérère !

Ce qui frappe, c’est qu’elle parle de cette langue française, dont elle supporte mal d’entendre qu’elle est souvent si mal parlée au point de vouloir aller se laver les oreilles dans les eaux du Rhin comme si elles avaient été souillées, comme la langue de Molière, la langue de Montesquieu, la langue de Montaigne, la langue des Lumières. Comme si elle voulait toujours la ramener à une pureté originelle, voir à une tour de Babel, comme si en forçant tout le monde à la parler dans sa pureté, cela construisait une identité nationale en unifiant ce qui est tellement épars, comme si alors l’extrême difficulté de notre vivre ensemble se résolvait. Cela semble évident de réussir une cohésion, juste en enjoignant chacun des habitants de France à faire l’effort de se soumettre à cet apprentissage comme elle-même au Sénégal puis en France pour ses études supérieures de lettres l’a fait en devenant si cultivée, si brillante, bref si supérieure que nous devrions peut-être, en la lisant, avoir honte et perdre la face d’être si bâtards par rapport à elle en matière d’utilisation de cette langue. Elle semble vouloir nous faire croire que tous les Français parlent la même langue, ou devraient, et elle se campe avec un talent fou devant nous comme celle qui la parle la plus brillamment, exploitant ses ressources infinies. Nous devrions alors face à cette Française d’exception, si déterminée à défendre l’identité française se faisant par la langue et la culture, contre l’évidemment honteuse et inacceptable préférence nationale, la reconnaître comme notre paradigme et pour femme aussi providentielle que la Marianne qu’elle veut ici incarner. Son talent est si vertigineux, sa présence par le texte et aussi au niveau médiatique lorsqu’elle y fait crever l’écran par sa chaleur et son rire s’emparent de nous de manière si empathique, que nous voulons nous précipiter pour dire oui. Une évidence.

Mais me revient alors en mémoire Dante Alighieri, et son « Traité de l’éloquence vulgaire » (« De vulgari eloquentia », dont vous pouvez lire ma note de lecture sur ce site). Il écrit que personne ne parle la même langue en croyant pourtant le faire. Le poète, qui est un exilé comme si l’être parlant se mettait en voyage à travers le vivre ensemble en quittant un ventre matriciel donc par un processus de sevrage intérieur par rapport à ses attaches affectives, qui se met à la recherche de sa langue dans la langue que les autres parlent en désirant vérifier s’ils parlent la même langue découvre qu’il ne rencontre la panthère nulle part, mais seulement son parfum, dans cet entre-deux humain de la rencontre, de l’échange, du dialogue, de la confrontation. Lectrice de ce magnifique texte de Dante depuis très longtemps, je m’intéresse donc à la langue singulière que parle et écrit Fatou Diome tandis qu’elle veut nous prouver avec tant de talent qu’elle parle et écrit la langue française, celle de Molière, qui ferait l’identité française.

Ce verbe splendide de Fatou Diome, devant lequel on ne peut qu’être admiratif, (et je l’ai remarqué depuis très longtemps puisqu’en 2001 j’écrivais déjà une note de lecture sur son livre « La préférence nationale » toujours présente sur ce site ! A l’époque, alors qu’elle était peu connue, elle m’avait appelée de Strasbourg pour me remercier !), est très guerrier, les coups de pagaie pleuvent. En lisant, on ne peut qu’être d’accord sur tout ce qu’elle frappe ainsi à coups de français si bien aiguisé ! On est d’accord sur le caractère honteux et inadmissible du traitement de l’immigration par certains politiques en France avec la stigmatisation de certaines populations qui va avec, si comme moi depuis toujours, on est pour le vivre ensemble apaisé, si on veut une France ouverte aux autres, francophones ou non, dans le sillage de la colonisation ou pas, de différentes origines, couleurs de peau, métiers, etc. Si on est convaincu que le métissage, passant aussi par la langue singulière de chacun prenant le beau risque de muter (Dante parle de cela aussi), est le seul espoir pour notre humanité, si on est pour l’ouverture et non pas la fermeture, si on est pour la tolérance et le goût des autres, pour l’amour des humains, et non pas pour la logique de l’humiliation. Tout ce contre quoi Fatou Diome s’élève, je m’y élève aussi ! Et, dans cette campagne électorale où ce qu’il y a d’apparemment irréconciliable, de contradictoire, de pire et de meilleur dans le peuple français se représente dans les différents candidats à l’élection présidentielle, je mets la liberté au bout de mon bulletin de vote !

