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Âme brisée - Akira Mizubayashi

Gallimard, 2019

jeudi 11 août 2022 par Alice Granger

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Dans ses « Remerciements », à la fin de ce roman dédié « A tous les fantômes du monde », l’écrivain japonais Akira Mizubayashi dit que, avançant en âge, il ressent « que nous sommes entourés de fantômes, de morts-vivants, qui se trouvent en peine dans l’espace de l’entre-deux-morts ».
Jacques-Rei est devenu luthier afin de réparer le violon de son père brisé lors de son arrestation à Tokyo par des soldats, en 1938, tandis que faisant partie d’un quatuor de musiciens amateurs ils étaient en train de répéter dans la salle municipale. Arrestation et assassinat de ce père parce que, dans le contexte de la guerre sino-japonaise, ils étaient accusés de comploter contre le Japon. En effet, les amis musiciens de Yu, le père du garçon de onze ans dont le prénom n’était encore que Rei, étaient Chinois ! Ce que son père était en train de témoigner à travers la musique pour son fils Rei, ce qu’il lui transmettait comme leçon de vie vibrante et incarnée à propos de l’humain, se pétrifia, et ne pouvait se retrouver dans un recommencement qui ne serait plus arrêté qu’à travers ce violon ressuscité.
Beaucoup plus tard, alors qu’il est désormais un vieil homme septuagénaire et que le luthier d’exception qu’il est devenu a parfaitement réparé le violon de son père, une violoniste - dont le grand-père, mélomane, était justement ce lieutenant qui parmi les soldats japonais qui arrêtèrent ce père sauva les restes du violon brisé, ainsi que le garçon, Rei, que son père Yu avait eu le temps de cacher dans une armoire européenne – joue avec ce violon ressuscité lors d’un concert ! Alors, miracle, le luthier Jacques-Rei sent que ce violon est vraiment son père, et en même temps son enfant puisqu’il lui a redonné la vie, exactement comme une femme donne la vie, comme faisant la preuve que l’homme aussi peut donner la vie, après l’avoir reçue de son père, qui est ce violon dont l’âme est immortelle, puisqu’elle peut voyager d’humains en humains dans l’espace et le temps ! Avec la résurrection du violon, c’est son père qui est revenu, sous l’aspect qu’il avait ce jour de 1938, à Tokyo, où tout s’était pétrifié (comme à Hiroshima, où toute la famille du lieutenant qui n’avait manifestement pas sa place dans l’armée japonaise avait été décimée par la bombe nucléaire). La musique jouée sur ce violon (et nous verrons laquelle) l’a ramené jusqu’à son fils, est allée le chercher là où il était depuis si longtemps une âme souffrante d’avoir été stoppée net dans son témoignage vibrant et sa transmission à son fils afin que la vie lui étant donnée, il sache comment vivre une vie vraiment incarnée, musicale, sensorielle, poétique. Toute sa vie, ce garçon devenu luthier par fidélité au témoignage et à la transmission de son père qui ainsi avait commencé à lui faire entendre sans pouvoir aller jusqu’au bout ce qu’est un humain surgissant chaque jour par ses vibrations mélodieuses dans une lutte incessante contre l’anéantissement, s’est dévoué à un art en vérité entièrement « au service des émotions humaines ». Ce fils avait perdu ces sons de l’âme humaine qu’il lui faisait entendre, qui était la même chose que lui donner la vie, avec la disparition de son père ! La douleur traumatique s’était installée en lui, mais en même temps, paradoxalement, avait gardé le sens resté vivant « de ce qui vous attache le plus intensément au monde et à la vie ». Ces cordes sensorielles de la vie, qui vibrent. Le mot violon fait entendre le viol de cette âme humaine vibrante, vivante, surgissant de l’intérieur de soi comme la vie chaque jour victorieuse de la mort, par cette violence qu’est la guerre, qui rajoute tant de cruauté au tragique de la vie, qui est mortelle !
