Michel Herlan
Lydie Salvayre
Antonia Pozzi
Petros Markaris
Jean-François Blavin
Elisabeth von Arnim
Christian Bobin
poésie Albanaise Anthologie
Léda Mansour
Denis Emorine

23 ans !

Accueil > LITTERATURE > Ce pays des hommes sans Dieu - Jean-Marie Rouart

Ce pays des hommes sans Dieu - Jean-Marie Rouart

Editions Bouquins, 2021

mercredi 1er septembre 2021 par Alice Granger

Pour imprimer


« Plus chrétien culturel que catholique », et « attaché aux racines et à la culture qui s’y rattachent », Jean-Marie Rouart se demande à la veille de quoi nous sommes, tandis que « L’islam est à notre porte », ce qu’il fait entrer en résonance avec la chute de Constantinople, le 29 mai 1453, faisant disparaître « pour près de cinq cents ans la présence chrétienne sur les rivages orientaux de la Méditerranée ». Et immédiatement, il nous fait entendre sa peur : celle de la disparition catastrophique des piliers de notre civilisation française ! Bien sûr, écrit-il, la menace qui pèse sur la France est loin d’être du même ordre que celle qu’ont connue « les Byzantins assiégés », puisque les attaques islamiques ne recueillent pas l’adhésion de la communauté musulmane. Mais ces attentats ont instauré un climat délétère de prévention historique contre l’islam, créant un sentiment de défiance et d’insécurité, d’où un « véritable problème d’immigration, d’intégration sociale et religieuse ». Il écrit que l’islam est le révélateur de nos failles, et encore plus de la « fragilité de notre assise aussi bien philosophique que morale ».
Alors que « l’islam, à travers une croyance, propose un modèle de société », sans jamais être assailli par un doute, la civilisation française, poursuit-il, « se distingue dans sa conception des autres civilisations ». Mais, « y croyons-nous encore » ? Certes les Français, pétris de contradictions, qui ont été ballottés par une histoire tourmentée, ont gardé par miracle une forme de cohérence, et « semblent vivre dans une mystérieuse attente de ce qui les délivrera de leurs incertitudes » ! Voilà une question qui devrait mordre, au sens d’Artaud ! Notre période de crise devrait les incliner à la réflexion sur eux-mêmes, mais c’est comme s’ils redoutaient d’apprendre qu’ils sont atteints d’une maladie mortelle !
Certes, « toutes les religions sont humaines, donc mortelles », mais à chaque fois elles sont vite remplacées par « une croyance ou un culte qui les supplante » ! Alors, Jean-Marie Rouart s’interroge sur ce besoin si vif de croire qui est dans le cœur des hommes et des femmes ! Et pourtant, il est possible qu’on soit « à la veille d’un chambardement de civilisation… qui emportera le christianisme », et surtout « avec lui la civilisation qu’il a produite : une façon de penser, une sensibilité, des lois, des mœurs » ? Pourquoi ? Parce que nous vivons et nous pensons à l’heure des progrès, dans un éternel présent, « valeur suprême des temps modernes » ! Nous ne nous intéressons qu’à un avenir proche et pas du tout « aux faillites lointaines ». Les Français réagissent collectivement comme un individu attaché aux péripéties de la vie quotidienne, ne prenant pas conscience de la tragédie qui, inéluctablement, va s’insérer dans leur destin ? « Le parfum d’une civilisation qu’ils auront respiré pendant deux mille ans se sera dissipé ». L’islam risque « d’apparaître comme une issue morale et une planche de salut spirituelle pour ceux que le christianisme aura déçus… sans pour autant qu’ils adhèrent au culte laïc ». Face à ce risque, il se demande si la société française peut apporter « un contre-projet efficace », tandis qu’à ses yeux, la loi sur le séparatisme « n’aborde qu’une partie de la question en la noyant dans un ensemble. En stigmatisant les extrémismes religieux, le projet de loi englobe dans un même discrédit l’islamisme extrémiste et l’héritage judéo-chrétien qui fonde notre civilisation », héritage qui a profondément pétri la pâte française, pays religieux par excellence dit-il, d’où proviennent « nos valeurs, notre culture, notre sensibilité, y compris même l’idée même de laïcité ». Cet acquis culturel judéo-chrétien « d’une extraordinaire richesse morale et spirituelle, artistique et littéraire », il propose de le revendiquer « pour offrir aux musulmans de France un modèle qu’ils puissent admirer et auquel ils puissent, par là même, adhérer » !
