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Sido - Colette
vendredi 19 novembre 2021 par Abdelaziz Ben Arfa

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De tous les livres de Colette, Sido et Les Vrilles de La Vigne est celui dont la lecture me procure une joie immense. Il convient à mon goût littéraire, par cette finesse d’esprit et par cette sensibilité poétique élégante et charmante avec lesquelles l’auteure, Colette, peint sa maison maternelle provinciale, brosse le portrait de sa mère, Sido, ce personnage exceptionnel. Cette mère est une femme qui aime beaucoup son jardin : celui-ci constitue tout son bonheur terrestre. Chaque arbuste est pour elle un antidote. Il soulage ses peines et gratifie ses efforts et ses tâches ménagères qu’elle accomplissait avec un soin minutieux et méticuleux.
J’essaie brièvement d’en donner une idée et de me limiter à un seul aspect de l’œuvre qui motive ma lecture : c’est un chemin solitaire que je fraye à travers ce livre au style touffu, ce livre bien enrichissant qui traite de l’aspect rustique provincial, un livre qui s’adresse à la couche poétique du lecteur. Je me réfère et je renvoie à l’édition du livre de poche qui date de 1979.
Dans Sido et les Vrilles de La Vigne, Colette parle de sa mère, Sido. Elle évoque l’ambiance qui avait régné dans sa famille. Souvent, elle cite les propos tenus par sa mère. Elle décrit sa loquacité orale, son regard qui capte le fuyant, le précaire et l’invisible, et pénètre les intimités profondes des choses, des plantes, des êtres, hommes et femmes. Ses gestes sont prompts, précis, élégants, charmants et efficaces. Quand Sido terminait et achevait ses tâches ménagères qu’elle accomplissait avec un soin méticuleux, elle se réfugiait dans son jardin, son paradis terrestre, son grand bonheur. ’’Là résidait sa joie’’. "’’(elle) entrait dans le jardin, sur-le-champ, tombait son excitation morose et sa rancune". Et plus loin : " toute présence végétale agissait sur elle comme un antidote".
Sido est une vraie femme provinciale. De temps à autre, elle rendait visite à Paris. Quand elle revenait de Paris et regagnait sa demeure dans la province, elle rapportait surtout son regard "Le peu qu’elle goûtait de Paris, tous les deux ans environ, l’approvisionne pour le reste du temps".
Cette femme, Sido, mère de Colette, quand elle parlait, elle charmait sa fille. Elle lui " ôtait la parole et jusqu’à l’effusion". Sa fille Colette décrit les gestes de sa mère :
"Quelle promptitude de main"
"son regard gris"(page 7)
"Elle aimait d’une façon un peu agressive".
C’est dire que ce livre nous éloigne du mentalisme abstrait et aride que dispensent les professeurs universitaires et les doctes du modernisme qui ont accumulé tant de savoir qui provient de l’extérieur et qui ne sont pas de leur for intérieur débordant de créativité, comme c’est le cas ici.
Ce livre de Colette nous convie à banqueter ; il nous aide à acquérir le sens poétique et à civiliser notre comportement existentiel. Il cultive en nous le tact, l’élégance du geste, les tournures d’esprit les plus souples. Il est d’un charme exquis qui nous éloigne de la lourdeur du savoir technique, savant, abstrait, pesant et encombrant, arrogant et outrecuidant qui constitue la fierté de certains doctes.
Ici, dans ce livre, ce qui est offert est une générosité affective, une ambiance poétique débordante. Chaque vibration de l’existence est captée et rendue dans un style riche en touches lumineuses, chatoyantes, en vocables luxueux, précis, choisis, nuancés, savoureux et laborieusement travaillés, parfois rares, en tournures de phrases séduisantes. Ce style focalise sur le trait spécifique qui singularise chaque être humain, de nature à capter son intimité secrète.
On lit Sido et les Vrilles de la Vigne, de Colette, non pas pour accumuler un lourd savoir savant académique mais pour jouir de la vie, pour assouplir nos tournures d’esprit, et nous hisser jusqu’à atteindre les cimes de la sensibilité poétique, et être complice de cette générosité si attentive et si éveillée qui sait capter l’être intime des gens, de l’entourage familial et parental, environnant, de la province, de la nature et des choses. L’art de l’écriture chez Colette brosse des portraits et peint des tableaux. Colette se soucie peu de la structuration d’un ouvrage qui ordonne sa thématique selon les codes hégémoniques et académiques. Sa générosité poétique tend à ne pas subsumer les éléments romanesques en un tout unifié, solidaire et cohérent. Son attention est plutôt portée sur le divers, sur le précaire, sur ce qui est fuyant, sur ce qui ne dure pas sauf s’il est pris par les pincettes d’un beau style, et par une fiction qui le prend en charge, pour le retenir et ne pas le laisser échapper. C’est la vibration de la vie qui l’intéresse. Ici, l’on renoue avec l’émotion que le mentalisme moderne et le rationalisme excessif ont banni. Colette sent, s’émeut et poétise. Elle rend à l’univers son charme et sa saveur. Par exemple, quand sa mère s’absente, elle endure cette absence péniblement, jusqu’à l’étouffement et jusqu’à l’asphyxie :
"Privée d’elle, l’on perdrait la chaleur et le goût de vivre » (page 7).
