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En Présence d’un clown - Ingmar Bergman
lundi 20 février 2012 par Jean-Paul Gavard-Perret

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LE CLOWN SE MEURT.

Ingmar Bergman, « En présence d’un clown », DVD Editions Capricci, Paris.


"La vie n’est qu’un fantôme errant, un pauvre comédien qui s’agite et se pavane une heure sur scène et qu’ensuite on n’entend plus." (Shakespeare, Macbeth).


Une citation de Schopenhauer illustre (après celle de Shakespeare cité ici en incipit) et précise (en partie) la portée de l’avant-dernier film de Bergman : « À travers la compassion, nous atteindrons une plus grande libération dans la mesure où nous nous libérons de la volonté égoïste et éprouvons une solidarité avec les souffrances du monde. ». Le premier titre du film était «  S’agite et se pavane » mais lorsqu’il a adapté son film de 1993 en téléfilm (1998) le cinéaste a préféré «  En présence d’un clown ». Projeté sur la chaîne « Arte » ce téléfilm est l’avant-dernière réalisation d’Ingmar Bergman : plus encore que « Sarabande » tourné six ans après, il ressemble à un véritable testament...

Nous sommes en octobre 1925. Après avoir battu sa compagne, l’inventeur Carl Akerblom est enfermé dans un asile psychiatrique. Il rencontre un professeur, Osvald Vogler, un autre interné avec qui il veut faire un film sur Schubert. Tous deux sont soignés par le Docteur Egerman. Carl Akerblom et passionné par Franz Schubert mais aussi par, Swedenborg, Jésus, Mahler et August Strindberg. Osvald Vogler, professeur d’exégèse, est membre d’une société aussi secrète que fictive : celle de " l’esclavage rompu " ou " la société des péteurs du monde ". Dans un cauchemar, Carl Akerblom est visité par le clown Rig-mor, la mort, qu’il encule !!!. Pauline sa compagne qu’il a frappée à la tête lui rend visite. Elle lui rappelle que son internement lui évite six ans de travaux forcés pour tentative de meurtre. Il apprend aussi que le Bureau royal des brevets lui refuse le brevet de la « cinématocamera » (inventée en 1866 R. W Paul sous le nom de « théâtographe »). Il se fait une raison car il a en tête un nouveau projet : le film vivant-parlant. Ce film qui racontera justement les amours de Franz Schubert et de Mizzi Veith, la prostituée toujours vierge.

Le projet est engagé et réalisé. Pauline Thibault raconte l’épopée des villes de province traversées : Stenbjoerka, Storforsen, Videvik. Elle raconte le filmage difficile de La joie de la fille de joie, premier et unique film parlant refusé par les sociétés de production, payé par madame Vogler car son mari allait mieux. Dans la salle des fêtes de Grabaes où le nouveau film va être projeté Mia Falk, l’actrice, maîtresse de Akerblom, quitte la troupe. Restent Pauline, Carl, Vogler et Petrus Landahl, le projectionniste. Onze tickets sont vendus. Les plombs du tableau électrique sont mis hors-service pour que la lampe à arc puisse fonctionner. La belle-mère arrive, et reconnaît que les fiançailles entre Carl et Pauline sont valables car il n’y a pas de conséquences économiques. Les deux femmes échangent sur leur amour pour Carl. La belle-mère rencontra Carl à 26 ans. Pauline rencontra Carl un soir d’août il y a deux ans. Elle chantait dans une chorale. Elle tomba amoureuse de cet homme trop gros, maladroit, timide, angoissé et qui attaqua son adversaire au couteau pour une querelle autour de Leibniz et Schopenhauer. Elle lui a écrit à l’hôpital. Il lui envoya lettres et dessins. Aujourd’hui, à Granaes, ils sont à 653 couronnes de la fin. La représentation a lieu. Le feu se déclare. La représentation se continue sous forme de pièce de théâtre. Le matin, le couple se dispute, se réconcilie. Carl meurt. Se termine ainsi l’histoire tragi-comique où toutes les obsessions bergmaniennes sont rassemblées : scènes de la vie conjugale et haine de soi, angoisse de la mort, fascination du spectacle et passion de la musique.