Dès l’enfance, le christianisme est toujours apparu à Jean-Marie Rouart « entouré de poésie ». Si, à l’approche de l’adolescence, il perdit la foi, les extases de l’amour, les affres et les bonheurs de l’amour, ont rejoint ceux de la foi par de mystérieux chemins. C’est beaucoup plus tard, dans un monastère de Samos, écrivant son premier roman dans une chambre monacale, ébloui par la magnifique vue sur la mer Egée, s’éveillant dans un enchantement des sens, entendant le chant des cigales, visitant une grotte abritant une source miraculeuse, il commença à associer le processus de la création littéraire à une aspiration religieuse. Et la « pratique de l’art m’apparut comme le canal de dérivation d’une foi perdue ». Il est très important, dans cet ouvrage, le témoignage d’une vie singulière, celle de l’auteur, qui se propose afin de transmettre son expérience de la foi chrétienne. Rien n’est plus efficace, pour parler directement au cœur, que d’évoquer son engagement en faveur du jardinier marocain, Omar Raddad. Le tribunal, écrit-il, est le lieu qui rappelle le mieux le drame du Christ. Et le « simple mot de justice résonne très fort pour un chrétien. Il en garde à jamais une compassion pour le condamné ». Le prévenu est nu. Pourtant, dans son désespoir en comprenant que « jamais sa parole ne sera entendue brille une lumière surnaturelle… la présence amie, la lumière bienveillante ». Avec Omar Raddad, victime d’une vraie injustice, il s’est senti être « l’homme universel qui souffre dont Jésus a pris la place ». Les moines de Tibhirine assassinés réveillèrent aussi en lui la sensation d’appartenance chrétienne.
Pour Jean-Marie Rouart, le Christ incarne le plus beau mythe humain, « capable de donner un sens à nos souffrances et de nous aider par son exemple à accepter l’adversité qui frappe nos vies ». C’est même le message et l’exemple du Christ, « l’exceptionnel apport dont il a enrichi notre civilisation, particulièrement la civilisation française », qui l’attache de toutes ses fibres au christianisme. Même s’il est dans la situation paradoxale d’un chrétien culturel plus que d’un catholique, il tient à défendre un héritage qui « constitue notre identité, nos valeurs civilisatrices », et il se désole de « notre peu d’attachement à ce socle fondateur dont la disparition progressive risque d’ouvrir la porte à une autre aventure moins riche et moins glorieuse ». Il a la conviction que notre destin est inscrit grâce à une forme de providence « dont je serais bien incapable de deviner le sens ». C’est chez Renan qu’il a trouvé à propos de la question religieuse l’expression la plus proche de ce qu’il ressent. C’est-à-dire une vision tolérante et souple « qui hisse le besoin de croire à sa vraie place au-delà des rivalités confessionnelles ».
Le malentendu de l’Etat moderne, écrit-il, est « qu’on voudrait demander aux philosophes et aux artistes des recettes pour construire la société », ce qui « ne peut aboutir qu’à l’échec », car certes « Baudelaire et Rimbaud nous apportent un secours qui est proprement individuel », et nous « aident à comprendre l’énigme de notre cœur et les désarrois de notre âme », mais essayer de répondre aux aspirations d’une collectivité, de « maintenir la balance entre ses composantes » est très différent. Lorsque ces poètes révoltés essaient de définir « les contours d’une vie commune », cela aboutit à « cette forme d’échec qu’est l’incrédulité collective ». Jean-Marie Rouart nous emmène au choc frontal avec cette hostilité tenace, aujourd’hui, « à tout ce qui constitue le christianisme », aucune voix ne s’élevant plus « pour prêcher en sa faveur » ! Comme si cela s’opposait à notre bonheur collectif. Il se demande si la société avancée n’est pas en recul par rapport aux sociétés primitives qui sacralisaient tout autour d’elles, tandis qu’il n’y a plus rien de transcendant, de sacré et que la « jouissance pour elle-même y tient lieu de tout ». Comme si la religion chrétienne n’apparaissait plus que comme « une conspiration contre le bonheur ». Certes, il reconnaît que l’Eglise a ses responsabilités, par les Croisades, l’Inquisition, l’attaque des protestants, les soutiens à des dictatures (Franco, Pinochet), le silence sous Vichy, la contraception, l’avortement, la question de la pédophilie, etc. Mais Jean-Marie Rouart est d’accord avec le père de Lubac pour dire que le pire adversaire du christianisme à l’époque moderne est l’humanisme athée - qui substitue l’homme au rôle dévolu à Dieu - qui reste un christianisme de façade « dont on aurait gardé les effets tout en lui retirant sa substance essentielle ». Ce qui a pu aboutir à des dérives, comme le fascisme, le communisme.
Si l’âme chrétienne s’était épanouie avec la beauté morale, artistique, du monde, la démocratie et l’économie libérale sont-elles favorables à cette beauté ? Et, après avoir, avec le christianisme, eu l’honneur d’être une personne, « sommes-nous même des citoyens », puisque nous sommes plutôt des consommateurs « dont les moteurs, la liberté d’action et de vivre, sont programmés sur le modèle des chiens de Pavlov » ? Les entreprises multinationales guident les êtres comme des marionnettes, à des fins commerciales, en créant les conditions d’une nouvelle religion matérialiste ! Et le monde - qui au temps de la ruralité faisait rêver par ses rivières, ses arbres – maintenant n’est plus une énigme mais une réalité scientifique ! On ne peut plus croire aux miracles qui surgit avec la beauté, la poésie.