Le titre du livre, « Marianne porte plainte », me fait réfléchir. Le peuple français est incorrigiblement batailleur, querelleur, veut avoir raison les uns contre les autres, attendent tout d’en haut mais refusent que le haut s’occupe de leurs affaires, et à la fois horriblement fermé et ouvert aux autres, xénophobes et accueillants, de toutes les couleurs de peaux et se disant blanc de préférence, révolutionnaire et monarchique, rural et citadin, provincial et parisien, de banlieue et de riches quartiers, cultivé et moisi, oublié de la République ou assis en son sein, nés sur son sol et pas nés sur son sol. Comme dans une vaste famille, il est quasi impossible de faire la paix d’un vivre ensemble dans un ensemble aussi disparate, où les inégalités sont flagrantes, où les humiliations sont explosives, ou comme dans une famille chaque nouvel enfant fait craindre à ceux déjà là qu’il n’y en aura pas pour tout le monde et que son statut installé est mis en danger, où donc l’étranger et le migrant sont un danger. Lorsqu’on a des enfants, ou des petits enfants, on comprend mieux quel tremblement de terre affectif et dans la réorganisation du vivre ensemble implique l’arrivée d’un nouvel enfant. A un niveau familial, on vérifie la complexité du vivre ensemble, et combien chaque enfant voudrait rester l’enfant unique de ses parents, ce n’est pas Fatou Diome qui va me contredire elle dont le talent la confirme comme unique et donc çà une fois fait elle peut être pleine de sollicitude pour ses agneaux frères et sœurs qui enfin la voient comme unique ! La société française est terriblement complexe, elle n’est pas un ensemble homogène, c’est tout le contraire ! Voici des autres, et l’entente semble impossible, d’une part entre ceux qui sont nés sur cette terre tellement inégale, les injustices augmentant de manière explosive avec l’ouverture de la mondialisation et la crise, que beaucoup se sentent oubliés et humiliés, et d’autre part entre ceux qui y sont nés et ceux qui y arrivent d’ailleurs en faisant valoir leur légitimité par un passé colonial ou par la Déclaration des droits de l’homme. Marianne, qui représente ce peuple français si disparate, si querelleur, en apparence si irréconciliable au point de friser tout le temps la guerre civile ou la guerre de religion ou la révolution, s’appuie sur cette liberté de parole, de pensée, d’idée, qui est garantie à chacun des Français, même celui qui est le plus pour la préférence nationale. Que Marianne porte plainte, cela veut dire que certaines paroles, certaines idées, sont contraires au droit, à cette loi qui, pourtant, garantit la liberté de parole !

Marianne, dans ce livre, par les lèvres mauves de Fatou Diome, par son rire et sa présence à laquelle le médiatique va si bien car elle crève l’écran, porte plainte comme s’il suffisait, pour construire et apaiser le vivre ensemble français dans son métissage heureux, de faire taire certaines idées qui font trembler de peur, et donc faire disparaître du paysage politique ces personnages, désignés comme des loups au pouvoir très dangereux, qui, pourtant, doivent d’être sur la scène au fait qu’il y a des Français qui votent pour eux, qui se sentent représentés par eux.

Or, d’emblée Fatou Diome parle d’agneaux qu’il s’agit de défendre des loups, donc qu’il y a une femme providentielle qui vient les défendre par son verbe puissant comme jamais, guerrier ! Il y a là un renversement : ce seraient les mauvaises paroles, les monstrueuses idées, qui piégeraient des Français agneaux ! Le mélange d’autres très différents les uns des autres qui composent le peuple français, au lieu d’être regardé comme quelque chose avec lequel il faut composer parce que jamais on ne peut agir sur cet autre afin qu’il soit comme on le veut car l’autre ce n’est pas le même, au lieu sur cette base de travailler à la paix, voici la partition loups/agneaux, qui bien évidemment donne un sacré pouvoir à la personne providentielle sur la base de la peur.