En effet, Yu, ce père violoniste, avait perdu sa femme, morte alors que le garçon avait trois ans. Il avait donc transmis à son fils à la fois la sensation du tragique de la vie, qu’à l’extrême fin, il ne reste rien, il y a la fin de tout, civilisation, humanité, planète, système solaire, d’où cette vision de la vie comme une gigantesque hécatombe, mais qu’aussi par l’instrument de musique produisant de la musique comme une résistance et une force capable d’arracher à la mort, en faisant corps avec lui sensoriellement, il lui redonnait la vie chaque jour ! Artiste et poète, ce père avait les mêmes dons qu’une femme pour lui donner la vie, vibrante et incarnée par chacune de ses cordes. Alors, face à ce tragique de la vie, Akira Mizubayashi se demande douloureusement pourquoi rajouter encore tant de cruautés, de tueries, de violences inouïes, avec ces guerres qui peuvent devenir nucléaires ? Guerres qui génèrent justement ces « interminables défilés de fantômes », qui n’ont pas pu vivre ni donner la vie en témoignant et transmettant en vivant eux-mêmes, dont les cordes sensibles n’ont pas pu vibrer en touchant d’autres cordes humaines, dont « les sons de l’âme » de la vie intérieure, « de la plus noire mélancolie comme de la joie la plus profonde » n’ont pas pu se faire entendre à travers des instruments, « grâce aux compositions du passé et du présent et par la médiation d’interprètes hors pair ». Jacques-Rei tient de son père le savoir du tragique de la vie, et que c’est cette mortalité, cette vulnérabilité extrême de la vie, qui fait vibrer les cordes des sens, pour ne rien perdre de ce qui est sans prix, vie oubliant dans l’émotion humaine la mort. Corps vibrant comme le violon lorsque l’archet effleure ses cordes. Ce roman ne raconte pas seulement l’histoire de ce garçon devenu luthier pour réparer le violon brisé de son père, mais sa rencontre avec une femme devenue archetière ! C’est avec son archet que la violoniste jouera, au concert, avec le violon réparé. La rencontre du luthier et de l’archetière vibre à travers ce roman comme une exceptionnelle et véritable histoire d’amour, c’est-à-dire la rencontre de deux âmes sœurs !
Ces défilés de fantômes, de morts-vivants en peine, c’est le temps de guerre où en est encore l’humanité qui les produit ! Akira Mizubayashi, écrivain japonais venu en France se former pour devenir professeur de français, par ce roman, se tourne vers ce temps de paix qu’ouvre cet art qui s’attache à faire vibrer les sons de l’âme qui font que, par-delà le tragique de la vie humaine, elle vaut d’être vécue !
Akira Mizubayashi commence par rappeler ce qu’est l’âme, celle d’un instrument à cordes. C’est une petite pièce de bois, dans le corps de l’instrument, qui maintient à bonne distance la table et le fond, assurant la qualité, la propagation et l’uniformité des vibrations. Nous entendons l’importance de cette distance. La musique, par exemple celle de Schubert pour Adorno, que l’auteur cite, il suffit qu’elle soit, « pour nous assurer qu’un jour nous serons comme elle » (Adorno). Que nous serons corps et âme vibrants ! Comme la musique jouée par le père était, en tant que son témoignage et sa transmission d’humain, pour le petit garçon son fils qui l’écoutait, la promesse qu’un jour il sera comme elle, vibrant !
Le roman, qu’il faut absolument suivre pas à pas comme un fil d’Ariane qui fait sortir l’humanité du temps de guerre, commence par la scène où Rei, collégien de onze ans, lit un livre que lui a conseillé son père, tandis que celui-ci, Yu, balaie la salle de réunion du Centre culturel municipal de Tokyo où avec ses trois jeunes amis musiciens amateurs chinois (deux hommes et une femme), ils vont répéter. Le garçon est très absorbé par l’histoire qu’il lit, comme si c’était aussi celle, très humaine, que lui racontait son père. Ce père s’aperçoit qu’un passage a fait pleurer son fils, celui où un garçon est attaqué à cause de ses parents qui ne sont que des marchands de tofu, bref pour son origine sociale, puis celle où ce garçon n’a pas le courage de se mettre du côté de ses copains maltraités par la bande des aînés si orgueilleux ! Le garçon qui lit est confronté à la loi des plus forts, c’est-à-dire à la guerre, et ne sait pas encore comment vivre pour y échapper absolument ! Au Japon, quelqu’un qui ne respecte pas ses aînés est un traître ! Les aînés, les plus forts, la hiérarchie ! Le père fait alors remarquer à son fils qui a pleuré combien est palpitante, on pourrait dire vibrante, cette scène où le garçon souffre de sa couardise, c’est-à-dire que cette souffrance est déjà une corde qui vibre, qui ne se soumet pas, qui s’échappe, qui ne veut pas perdre son âme en se laissant dicter une loi qui n’est pas celle de l’humaine condition sur terre. Le père fait remarquer combien la mère du garçon, dans le livre, est d’une telle gentillesse ! Sa mère, qui est morte, avait