Il nous ramène, dans son livre, au crépuscule du monde romain, lorsque se fit entendre une mélodie irrésistible. Une parole d’une extrême douceur, écrit Jean-Marie Rouart, est venue de Palestine, « chargée des effluves du désert », à l’image de Jésus elle était tolérante et ardente, paisible et révolutionnaire, elle prêchait l’égalité entre les hommes, l’amour, le pardon, et offrait comme suprême espérance la résurrection ! Comme cette parole pourrait en effet résonner dans les cœurs plus que jamais aujourd’hui ! Cette parole, qui pouvait même pousser ses croyants au martyr, a conquis le monde romain en trois cents ans, par une faiblesse devenant force ! Voix féminine « par son intonation et sa tendresse », son message fut puissant, puisqu’il bouscula tout, inaugurant une nouvelle façon de voir, de penser, de sentir. Romain Gary dit qu’une première lueur de tendresse maternelle s’est levée sur cette terre ! Pour la première fois, « un homme parlait au féminin, avec amour, tendresse et pitié ! » Puis Gary, craignant la mièvrerie, prit un style de soudard pour dire que pour « la première fois autre chose qu’une bite s’était levé en Occident » ! Cette parole, souligne Jean-Marie Rouart, n’apparaît pas sur le Sinaï comme celle de Moïse, dans un roulement de tonnerre ! Au contraire, c’est une mélodie douce, unique et incomparable parmi les autres cultes venus d’Orient eux aussi ! Bien sûr, le christianisme mit du temps à s’imposer. Il y eut des persécutions, des martyrs, tant de gens étant prêts à mourir plutôt qu’abjurer, car une autre voie s’était ouverte, qui les reconnaissait comme des personnes, qui était tolérante à la nature contradictoire des humains, qui faisait sentir une sorte de maternité accueillante ouverte telle une cathédrale dans le ciel, et l’espérance d’un monde meilleur.
Il n’y a plus de chants, dans les églises, où sous des voûtes lugubres ne se célèbre plus qu’un dieu qui semble mort ! Jadis, l’art, la peinture, la musique, le chant, les sermons tels ceux de Bossuet du haut de sa chaire, permettaient de s’immerger dans l’âme universelle afin de trouver du réconfort aux cruautés, humiliations, blessures, injustices et inégalités terribles de la vie, aux incertitudes du cœur, aux doutes de l’amour, aux affres de la création, comme lui en avait trouvé les conditions par les messes chantées de l’ermite de l’île de Samos ! Il rappelle que depuis l’aube de l’humanité, dans des situations intolérables, ce Dieu avait été le seul secours, et « toute la misérable communauté humaine élevée miraculeusement au-dessus d’elle-même », partageant le malheur par la grâce de la communion des saints. Jean-Marie Rouart témoigne de ses engagements, toujours en fidélité et résonance avec le message humaniste des Evangiles : pour les prostituées Nigérianes du bois de Vincennes lorsque, avec des bénévoles, il les arrachait, pour des intervalles fraternels de douceur, à l’enfer du sexe monnayé, de la brutalité des hommes, de la violence des proxénètes ; pour les résistants condamnés à mort du Mont-Valérien qui, tous, espéraient un miracle ; pour les moines de Tibhirine ; pour le jardinier Omar Raddad ; pour les disparues de l’Yonne. Apportant dans ces circonstances tragiques le secours inespéré de la beauté, qui « a le pouvoir d’enchâsser dans la grande fraternité humaine par une chaîne de solidarité ». Une beauté placée par le christianisme au plus haut de ses valeurs « comme le plus important auxiliaire de la vérité ». Cette indissociation de la beauté et de la vérité ayant été empruntée par l’Eglise à la tradition gréco-romaine. Or, l’Eglise aujourd’hui n’offre plus qu’un visage artistiquement pauvre !
C’est une femme, Clotilde, épouse de Clovis, elle-même déjà convertie, qui a persuadé son époux de se convertir au christianisme, en 480, à Reims, et ce baptême fut, comme le rappelle Jean-Marie Rouart, la date de naissance de la France. Clovis non seulement hérite ainsi de l’Empire romain, mais bien plus, fait « une acquisition spirituelle » : celle de « l’homme moral », libre devant Dieu. Cela lui donne l’avantage d’être « l’unique héritier de la civilisation gréco-romaine… certes… ruinée par les invasions barbares, mais qui continue de conserver dans les esprits un immense prestige. Celui de la culture mais aussi du précieux logos, l’esprit, Clovis devenant l’héritier de Rome devient l’héritier de la civilisation tout court car on n’en conçoit pas d’autre à cette époque ». Et dès le commencement, une dualité s’est introduite dans le pouvoir royal, telle la graine invisible de la laïcité, par la parole de Jésus : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » ! Ainsi, les Francs, par-delà leur rudesse, furent-ils en étant accessibles à l’influence romaine bien plus évolués que leurs frères germains qui y étaient allergiques ! Jusqu’à Louis XV, le roi de France procédera à la cérémonie de guérison des écrouelles : « Le Roi te touche, Dieu te guérit ». Saint-Louis faisait cette cérémonie chaque jour ! L’alliance entre la monarchie et le christianisme sera harmonieuse jusqu’à Louis XIV, puis le Roi-Soleil persécutera les protestants et les jansénistes, et l’harmonie sera ébranlée, menant lentement à la fin de la monarchie. Parmi les philosophes des Lumières, il y avait des protestants émigrés, et leurs subsides. L’acharnement du pouvoir royal à s’attaquer à ces deux déviations chrétiennes « va avoir des conséquences incalculables », puisque la monarchie française avait cessé d’être « la protectrice indulgente de la grande famille chrétienne », et devenait celle qui châtiait et excluait, d’où le gallicanisme rigide qui fera le lit de la Révolution !