Voir des agneaux en des Français qui votent, qui ont placé sur la scène politique en vue des élections, par primaires interposées ou par les sondages, des personnages les représentant, c’est, mine de rien, déjà un degré zéro de logique de l’humiliation, juste en les voyant comme incapables de se défendre tous seuls, alors même que leurs choix est déjà une parole, est déjà une manière de dire comment la République les traite, quelles sont leurs conditions de vie, et même de mettre à ciel ouvert combien il s’agit de se sevrer d’une idée affective du pouvoir si on veut accéder à une capacité politique. Plus exactement, ce qui se dit par ce vote, qui est la fin de notre France ouverte aux autres et au monde, c’est la façon dont la France elle-même est fantasmée jusqu’aux plus hautes sphères de la politique ainsi que par ceux qui vivent sur son sol et ceux qui veulent venir y vivre. Que les choses soient devenues si inextricables, si impossibles, si explosives, n’en dit-il pas très long sur le hiatus qui s’est ouvert entre un fantasme et la réalité de cette France dans l’ouverture si déstabilisante de la mondialisation qui, justement, dans l’inexorable transformation des rapports de forces mondiaux, ne laisse plus cette France comme au centre du monde ainsi qu’elle se crut assurée de l’être pour toujours. Ce que dit le vote Front national, par exemple, ou tous ces votes pour d’autres figures politiques qui expriment le rejet de l’autre au visage de migrants, c’est une peur qu’il n’en reste pas assez pour tout le monde parce que l’ouverture de cette mondialisation a mis à ciel ouvert que les ressources manquent, que la France n’est plus une matrice nourricière généreuse à la fois pour ceux qui sont en son sein comme des… souches et pour ceux qui n’y sont pas enracinés mais veulent venir y vivre car chez eux leur matrice est sèche ! Par-delà tout le mépris que Fatou Diome voue aux… souches, mot tellement galvaudé qu’on hésite à l’utiliser, ne peut-on pas entendre par ce mot ceux qui sont nés sur le sol de France, donc avec une enfance singulière à cause de cela, exactement comme Fatou Diome tient absolument et avec raison à son enfance dans les bras sénégalais de l’Atlantique ? Pourquoi cela ne ferait-il pas une différence, et pourquoi, parce que nous sommes tous des humains ayant été enfants, ceux qui sont nés ici, les fameuses souches, ne sentiraient-ils pas encore remuante en eux la peur viscérale de l’enfant qui voit arriver comme un tremblement de terre un autre enfant, alors même qu’il sent tellement que la France matricielle n’est plus ce qu’elle était ? Pourquoi ne pas accepter de voir que ce qui fait grandir la peur, ce n’est en vérité pas ces autres qui arrivent d’ailleurs en semblant voir prendre à ceux d’ici ce qui ne suffit déjà pas à nourrir tout le monde comme le montrent les inégalités horribles, ce n’est en vérité pas ces souches et leurs monstrueux représentants politiques qui veulent jeter dehors ces illégitimes qui menacent leur entre soi, mais que c’est la France elle-même, qui n’est plus ce qu’elle était, qui a de plus en plus l’air d’une matrice sur le point de s’éventrer ?

Avant que ce soit l’immigration, les migrants, ces autres regardés comme illégitimes, qui menacent l’identité française, l’image de la France comme pays d’accueil, des Droits de l’homme, de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, c’est l’ouverture de la mondialisation qui le fait, qui fait surgir des autres bien plus dangereux, parce que mettant en question la position hégémonique de toujours de la France et aussi de l’Occident. Pays émergents, Chine, Inde, Russie, les rapports de force mondiaux se redessinent comme jamais. Nous pouvons faire ce que nous voulons, la page de la colonisation et de la décolonisation est en train de se tourner ! Même si à la fois les fameuses… souches, mais aussi l’immigration qui, souvent dans le sillage d’un passé colonial et d’une bien mauvaise coopération avec l’Afrique de la part des anciens pays colonisateurs qui l’oublient ou continuent à l’exploiter mais autrement, continuent à voir la France comme un pays de cocagne resté figé à l’époque coloniale ! Même s’ils résistent tous à l’admettre.

