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Le Cheval de Turin - Bela Taar
jeudi 26 janvier 2012 par Serge Uleski

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Pour la petite histoire, face au grand artiste qu’est Béla Taar, Le cheval de Turin a pour origine un incident qui bouleversera la vie d’un certain Friedrich Nietzsche : le 3 janvier 1889, alors qu’il effectuait un trajet en calèche, le cheval a cessé d’avancer. Incapable de le remettre en marche, le cocher a battu la bête, ce qui suscita chez le philosophe un élan de compassion. Nietzsche se pendit au cou de l’animal et passa ensuite les dix dernières années de sa vie dans un état de démence.

De là à penser que Béla Tarr, présent ce jour-là, n’aura trouvé rien de mieux que de rentrer avec ce cheval et son cocher jusqu’à cette ferme isolée, un arbre mort battu par une tempête du diable, un père taiseux et sa fille, une charrette et ce même cheval qu’on attellera puis détellera, une fois, dix fois... avant de renoncer...

Grande est la tentation !

Film frugal tout comme le repas qu’un père et sa fille partageront jour après jour - des pommes de terre cuites à l’eau -, tandis que dans la grange, plus qu’une bête, un cheval refusera bientôt toute nourriture ; et à propos de cet animal, on sera tenté de se dire que si ce cheval avait eu le don de la parole, nul doute, c’est sans un mot qu’il aurait mené sa vie.

Cinéaste au rythme cardiaque très lent, cinéma en apnée car, si d’aucuns savent retenir leur souffle, d’autres savent retenir le temps comme personne, tout comme cette musique musclée - organum et cordes dans le grave -, véritable bombe à retardement lancinante et récurrente (en do mineur), destinée à porter et à accompagner 30 plans-séquences de cinq minutes chacun, plans que d’aucuns qualifieront de contemplatifs, d’autres, moins compréhensifs ou pusillanimes, d’interminables...

Ces plans trouvent pourtant leur raison d’être, leur force, leur efficacité, leur caractère aussi rare que précieux (comme chacun sait, le cinéma ce n’est pas ce qui nous est montré mais ce qui nous est révélé !) dans le fait que, tous, sans exception, forcent le spectateur à quitter l’image et l’écran pour rentrer dans lui-même et y poursuivre deux heures et demie durant, même et surtout somnolent, sa propre œuvre que devient alors sa vie pour le temps qu’il lui est donné d’être le spectateur de Béla Tarr.

Pour cette raison, Le cheval de Turin se rêve autant qu’il se voit. Aussi, et vraiment ! on peut affirmer qu’avec le cinéma de Béla Tarr c’est autant le spectateur qui fait le film que le réalisateur. Et nous devrions tous demander à partager avec lui l’Ours d’argent que le film a reçu à l’occasion du dernier festival de Berlin.

Artiste d’une radicalité qui n’a besoin ni de discours ni de justification, fascinés nous sommes face à la volonté de fer de ce réalisateur pour lequel aucun compromis n’est une option ! Et si au cinéma le noir-et-blanc reste bien le choix de ceux qui ont encore quelque chose à dire, la couleur, celle de l’industrie cinématographique, avilissant tout ce qu’elle touche et recouvre…

Le cheval de Turin restera un gigantesque bras d’honneur adressé à cette modernité cinématographique imbécile et veule, film après film - un film chassant l’autre -, d’un Béla Tarr ennemi public numéro un de tous ceux qui ont la faiblesse, la bêtise ou la naïveté de penser que le cinéma n’est qu’un divertissement.

Mais alors... qu’ils passent donc leur chemin ! Car quelque part, dans une province hongroise, on attend les plus exigeants d’entre nous.

***

Après le passage d’un groupe de tziganes que personne n’a invité, chassé à la hache, l’eau du puits s’est tarie, la tempête s’est tue, le soleil a fondu et l’aube ne s’est plus levée, une lampe à pétrole, au réservoir pourtant plein, refusant définitivement d’éclairer la demeure d’un père et de sa fille - une seule pièce commune pour tout lieu de vie -, et bientôt par voie de conséquence, l’écran : plus de lumière, plus de cinéma !

Béla Tarr écrase tout sauf le spectateur, et longtemps on pourra se demander avec lui qui n’en a aucune idée aujourd’hui encore, et même après plus de dix films, quelle peut bien être l’origine (quelle scène primitive au traumatisme fondateur ?) d’un tel parti-pris artistique, d’un tel refus proche d’un Bartleby, obstiné et têtu, d’une telle démarche hors du commun des pauvres mortels que nous sommes, et lui avec nous.

Même si une réponse semble s’imposer…

A l’origine de cette radicalité sans doute trouvera-t-on le refus (encore le refus !) d’un monde dans lequel il n’est plus possible de vivre sans tuer l’autre ou dans le meilleur des cas, sans pourrir irrémédiablement la vie de son voisin avant de ruiner sa vie propre dans une lutte acharnée et cruelle pour une survie qui n’est déjà plus une vie mais un commencement de mort lente et sinistre.

Et si l’on tend l’oreille, on pourra très certainement entendre de la voix de Béla Tarr un : « Ce sera sans moi ! ». En effet, Le cheval de Turin est l’ultime film d’un cinéaste qui abandonne le cinéma.

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