Et quand sa mère accomplit un acte quotidien, elle l’accomplit si soigneusement, si promptement, avec art, finesse, qu’elle étonne la personne qui l’observe :
"ôtant la parole jusqu’à l’effusion » :
Ce sont des gestes quotidiens, mais, ils revêtent un charme exquis si bien qu’ils s’élèvent à la dignité qui les sublime et qu’un peintre les retient dans son tableau. Et ce tableau est dessiné par les traits que trace, ici, l’écriture de l’écrivaine, Colette :
"Elle parlait, appelait la chatte, observait à la dérobée mon père amaigri, touchait et flairait mes longues tresses pour s’assurer que j’avais brossé mes cheveux…" :
On le voit, l’attention de Sido, mère de Colette est mue et aiguisée par une sensibilité poétique si éveillée qu’elle ne néglige personne : ni sa fille, ni le père, ni la chatte, ni le rameau"
"Elle s’aperçut qu’au géranium prisonnier contre la vitre d’une des fenêtres, sous le rideau de tulle, un rameau pendait, rompu, vivant encore.".
C’est une attitude face au monde, et cette attitude lui apporte son secours et lui rend sa magie.
Par ailleurs, Sido possède un sens critique et un penchant au dénigrement :
"Le sens critique en elle se dressait vigoureux, versatile, chaud et gai comme un jeune lézard"
" Elle happait au vol le trait marquant, la tare".
Cette description focalise surtout sur la rapidité et la promptitude :
"elle happait au vol’’
cependant, quoique rapide, et ’’’’chaud et gai comme un jeune lézard", son élan n’est nullement violent ou agressif. Car, d’un autre côté, elle sait dégager ce qui fait le charme d’une personne :
"Elle signalait d’un éclair les beautés obscures et traversant, lumineuse, des cœurs étroits.’’"
"signalait d’un éclair" : cette expression suggère la rapidité avec laquelle elle saisit l’essentiel, et l’adjectif ""lumineuse" appliquée à Sido est en cohérence avec le terme ’’éclair" ; et ces deux termes accouplés sont mis en rapport d’opposition avec le terme ’’obscurité". Il s’agit, donc, d’une perception à la fois pénétrante, prompte et rapide. Et, l’on remarque l’expressivité du style métaphorique.
En outre, Sido, mère de Colette, est une femme qui possède le sens des rapports humains : elle chérissait, appréciait et accordait ses soins aux visites et aux fêtes :
"une visite banale parfois la laissait cramoisie"
Et, il lui arrive, par exemple, au cours de ces visites ou de ces fêtes de capter, en une seule fois, l’aspect essentiel qui caractérise et qui singularise une personne, par exemple :
" ce qui est signe de caractère acrimonieux"
Colette, de sa part, rend la tonalité de la voix de sa mère, Sido ; elle reprend et cite ses tournures interrogatives et exclamatives, des semblants de phrases :
’’Mais tu as l’air d’une sauteuse de corde"
ou bien :
"-"la bourrasque d’ouest ! cours !"
’’..la porte de remise aux voitures !...et la fenêtre de la chambre du fond !" (page 12)
Selon Colette, sa mère, Sido parlait sans chercher ses mots. On pourrait dire qu’elle est, donc, loquace, sa langue est volubile : elle est éloquente, et sa virtuosité verbale confère à son débit oral un style souple et élégant, efficace et expressif.
L’ambiance qui règne dans ce foyer familial est celle de la paix et de la douceur. à cela s’ajoute le somptueux jardin qui embellit cette demeure si bien que les voisins voulaient en faire autant :
"Peut-être nos voisins imitaient-ils dans leur jardin la paix de notre jardin où les enfants ne se battaient point, où bêtes et gens s’exprimaient avec douceur, un jardin où trente années durant, un mari et une femme vécurent sans s’élever la voix l’un contre l’autre (page 11).
Mais cette paisibilité n’empêchait pas Sido d’être :
"agile et amusante"
ou bien
"il lui échappait des cris nerveux, impatients appels à la liberté"
mais, également :
’’elle atteignait, loyale, la fin de la tâche’’ :
il s’agit donc d’une bonne ménagère qui gère, administre et s’occupe bien son foyer conjugal.