On dirait que, tapie dans la désespérance ambiante, il y a l’incroyance que l’Afrique, après par exemple la Chine, l’Inde, commence à s’éveiller, à se tourner vers d’autres continents que celui des pays colonisateurs, à devenir çà et là la nouvelle usine du monde, même si c’est un processus qui va prendre une ou deux décennies mais avec une bouteille qui a déjà commencé à se remplir ! Et à partir de là l’Afrique commence à se construire sa place autour de la table de négociation du monde, avec la perspective que ses habitants aient plus le désir d’y rester, croyant en elle et prenant pacifiquement sa revanche du passé ! Or, n’est-ce pas déjà sensible, dans certains pays ? Aucune civilisation n’est éternelle ! L’histoire fourmille de preuves ! Peut-être que les souches sentent cela plus violemment que les autres, sans savoir d’où viennent les tremblements qui menacent de plus en plus précisément une hégémonie matricielle crue confortable ? Peut-être que les souches sentent plus précisément, à travers les difficultés sur le terrain de leurs vies, que tout change, d’où la peur aussi longtemps qu’à un niveau politique on ne se met pas en marche pour réorganiser tout autrement le pays, le vivre ensemble, mais cette fois en l’articulant au monde ouvert, à la construction de la vie ensemble des pays, désormais en chassant la logique de l’humiliation ? La peur, qui semble de manière affective réclamer aux politiques de rétablir la douce quiétude d’avant, quand la France était hégémonique, pays de cocagne assez riche pour s’ouvrir aux autres, demande en vérité à ses politiques, dans la nouvelle et si dangereuse donne de la mondialisation, de travailleur à construire un vivre ensemble qui concerne à la fois l’extérieur et l’intérieur, où il s’agit de garantir à ceux qui habitent notre Etat fort et forment une nation que leurs ressources pour vivre soient garanties par le développement de l’industrie, du commerce, des services sur un plan international, où la France peut rétablir sa place unique, qui est peut-être en effet d’être un pays libre, fraternel et égalitaire où on veut venir à cause de sa qualité de vie unique, sa liberté de parole, sa culture, dans une ouverture planétaire où chacun peut voyager. La peur fait aussi prendre conscience qu’il faut re-mondialiser la planète, qu’il s’agit donc de se parler d’une manière nouvelle entre pays, entre continents, en jetant, comme gage de loyauté, la logique de l’humiliation par la fenêtre !

Dès les premières lignes, la logique de l’humiliation, dans ce livre, s’attaque aux souches. « Mon pas décidé fait craquer quelques souches… Ainsi s’expriment les souches, dès qu’une branche s’agite. Qui peut espérer autre chose du Q.I. d’une souche. » Voilà, c’est dit, il est question de Q.I. ! Derrière celui d’une souche, supposé très bas, on entend très bien le Q.I. très élevé de celle qui écrit un si beau français… La souche est délibérément humiliée. Je n’aime pas cette humiliation ! Aucun être humain ne peut être discriminé, même une souche, même quelqu’un qui semble mal parler le français. Bizarre, quelqu’un qui parle de QI dès la première page… Au nom du QI, on a l’impression que ce n’est pas un Français de souche et un Français né ailleurs, qui se rencontrent dans le même pays de vie avec ce que la rencontre peut avoir de dépaysante et dérangeante d’abord, mais ou un Français de souche ou un Français né ailleurs, et comme le QI du né ailleurs est très supérieur et celui qui est né ici très inférieur au final c’est juste celui qui a un QI supérieur qui peut parler pour tout le monde et dire comment il faut parler cette langue tour de Babel. Bien la matriarche !

On peut aller lire, tiens, ma note de lecture, sur ce site, à propos de « Gargantua », de Rabelais. Je n’ai pas fait de hautes études de lettres, mais des études scientifiques et toujours en même temps une passion, sans doute extrêmement différente de celle de Fatou Diome, pour les livres.

Je vois une Marianne très différente. Celle-ci ne perd pas de temps à porter plainte, tellement c’est urgent de reconstruire la France dans cette nouvelle donne, la mondialisation, qui a radicalement remis en question sa place, au point que désormais elle ne peut plus se croire le centre du monde, avec tous les regards sur elle, et le désir de venir dans ce pays de Cocagne libre ! Marianne prend acte que la peur qui a saisi les Français vient de ce que la France n’est plus ce qu’elle était, tandis que ces Français voient leurs liens affectifs avec elle et les politiques qui les représentent se défaire par désillusion, s’accrochant pourtant avec les dernières forces du désespoir aux démagogues qui leur promettent de leur redonner leur matrice d’autrefois. Marianne prend acte de la peur des immigrés, des migrants et des communautés différentes, qui sentent le danger imminent que cette France qui n’est plus ce qu’elle était leur ferme sa porte, telle une mère au ventre devenu sec, par-delà une résistance du désespoir qui pousse à s’accrocher et à vouloir forcer une porte qui se ferme comme si cette France qui n’est plus ce qu’elle était demeurait cependant encore un peu matricielle comparé au ventre sec et secoué de guerre des pays d’origine. Marianne prend acte de tous ces Français bigarrés et en colère qui s’accrochent désespérément à des mamelles qui s’assèchent. Elle prend acte de cette ténacité désespérée car elle y entend au contraire leur espoir, à tous, d’un autre recommencement. Mais cette fois, et sur la base même de cette sorte de destruction matricielle, qui met dehors non pas d’un pays, en vérité, mais du fantasme d’un pays comparable à un ventre dans lequel on peut revenir s’installer comme des fœtus, Marianne a le projet de reconstruire le pays, afin qu’à nouveau il soit vivable à la hauteur de sa réputation unique dans le monde, en s’articulant sur le monde, non seulement en travaillant à la paix par un travail diplomatique et politique partout où la logique de l’humiliation avait parfois depuis plusieurs millénaires posé des bombes à retardement, mais aussi en développant le commerce, l’industrie, les services entre tous les pays de manière à ce que, autour de la table des négociations où chacun est à égalité, chacun ait sa part pour qu’aucun pays ne perde la face quant à sa capacité de garantir une qualité de vie à son peuple. Que Marianne se tourne désormais vers ce travail pour la paix et une nouvelle prospérité pour son pays et pour son peuple, cela implique que chaque habitant soit dans la même disposition. Donc qu’intérieurement il ait accompli une véritable révolution, un sevrage par rapport au fantasme d’un pays qui ne bougerait pas, qui serait comme une bonne mère aidée d’un bon père assurant une vie installée à tous, ou mieux qui serait comme une matriarche.