L’universalisme constitutif de la France, Jean-Marie Rouart le rappelle, fut développé par le pouvoir royal, à partir du baptême de Clovis ! Cet universalisme durera à travers les âges dans la croyance populaire, et dans l’inconscient collectif, même si les Lumières parlèrent de charlatanisme. La pensée laïcarde n’a jamais pu complètement « exclure la croyance dans ce lien avec le surnaturel ». Avec de Gaulle à Londres, même les athées n’auront rien à dire contre la croix de Lorraine et la demande à Jeanne d’Arc d’assurer la réussite de la cause de la Résistance ! François Mitterrand, proche de la mort, s’intéressa à l’au-delà, et avait quelque chose d’un mystique ! Donc, Jean-Marie Rouart voit le religieux chrétien telle une rivière souterraine dont la source continue depuis les origines à couler, présente aux côtés de la République ! Rien ne peut vraiment « entamer l’idée que la France tise sa substance du christianisme », et l’émotion collective suscitée par l’incendie de Notre-Dame semble le prouver !
L’Eglise et l’Evangile ont pu réussir le miracle de co-exister, de se soutenir même, alors qu’elles sont d’essence opposée, tel le mariage presque impossible entre le christianisme et le catholicisme, un grand écart entre la foi et le réalisme, les exigences spirituelles et les nécessités de l’Etat. Un mariage forcément très houleux, devant concilier l’inconciliable, les Evangiles avec les guerres, le pardon avec les exécutions. Construire une société sur l’amour et le pardon est-il possible ? Peut-on aimer nos ennemis, faire du bien à ceux qui nous maltraitent, persécutent, et prier pour eux ? Or, ce miracle est arrivé, et Jean-Marie Rouart pense que si le message de l’Evangile a pu durer, c’est grâce à la formidable expansion du carcan de l’Eglise, armure de fer imposée par la papauté afin qu’elle ne se dissolve pas en sectes et hérésies, faisant une unité à la fois souple et rigide, acceptant des contestations, des réformes, faisant des concessions ! « Jésus, c’est la référence de tous les révoltés du christianisme », et la papauté a dû avancer en réussissant des miracles. Face à cette orgueilleuse Eglise, qui est aussi un Etat croulant sous ses privilèges, c’est dans la parole de Jésus que les révoltés veulent tirer les principes d’une réforme. Le poète Dante et les gibelins ont été les porte-voix d’une contestation qui a commencé avec saint Pierre. Mais la Révolution exempta le christianisme de tout crime (et même l’Encyclopédie fut avec d’Alembert et Diderot favorable au christianisme) et l’honore même, y trouvant « une mystérieuse fraternité ».
Le Concordat, imposé à une assemblée totalement déchristianisée le 18 avril 1802 et rappelant la conversion d’Henri IV, « apparaît sans doute comme la provocation la plus spectaculaire de Bonaparte » ! Jean-Marie Rouart se demande d’où lui est venue l’idée de restaurer le christianisme ? De Corse, d’une famille catholique mais avec un père franc-maçon ? Alors qu’il est agnostique, pourquoi a-t-il compris la nécessité de rétablir la religion traditionnelle de la France ? Ou bien est-ce à Marengo, où son armée était dans cette plaine du Piémont, devant la rivière Bormida, submergée par l’ennemi autrichien, crut-il soudain à la providence et au miracle, lorsque, de manière inespérée voire par l’opération du Saint-Esprit, Desaix et Kellermann vinrent à son secours, ce qui scella sa victoire ? Pour ce Concordat, il fallu de longues tractations pour arriver à un compromis satisfaisant les deux parties. Alors que le pape voulait que le catholicisme soit reconnu comme religion d’Etat, Bonaparte obtint qu’elle fût « la religion de la grande majorité des Français » ! En tout cas, Jean-Marie Rouart souligne que ce Concordat fut un acte raisonnable. C’est l’homme d’Etat, en Bonaparte, qui l’a mis en œuvre, afin de reconstruire une France en miettes en asseyant l’Etat sur une société contenue « dans les bornes d’une morale raisonnable ». C’est en Egypte, comme l’auteur nous le remet en mémoire, que Bonaparte comprit, en découvrant l’empire de l’islam sur les âmes, sa puissance de discipline, voire sa force pour armer le bras du fanatisme, l’importance sociale de la religion ! Bien sûr, il est effaré par ses excès, mais le « fait religieux s’impose à lui. Il comprend le caractère civilisateur de toute religion qui tente de canaliser et de dégrossir les instincts de la brute » ! Il a à l’esprit les foules révolutionnaires à Paris, sous la Terreur, « qu’il ne confond pas avec le peuple », et comprend qu’il faut la dompter au moyen d’une religion qui a la discipline, qui la corrige, « lui inspire la peur de la damnation ». Et au peuple miséreux, il comprend aussi qu’il lui faut « une croyance en la vie éternelle » pour supporter un tel malheur ! D’où le Concordat comme insertion raisonnable des religions en général et du catholicisme en particulier dans l’Etat, n’intervenant pas dans la liberté de conscience, et promouvant la liberté de culte ! S’ouvre une nouvelle ère, les cloches des églises se remettent à sonner, on retournait à la messe, ce fut le « Génie du christianisme ». Chateaubriand se convertit, affirmant habilement que sa conviction était sortie de son cœur ! Mais en restaurant la religion catholique, le Premier Consul n’avait-il pas remis en selle la monarchie, préparé le retour de Louis XVIII ?