Le récit alterne l’émotion et le burlesque, la grâce et le grotesque trivial. Rien n’est épargné des déboires pathologiques du héros (Börje Ahlstedt en est l’interprète époustouflant). Ses soucis gastriques et son humeur changeante maniaco-dépressive sont aussi comiques les uns que l’autre. La mort a donc perdu les traits d’un joueur d’échecs comme dans Le Septième Sceau, pour prendre celui d’une vieille clown adepte de la sodomie. Cette impureté érigée en principe, cette tension permanente entre ridicule et sublime constituent la force de cette œuvre déroutante.
Dans toutes les scènes, même les plus pesantes subsiste un peu de légèreté, un peu d’espoir. Notamment dans l’ultime séquence, où le constat funèbre du héros (« On sombre ! ») est contredit par le mouvement de la caméra qui s’élève... Elle est déjà soulignée par un des trois textes liminaires qui débute la projection. Celui lu par une spectatrice : « Tu te plains de crier et du silence de Dieu. Tu dis que tu es enfermé, et que tu as peur d’être emprisonné à vie, bien que personne ne t’ait rien dit à ce sujet. Songe alors au fait que tu es ton propre juge et ton propre gardien. Prisonnier, quitte ta prison ! À ta grande surprise, tu verras que personne ne t’en empêchera. Certes la réalité hors de la prison, est effrayante mais moins effrayante que l’angoisse que tu éprouvais là-bas dans ta chambre close. Fais un premier pas vers la liberté, ce n’est pas difficile ».

Comme toujours chez Bergman l’homme a donc le choix entre l’être ou le néant : chacun d’eux ne possède pas de procédure d’appel contre le crime de n’être qu’annoncé. Cela représente sans doute pour beaucoup une invitation à la discussion mais le mieux est de la boucler. Telle est la leçon terminale du film. Son héros ne se prive pas pour autant, avant d’en finir, de multiplier les tergiversations qui font le délice du spectateur. Dès la première lueur de conscience jusqu’à l’ultime luciole de sa folie aura donc su qu’aucune question ne pouvait être envisagée puisque aucune réponse n’est possible.

Ce film permet d’envisager de manière terminale un temps intégral. Bergman élabore un personnage au moi aussi végétal, animal, qu’imaginatif en diable. Tout l’intéresse sauf le réel qu’il lui s’agit de défoncer physiquement, ou par des retours sur le passé. Dans ce film, comme chez tous ceux de l’auteur, la douleur revient telle une foire annuelle. À cela s’ajoute le sentiment que le chemin qu’on parcourt est moins bordé d’un décor que des stations d’un calvaire. Et le héros finit par se sentir mortifié de devenir un ornement de la détresse juste avant ce savoir dernier : le souffle lui-même est une fiction.

La « présence d’un clown » a donc tous les aspects d’une absence. Elle est aussi la fleur d’une avalanche tranquille dans ce film qui ne finit pas d’aboutir vraiment à un film mais à une pièce de théâtre dans sa fiction et un téléfilm dans son exploitation commerciale. Bergman une dernière fois rappelle que toute métaphysique est une maladie qui encombre de son intercession intempestive. Elle nous menace de nous façonner 21 grammes d’âme avec notre embonpoint. Mais il aura fallu du temps à son sombre héros pour se rendre compte d’un tel crépuscule dérisoire. Peu à peu il n’a donc plus eu de penchant pour cette bourre duveteuse qu’on nomme conscience et qui emplit le creux de la pensée. Il peut à la fin savourer une certaine forme d’absence d’identité. Elle l’arrange bien puisqu’elle élimine tout parfum de remords. Si on ajoute à cela que l’inconscient lui-même n’est qu’une peau, se forme la seule sagesse. Elle n’est bonne qu’à faire reculer les choses qu’elle prétend éclairer. C’est un attentat. Il se retourne contre les plastiqueurs et provoque leur propre chute.

Le héros finit par découvrir que son parcours est un accroissement de nulle part. Il n’aboutit qu’à son propre passage. Rien ne modifie son état d’être là. C’est pourquoi l’errance est la plus grande de ses inventions. Imaginer le monde évite d’ailleurs de le connaître avant de devenir poussière. Il s’agit du moyen de se libérer de l’affliction et de l’inflexion de la fécondité. D’autant que la conscience ne révèle que la propre incertitude à son égard. Le reste - si reste il y a - possède l’épaisseur d’une hallucination, d’une locution proverbiale. Résumons. Ce film est avant tout désopilant par sa gravité et ses éclairs de lucidité. Qu’il passe sous format téléfilm ne gâte rien au contraire. Bergman l’avait d’ailleurs déjà prouvé pour deux de ses œuvres antérieures. Mais « En présence d’un clown » est le plus magnifique des testaments. Celui que tout créateur rêverait de laisser. Il nous apprend qu’il faut exister sans vérité.

J-P Gavard-Perret

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