Dominique de Villepin, qui a écrit tellement d’ouvrages si brillants depuis son inoubliable discours à l’ONU en 2003 contre la guerre en Irak, a si justement montré que le problème de la France, c’est qu’elle a privilégié le côté défense militaire de la France, un peu comme si en tant que pays de Cocagne unique elle était encore et toujours en danger d’être envahie par des hordes sauvages, des Huns et Visigoths d’autrefois aux immigrés et migrants d’aujourd’hui. Cette défense militaire fige la France en pays follement désirable, que les autres veulent venir prendre, un pays unique, qu’on veut au moins venir partager avec… les souches ou carrément les évincer ou les soumettre. Un pays comme une matrice qu’on peut venir remplir, une matrice encore fonctionnelle. Peut-être que cette France-là commença à avoir des doutes quant à son caractère envahissable, désirable, à cause de sa richesse intérieure telles les enveloppes placentaires gorgées de sang nutritif. Des doutes quant à être toujours aussi riche matrice pleine de ses enfants en gestation éternelle. Alors, pour faire taire ces doutes, elle alla coloniser, chercher des ressources et des bras esclaves sur d’autres continents, par exemple l’Afrique. La colonisation eut pour but, imaginons-le, de pérenniser cette France matricielle que les hordes sauvages continuèrent à vouloir envahir. Les défenses militaires restèrent en surplomb au sommet de l’Etat, avec le président chef des armées. Or, dans cette logique-là, ce que l’on a négligé, c’est le développement du commerce et de l’industrie hors d’une logique coloniale. Comme dans une rêverie d’autosuffisance reconduite par la colonisation, on a négligé de construire dans une ouverture au monde, aux autres regardés en tant que tels, les liens du commerce et de l’industrie qui auraient pu anticiper sur la mondialisation sauvage si désastreuse, mais aussi le commerce avec les autres qui ne soit plus une sorte d’humiliation du QI le plus élevé contre le QI encore faible mais deviendra élevé par nous peuple raffiné regardant de haut les souches des autres pays. Ce qui n’a pas été anticipé, c’est qu’on aurait besoin de l’ouverture au monde, de sortir de notre narcissisme, de notre rêverie de supériorité donneuse de leçon, donc il fallait un sevrage, une ouverture aux autres qui soit autre chose que pour l’intérêt des autres pour nous pays à la qualité de vie unique au monde.

Marianne s’ouvre au commerce avec les autres de la planète autour d’une table de rencontre et de négociation où chacun dans sa singularité est à égalité, et cette égalité exige le sevrage en chacun de la prétention à avoir, par exemple au nom de la culture des Lumières, le QI le plus élevé qui donne la lumière à ceux qui ont un QI bas. Capable d’humilité, de faire la révolution en elle-même, Marianne replace la France à sa place unique, celle qui s’ouvre aux autres par amour et curiosité de l’humain sans préjugés pour faire le triage préalable ! Ce n’est pas par la logique de l’humiliation que la France peut retrouver sa place, mais par la logique de l’humilité ! Marianne ne porte pas plainte, elle entend la peur du peuple français, de souche ou non, et, par une révolution intérieure où par sevrage de son fantasme de QI supérieur surplombant la langue des Lumières, elle inverse son arrogance en humilité, dans un commerce avec les autres, ces souches de par le monde qui ont une histoire singulière à raconter aussi. Marianne, c’est chacun d’entre nous, qui entreprenons une révolution intérieure, un sevrage, et travaillons au vivre-ensemble non seulement dans notre pays mais sur la planète sur la base de l’humilité. C’est aussi une forme de racisme, que de stigmatiser l’autre par la valeur supposée du QI !

Alice Granger Guitard



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