C’est la loi de 1905, écrit Jean-Marie Rouart, qui a fait perdre la partie à la « France millénaire de Clovis » face « à cette République née avec la Révolution ». Les liens séculaires entre l’Etat et le catholicisme ont été coupés. Le Grand Orient pavoisait, qui avait été aux manettes dans cette affaire ! La franc-maçonnerie était à la manœuvre du côté des radicaux, son rôle fut considérable pour une France bien-pensante, nourrie de la philosophie des Lumières, de voltairianisme, d’un athéisme vindicatif. Leur cible étant plus l’Eglise que le christianisme. Or, dit-il, cette loi va aboutir à tant de drames, divisant les Français en prétendant les réunir, en ravivant les querelles religieuses, sans autre bénéfice qu’idéologique, et une « perte considérable de l’influence française dans les colonies », où très souvent c’étaient les congrégations religieuses qui diffusaient la langue et la culture française. Et, tandis le buste de Marianne, lors du vote de la loi de 1905, trônait derrière la tribune, et aussi un bas-relief sculpté figurant une allégorie représentée par des femmes, artistiques spectatrices des débats, « vénérées comme des symboles républicains », les bons républicains ne leur reconnurent pas… le droit de vote ! Elles ne devaient aller prendre les consignes qu’au confessionnal ! Si elles avaient eu leur mot à dire, souligne Jean-Marie Rouart, elles auraient sans doute hésité à voter la loi de 1905, à cause de cet instinct, de cette intuition fruit d’une sensibilité aiguisée par leurs malheurs privés « qui leur fait dépasser les sèches querelles idéologiques et les relie aux surnaturels bienfaits de la prière ».
L’islam, poursuit Jean-Marie Rouart, « est aussi l’objet en Occident d’une fascination », car il « n’est pas seulement une religion conquérante et orgueilleuse qui a gagné une bonne part de la planète, il est une spiritualité, dont la part la plus connue est le soufisme ». C’est par le soufisme que sont souvent venus ceux qui se convertissent (Louis Massignon, René Guénon). Au XVIe et XVIIe siècle, « les pays musulmans y apparaissent à certains égards comme des terre de liberté. Notamment dans le domaine sexuel ». Ni la bigamie ni l’homosexualité n’y étaient condamnées. Ce sont les croisades qui ont établi les premiers contacts avec la mystique de l’islam. Certains Croisés même furent éblouis par les « charmes d’une civilisation où fleurissaient les poètes soutenus par Soliman le Magnifique », et étonnés par la ferveur pratiquée. Mais la rencontre se fit par le biais spirituel, par « la langue des oiseaux », la gnose, le langage ésotérique mystique (René Guénon, et surtout Louis Massignon qui se convertit puis revient à la foi chrétienne). Il y a encore en France chaque année des conversions à l’islam, et elles sont loin d’être toutes à relier à des questions sociales, écrit Jean-Marie Rouart.
