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Toute seule - Clotilde Escalle
mercredi 12 janvier 2022 par penvins

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Il y a eu le non dit de la mort de la mère. Il y a cette langue menteuse, langue religieuse, cette langue pleine de bons sentiments qui cache la réalité des choses et la laisse seule avec sa culpabilité à marcher, marcher, toujours marcher dans sa tête. Il lui faut « s’user à marcher, semer l’enfance. »
« Chaque soir, le père lui disait, ce qu’elle voulait entendre, que la mère, dans sa petite maison sous la terre, préparait une soupe aux vermicelles rien que pour elle, et qu’elle prenait soin de sa santé pour leur revenir en pleine forme ».
Ainsi est-elle désormais seule avec son père et doit-elle seule affronter la mort tandis que lui « n’est pas même fichu de prononcer le mot mort devant elle ».
Sa violence, peur de tuer le père en raison de cette haine du faux langage, elle la retourne contre le lézard, elle désire le voir disparaître, si ce n’était le peu de pension qu’il touche.
Elle sera seule avec un double du père - « son père, peintre, et le lézard ne faisaient qu’un, finalement, dans sa tête » à tel point qu’il est parfois difficile de savoir qui est ce vieux, son compagnon (le lézard) ou son père. Seule, donc, avec son père mais seule avec sur le dos sa « maman cercueil ». Il lui faudra attendre que le lézard soit en maison de retraite, pour être toute seule. « Je suis seule. Comme après un tremblement de terre qui aurait englouti toutes les musiques qui servaient à endormir les enfants ». Seule donc parce qu’étant une fois pour toute débarrassée du rêve de grandeur. Capable de distinguer les artistes qui en rêvent et se livrent à la vitesse du monde de « ceux qui doivent écrire [ et qui quoi qu’il arrive] le feront jusqu’à la fin des temps, quitte à traverser le désert ». Parce que - dit-elle à l’écrivain du dimanche : « On croit s’élever, on ne fait pas mieux que le cordonnier ou le serrurier » mais eux ne se font pas d’illusions.
Ici, deux mondes s’opposent, celui de l’illusion de grandeur représentée par cet écrivain qui prétend lui enseigner la modernité de Flaubert et celui d’une exigence d’écriture telle qu’elle ne puisse être arrêtée, exigence de combattre les peintres d’église et « le poison de la bonté à fleur de bouche » qui s’arrange toujours pour ne pas dire la misère : « Si je voulais écrire je dirais toute la misère, la saleté , la noirceur, les ténèbres, la bêtise […] »
On est ici au cœur même de la littérature, non pas celle qui se soucie « de plaire au plus grand nombre dans un temps très court » mais celle que nourrit une exigence de dire l’indicible « ce qu’elle tait, ce qu’elle enfouit profondément » et d’où jaillit une violence contre le langage anesthésiant et méprisant des « grenouilles de bénitiers » mais aussi des peintres et des écrivains qui ne sont mû par aucune nécessité sinon leur narcissisme.
A peine est évoqué : « Parfois un ami de papa […] » mais cela ne peut être lu ailleurs que dans le texte, compris qu’après que ce dernier aura disparu. De ce jour-là seulement.
Un texte remarquable qui invite à « faire sauter la clôture du monde » et à entrer dans le vif du sujet libéré de l’hypocrisie d’une littérature séductrice.



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