Le style de Colette use d’une palette picturale :
"Les pensées jaunes et violettes" (page 10)
Dans cette province que décrit Colette, les maisons jouissent d’un jardin et d’une cour :
’’Chaque façade cachait un jardin de derrière"
Si Colette emploie le verbe "cacher », c’est peut-être , qu’elle assimile le jardin à un secret ou à un objet précieux qu’il faut garder jalousement et en prendre soin quotidiennement. D’autant plus que :
"Ces jardins donnent le ton au village".
" Dans ces jardins, on vivait l’été, on y lessive, on y fendait le bois l’hiver, on y besognait en toutes saisons"
"De notre jardin, nous entendions Miton éternuer, en bêchant et parler à son chien blanc"
"Au nord, la mère d’Adolphe chantait un petit cantique en bottant des violettes pour l’autel de notre église qui n’a plus de clocher » :
D’après ces citations, nous constatons la simplicité rustique des gens, leur humilité, leur sens du prochain’’ Nous entendions Milon éternuer", l’intérêt qu’ils accordent à l’animal" parler au chien blanc", leur occupation religieuse " en bottant des violettes pour l’autel ».
"fendre le bois", ``bêcher", ’’chanter un petit cantique", "botter des violettes pour l’autel" etc. Colette, en décrivant ces gestes, se focalise sur l’ambiance provinciale, sur la douceur des gens et des bêtes. Tout vit en harmonie. La vie est du côté de la simplicité qui rompt avec la complexité de la ville. En quelque sorte cette simplicité, cette douceur, cette rusticité, cette symbiose entre les animaux et les êtres humains et l’environnement végétal poétisent le monde et le rendent charmant et magique. Comme si, l’on avait affaire à un monde merveilleux, celui des contes.
Collette ne vise pas dans ce livre à construire une intrigue et à concaténer une ligne narrative suivie, ni à dramatiser une scène ; elle tend plutôt à peindre une suite de tableaux, à recréer une ambiance touchante, familiale, provinciale.
Cette ambiance rustique que décrit Colette est curieusement comparable à celle que l’on observe au début du roman" Saison de la Migration vers le nord’’, de Tayeb Salah, l’écrivain arabe, originaire du Soudan :
" Je me laissai, heureux, au bruit du vent. Et par Dieu si je connais dans ce pays, sa forme de joyeux murmure, le vent dans les palmiers ou selon qu’il souffle sur les champs de blé est d’un bruit changeant. J’entends un roucoulement à travers la fenêtre, j’aperçois dans la cour notre vieux palmier au tronc robuste, élancé, ses racines plongeant dans la glèbe et les palmes nonchalantes dont le bouquet vert débordait la cime. Je fus pénétré d’une profonde sécurité. Ainsi ne suis-je pas plume au vent, mais créature, pareille à ce palmier, de haut lignage et de sûre destinée.
Ma mère entra, portant le thé. Ma sœur et mes frères à leur tour vinrent. Mon père les suivait ayant fini sa prière et sa récitation. Aussi, buvant le thé, bavardant comme nous l’avons toujours été, oui la vie était bonne et le monde n’avait pas changé. " (page 10)-in Tayeb Salih- Saison De la migration vers le nord’’, roman traduit de l’arabe en français par Abdelwhab Meddb et Fady Noun- Actes Sud, 1996.
L ’on dirait que, jadis, la rusticité avec sa simplicité et sa douceur, nous avait unis ; et de nos jours, la cité moderne avec sa complexité et sa perversité, nous ont séparés et désunis.
Mais, de nos jours, entre l’obscurantisme de la campagne et la perversité de la ville, nous avons choisi de nous réfugier dans notre bibliothèque. Et, c’est dans cette bibliothèque que nous trouvons, entre autres, ce livre Sido, de Colette, paru en livre de poche, 1979 (l’édition que je possède),
Chez nous, de nos jours, l’ambiance sociale est envenimée par la rivalité entre les partis politiques. Ces leaders politiques ont appauvri la vie sociale et l’ont asphyxiée, si bien que nous cherchons notre salut dans les ouvrages de fiction : Sido, de colette, en est un. Le style de celui-ci est d’une saveur poétique envoûtante, à le lire, l’on constate que son expressivité atteint un esthétisme raffiné. Ses mots, en les goûtant, sous notre langue, en le lisant, ont un goût d’une saveur exquise. Je vous convie, lecteurs, à prendre part à ce festin littéraire.
Ce chemin solitaire qu’a frayé ma modeste lecture à travers ce livre fascinant au style touffu, magique, poétique, envoûtant, dirai-je, même, merveilleux, n’aborde qu’un aspect de l’œuvre : ce n’est qu’un avant- goût : c’est un humble essai qui ne prétend ni à l’exhaustivité, ni à l’exégèse académique. D’autres chemins vers cette œuvre la rentabilisent, peut-être, davantage.

Abdelaziz BEN ARFA



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