L’attentat de janvier 2015 contre Charlie Hebdo a soudain fait prendre conscience d’une menace dont ont n’avait pas mesuré la gravité. La cible choisie, la France, « pays de la liberté et de la légèreté », où les humoristes et caricaturistes ont toujours joui d’un privilège spécial, faisait que « ce crime semblait symboliquement assassiner Voltaire ». Bien sûr, toute la France, mais surtout la classe politique, fut prompte à récupérer les émotions. Mais cette classe politique, se mettant au diapason de l’opinion, oublia qu’en plus d’avoir du cœur, elle devait aussi réfléchir ! Et notamment prendre en compte qu’en France, un certain nombre de Français ne cautionnaient pas les caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo. Ne fallait-il pas réfléchir à une ligne de démarcation entre caricature et blasphème, concernant aussi le pape, mère Térésa, le Christ ? Le slogan « Je suis la France » , au lieu de « Nous sommes tous Charlie », de la part du gouvernement, n’aurait-il pas mieux exprimé l’esprit de tolérance propre à ce pays et son admiration pour les caricaturistes assassinés, se demande Jean-Marie Rouart. Bien sûr, écrit-il, il est bien que le blasphème ne soit plus judiciairement répréhensible, « mais il ne peut être approuvé sans indécence par un quelconque pouvoir, fût-il laïc ». Alors que cette République est elle-même est en voie de… divinisation, réprimant par des lois les blasphèmes lorsqu’ils sont de l’ordre laïc et touchent des valeurs sacrées de cette République (atteintes à l’honneur de l’armée, de la police, une caricature de De Gaulle). Ce qui étaient autrefois des délits d’opinion sont devenus des condamnations pénales. Pour ses caricatures certes très choquantes, Dieudonné est condamné pour des blasphèmes républicains. Donc, c’est la République qui éprouve pour elle-même la nécessité d’une protection du « sacré » à faire respecter par la loi, ce qu’elle conteste à ceux qui, adeptes d’une religion, devraient aussi avoir le droit à « un minimum de respect ». Il rappelle que Jacques Chirac, lors de la fatwa lancée par les islamistes contre Salman Rushdie, a condamné vertement le blasphème vis-à-vis de l’islam, en disant qu’il n’avait aucune estime pour Rushdie, et que c’était misérable. Là est le problème. « Comment faire revenir vers les valeurs françaises, ‘ valeurs républicaines’, des musulmans qui, dans leur ensemble, ne paraissent nullement hostiles à la République sans prendre en compte leur exigence – que partagent beaucoup de chrétiens, de protestants, de juifs, et mêmes d’agnostiques ou d’athées simplement respectueux du fait religieux, de voir les religions respectées ». Si l’islam fait peur, pourtant « l’immense majorité des musulmans semble ne pas être trop malheureuse de vivre dans un pays où ils coexistent bon an mal an avec notre art de vivre ». Et, évoquant l’injustice dont fut victime le jardinier Omar Raddad, il rappelle que ce fut la prévention à l’égard d’une religion mal connue, et par l’amalgame que fit un magistrat entre l’égorgement du mouton pour la fête de l’Aïd et l’assassinat par égorgement de la patronne de ce jardinier, qui pesa beaucoup dans cette erreur judiciaire désormais reconnue. Pourquoi cette religion est-elle en France si mal connue, se demande Jean-Marie Rouart ? Les problèmes que pose l’islam, dit-il, sont ceux d’une communauté marginalisée qui est pénalisée par la multiplicité de ses chefs religieux qui divergent et ne se sont jamais entendus sur une charte commune avec les responsables gouvernementaux. Il n’y a pas d’archevêque comme pour les catholiques, pas de grand-rabbin comme pour les Juifs, pas de patriarche comme pour les orthodoxes, leur représentation n’est donc pas réglée comme elle l’est dans les départements où il y a encore le Concordat. Puis reste « la question épineuse de l’adaptabilité de l’islam avec la France », car comme l’écrit le cardinal Ratzinger, « l’islam ne reconnaît absolument pas la séparation des domaines politiques et religieux, inhérente au christianisme dès le début. Le Coran est une loi religieuse totalisante, qui règle la totalité de la vie politique et sociale et exige que toute l’organisation de la vie soit dictée par l’islam ». A ces musulmans, poursuit-il, les pays occidentaux n’ont à offrir qu’un savoir-faire technique, n’ayant plus de message moral à part quelques restes d’idées moderne inspirés des Lumières. Selon le cardinal Ratzinger, en nous confrontant avec cette force intérieure de l’islam, qui fascine aussi des milieux universitaires, nous devons redonner force à un catholicisme en perte de vitesse pour qu’il affronte un islam dynamique et conquérant.
Alors, est-ce l’islam qui est fort, ou bien la France qui est devenue faible ? Pas grand-chose ne reste debout dans cette France, car la déconstruction (Derrida) a tout chamboulé. A la différence de l’Angleterre, de l’Allemagne, des Etats-Unis, la France ressasse à l’infini ses erreurs (Vichy, la culpabilité anachronique du colonialisme), comme si l’abîme la fascinait, et qu’elle était incapable de se pardonner ses fautes, de les remettre dans leurs contextes, comme si elle était vouée à l’expiation éternelle ! « La démocratie, en transmettant ce mal d’être des élites au peuple, fait de la France un vaisseau fantôme qui à force à se sentir coupable ne sait plus où il va ». Et la question qui se pose « est celle du maintien de la civilisation française, conception particulière qui si elle s’insère dans la civilisation européenne, n’en est pas moins originale ». Pour un Français, la civilisation n’a pas le même sens que pour un Allemand, ou un Anglais. « L’Etat est là, symbolique, majestueux, même s’il donne des signes d’impuissance, mais ses soutiens naturels ont disparu ou sont en passe de se volatiliser ». Un idéal, rappelle l’auteur, se substituant au roi et au principe monarchique, a uni les Français, celui de la nation, « qui a le sens d’un passé commun, d’une culture et des valeurs partagées », dont les racines plongent dans l’Ancien Régime, avec son appui millénaire, le catholicisme, et l’Etat y a trouvé une force d’appui. Les idées de liberté, d’opposition à l’esclavage, sont anciennes ! Le pilier de cette nation française est la littérature (et la langue française) - comme l’est la musique pour l’Allemagne et le sport pour l’Angleterre – et deux écrivains allemands ont d’ailleurs souligné que c’est le lien qui relie les Français entre eux par-delà leurs divisions, preuve de l’unité humaniste de la nation française, l’écrivain plutôt que le savant occupant la première place parmi les intellectuels. La littérature et la langue française sont désormais malmenées, le livre a de plus en plus une valeur commerciale plutôt qu’artistique et spirituel, et la tyrannie du réel fait qu’elle est en train d’être marginalisée, comme l’a été la poésie. La langue est moribonde, à cause de la colonisation anglo-américaine qui n’a plus rien à voir avec les emprunts de toujours aux langues étrangères. C’est pour Jean-Marie Rouart un véritable suicide linguistique ! Entraînant avec elle « les valeurs esthétiques et spirituelles qu’elle véhiculait ».
Même si la religion est en déclin en France, elle reste un pays chrétien parce que le christianisme a imprégné les lois, les mœurs, la sensibilité.
C’est le Concile de Vatican II, en 1962, qui a ouvert les vannes de ce déclin, en voulant un aggiornamento, les Conciles ayant toujours eu pour but, depuis le début, d’insérer l’Eglise dans le monde moderne tout en restant fidèle à l’Evangile, c’est-à-dire que comme le dit Lampedusa dans le « Guépard », « Il faut que tout change pour que rien ne change » ! Il fallait par exemple faire évoluer la sexualité, mais le Concile s’opposa à toute évolution sur le célibat des prêtres. Puis se rapprocher des fidèles en supprimant le latin et en parlant la langue de tous les jours, comme si cela allait ramener le peuple à la messe. Or, cela a abouti à un schisme dans l’Eglise ! Puis devenir plus œcuméniste, en se rapprochant d’autres confessions, ce qui profita aux adversaires de l’Eglise et attira le reproche de relativisme. Puis transformer l’exégèse et l’interprétation des textes fondamentaux, en accordant beaucoup de concessions, ce qui introduisait un regard froid sur les textes, presque protestant. En fait, l’Eglise s’était, écrit Jean-Marie Rouart, résignée à ne plus être seule, à ne plus être très attentive aux textes, le prosélytisme semblant plus important ! Surtout, l’Eglise mit fin à sa pompe artistique enracinée dans la tradition gréco-romaine, telle la vérité portée par la beauté, si bien que le merveilleux chrétien s’estompe « au profit d’un prosaïsme religieux et d’une austérité qui ôte la soutane aux prêtres pour qu’ils ne soient pas trop différents des autres hommes ». L’Eglise sembla de plus en plus influencée par le protestantisme. Et perdre son âme. Le concile a introduit un esprit nouveau en son sein, en faisant appel aux experts, observateurs et journalistes, « il semblait soumettre sa mission à l’examen de l’opinion, de l’actualité, du réel. Surtout à un air du temps profondément marqué par l’influence anglo-saxonne et modelé par le protestantisme ». Il n’y avait plus de vérité absolue, et alors « tout le passé de l’Eglise devient obsolète ». Ce concile Vatican II fut un événement autant théologique que social, médiatique, politique. S’ouvrant aux interprétations progressistes, il perdait « le simple état d’esprit du fils du charpentier qui avec des mots simples, inspiré par Dieu, avait édifié sans effort cette religion qui avait embrasé le monde ». Vatican II a troublé les catholiques, et la France. De Gaulle avait dit : « Jean XXIII a ouvert toutes grandes les vannes, mais il n’a pas su les refermer. C’est comme si un barrage s’était rompu », et « Je ne suis pas sûr que l’Eglise ait eu raison de supprimer les processions, les manifestations extérieures du culte, les chants en latin. On a toujours tort de donner l’apparence de se renier, d’avoir honte de soi-même » ! Le plus grand des griefs est d’avoir voulu protestantialiser l’Eglise !
Jean-Marie Rouart pose alors la question : la religion protestante est-elle compatible avec le catholicisme ? On a inoculé au catholicisme le « venin du libre examen qui mène à l’incrédibilité ». La religion réformée « a prôné le dénuement des premiers temps de Bethléem tentant d’expurger par là même au nom de la simplicité l’héritage artistique gréco-romain que la morale excessivement prude réprouvait ». L’erreur de Vatican II ne fut pas de nouer un dialogue avec la religion réformée mais de se modeler sur elle « poussée par l’air du temps ». Or, ces deux branches du christianisme ne sont pas de la même essence, rappelle Jean-Marie Rouart, puisque c’est une religion du cœur (mettant au cœur l’humain) pour le catholicisme qui est éprise d’unité et une religion de la raison pour le protestantisme qui est morcelé en magistères autonomes. Ces deux branches du christianisme ont créé autour d’elles des sociétés de nature différente. Le protestantisme a donné une société américaine et dans les pays d’Europe du Nord avec des valeurs et une sensibilité propre, où l’on croit aux « élus à qui échoit la grâce divine », tandis qu’avec le catholicisme, dans la société qu’il a créée, à chacun est accordé « la faculté d’être sauvé » et le plus misérable est regardé comme la figure du Christ. Si bien que l’Amérique a eu l’acceptation de l’esclavage puis de la discrimination raciale, alors que « l’Europe s’est montrée allergique de toutes ses fibres ». La différence entre Luther et le catholicisme ne concerne pas seulement les mœurs et la richesse, mais une question théologique. L’approche de la foi n’est pas la même, et l’obstacle entre les deux est insurmontable, puisque le protestantisme insiste sur la grâce, l’idée de prédestination, de libre examen, et semble en fin de compte proche de l’hérésie des premiers temps du christianisme, l’arianisme, qui ne considérait pas le Christ comme un dieu mais voyait sa dimension humaine. Le catholique croit aux miracles, à l’Immaculée Conception et à la Vierge Marie. Il croit à une vie parallèle à la nôtre, au surnaturel, comme dans une vision d’une autre voie possible, qui avancerait dans l’ombre. A l’époque moderne, le protestantisme a fini par imprégner les esprits, il l’a aidé à accoucher en coupant le « cordon ombilical qui le maintenait dans un traditionalisme rural » puisque c’est elle qui a ouvert les portes à l’industrie, au commerce, à la banque. C’est le protestantisme qui a permis l’essor du capitalisme (Marx et Max Weber). Mais, en considérant « les manifestations du surnaturel comme des superstitions, l’imagination comme une source d’erreur, l’art comme du dévergondage, un hédonisme peu sérieux, voire une idolâtrie aux relents païens », le protestantisme « n’a pas eu ce rôle de formidable aiguillon artistique qu’a joué le catholicisme. C’est dans un ordre moral que le protestantisme a mis son action, parlant non à l’imagination mais à la raison, non à l’indigent mais au lettré, non au peuple mais à ses maîtres. » Se fondant sur l’intelligence des textes, sur la lecture, le protestantisme était impensable avant l’invention de l’imprimerie, et n’a donc pu se développer qu’avec la croissance de l’élite sociale !
Il y a donc un grand clivage entre le catholicisme et le protestantisme, que nous montre Jean-Marie Rouart. S’opposant par leur sensibilité d’origine ! « Le catholique a pour le pécheur repenti une insondable tendresse alors que le protestant vénère le juste ; l’un réserve sa pitié pour le pauvre, le déshérité, rêve de lui ressembler, et craint la malédiction qui s’attache au riche, alors que l’autre veut construire un monde d’égalité, de justice, de droit. Le catholique garde vis-à-vis de l’intelligence une sorte de défiance : il sait que le monde est d’origine mystérieuse et que le surnaturel affleure à chaque pas : il en attend des miracles. » Si le protestantisme semble avoir un avantage social sur le catholicisme, Marcel Gauchet dit qu’il y a en lui « une religion de sortie de la religion ». Jean-Marie Rouart poursuit en écrivant que « avec le développement de l’éducation, la grande vogue de la science qui nous enserre dans de filets de plus en plus étroits, le fond d’incrédulité hérité de la Révolution, le protestantisme a miné le socle irrationnel du catholicisme… Cette perte de l’autorité catholique constitue un terrible manque pour la société française qui avait pris l’habitude de se référer en permanence aux préceptes chrétiens. La République n’avait-elle pas à sa manière laïcisé les recommandations des Evangiles ? » Peu à peu, écrit-il, l’Eglise « n’a plus soutenu la France », même si en profondeur restent les réflexes chrétiens. Le pouvoir politique « semblait considérer ses préceptes moraux comme une lettre morte. Le développement de l’humanisme athée, Mai 68… l’empêchaient d’être une référence morale. Elle n’avait plus voix au chapitre dans le domaine éthique… La personne humaine était avec la philosophie platonicienne l’invention du christianisme. Mais cette personne humaine, l’Eglise n’a-t-elle pas été impuissante à la faire respecter » ? D’où son silence face à l’holocauste, le goulag, etc. Un affaiblissement flagrant face à un islam d’une dynamique particulière ! Comme si, en voulant se rapprocher du monde moderne, l’Eglise avait fini par lui ressembler « dans sa misérable inculture, son refus du passé ».
Alors que les inégalités semblent écrire à ciel ouvert qu’il y a des « élus à qui échoit la grâce divine », et qu’il y a tous ceux qui ne le sont pas, les souffrants, les humiliés, les cabossés, les oubliés, les révoltés, les insoumis, dans les conditions d’une nouvelle religion matérialiste dont ceux qui font des profits tiennent les rennes, Jean-Marie Rouart nous rappelle que la personne humaine, c’est le christianisme et la philosophie platonicienne qui l’a reconnue, l’a accueillie par une douce parole mélodieuse et avec des résonances étrangement féminines ! Qui a depuis deux mille ans ouvert la porte sur l’imagination d’un monde meilleur, qui ne peut pas être de ce monde-là, mais comme l’espérance qu’une autre voie reste possible, à inventer. Et cela ne résonne-t-il pas avec cette mystérieuse attente qui habite encore les Français, et qu’a entendue Jean-Marie Rouart ?



Livres du même auteur
et autres lectures...

Copyright e-litterature.net
toute reproduction ne peut se faire sans l'autorisation de l'auteur de la Note ET lien avec Exigence: Littérature

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Se connecter
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.


©e-litterature.net - ACCUEIL