cette même gentillesse spéciale, dit Yu à son fils ! La scène entre le père musicien et le garçon qui lit est interrompue par l’arrivée de son ami français Philippe qui est aussi mélomane, et journaliste correspondant d’un journal français à Tokyo, qui a décidé de rentrer en France, parce que la vie devient difficile au Japon, en 1938 ! Philippe est un personnage important, puisque, avec sa femme, ils adopteront Rei et l’emmèneront en France, après l’assassinat de son père. Philippe ne peut parler plus avec son ami musicien japonais, parce que les trois jeunes musiciens amateurs chinois arrivent pour la répétition. Ceux-ci font partie des rares étudiants chinois « qui ne s’étaient pas laissé enfermer dans l’étroite vision d’un nationalisme exacerbé face à l’animosité réciproque sans cesse croissante depuis l’incident de Manchourie en 1931 » entre la Chine et le Japon désireux d’étendre son empire colonial. Philippe, qui est lui-même aussi un musicien, veut rester un peu, pour écouter la répétition, raison pour laquelle il saura quel était le morceau de musique joué ce jour tragique qui se pétrifiera et pourra donner cette information à son fils adoptif. Rei, jusque-là comme absent tellement il est absorbé par son livre, est ramené à la réalité de la répétition par son père, qui lui demande de saluer ses amis musiciens chinois. C’est alors que le garçon est captivé par la beauté veloutée de la voix de Yanfen, la femme musicienne parmi ces jeunes Chinois, ainsi que par les mots japonais qu’elle prononce. Ce sont ses premiers émois provoqués par une femme ! Il remarque sa robe, ainsi que son visage ovale qui « brillait d’une éclatante blancheur » ! « Ses yeux étaient comme des bijoux renversés reflétant tous azimuts les doux rayons du soleil matinal » ! On dirait que, soudain, à ses yeux, elle incarne sa mère revenue en musicienne, en être humain vibrant, en quelqu’un d’autre qu’une mère biologique, donnant la vie autrement, par la musique de sa voix ! Le garçon est surpris par l’indiscrétion de son propre regard. Et même parce que cette apparition a touché une corde intérieure, profonde, en lui ! Les quatre musiciens amateurs commencent à accorder leurs instruments, vibrant de bonne humeur, mais aussi d’une « infinitésimale dose d’inquiétude mal dissimulée » ! Parce que ce sont des musiciens clandestins, qui savent qu’ils peuvent être arrêtés parce que traitres aux intérêts du Japon par cette amitié scellée par l’amour de la musique plus forte que la haine qui devrait les habiter car appartenant à deux pays en guerre ! Philippe le journaliste et Rei écoutent la musique qui commence, le quatuor à cordes de Schubert. Puis Philippe s’en va, rappelant d’un regard appuyé à Yu qu’ils doivent se voir après la répétition. Le quatuor sino-japonais, « fondé sur le seul principe du plaisir musical partagé », est à l’écart du monde, absorbé par la musique, à la fois à l’écoute de lui-même et des autres vibrant avec cette musique ! Rei, bien que toujours plongé dans son livre, reste étrangement attiré par la femme chinoise musicienne, se demandant comment elle pouvait s’exprimer en japonais avec une telle fluidité, un tel naturel, exactement comme si elle était Japonaise ! Elle fait remarquer aux autres musiciens, des hommes, que Schubert avait noté « Allegro ma non troppo », pour ce début du quatuor à cordes ! Comme pour faire entendre la réalité d’une gravité, mais sans tomber dans un excès de sentimentalisme. Yu, alors, dit que d’après lui, le morceau est « l’expression de la nostalgie pour le monde d’autrefois qui se confond peut-être avec l’enfance peut-être », un monde qui est en tout cas plus paisible et serein, plus harmonieux que le monde en guerre, violent et laid, dans lequel ils vivent. Mais il entend aussi, dans le motif présenté par l’alto et le violoncelle, la présence obstinée de la menace, prête à envahir « la vie apparemment sans trouble ». La mélodie traduit l’angoissante tristesse qui « gît au fond de notre cœur ». Comme si ces musiciens avaient un sens aigu de la réalité de la forclusion des vibrations de ces sons de l’âme venant du plus profond de soi faire vibrer la vie comme si le violon était l’humain, son surgissement à la fois plaintif et victorieux ! L’un des deux musiciens chinois est aussi d’accord à propos de ce motif initial, qu’il esquisse, il est d’une angoissante tristesse, et la femme musicienne, Yanfen, n’y est pas non plus indifférente ! Lorsque le quatuor sino-japonais recommence le début du premier mouvement, « le paysage sonore schubertien apparaissait cette fois nettement plus marqué d’une indicible tristesse », comme si elle annonçait l’inéluctable brisure de l’âme ! Alors, Yu se glisse tout doucement dans la musique avec son violon, et expose « souverainement le premier thème d’une beauté frémissante », jouant les yeux fermés, dans une concentration intérieure détachée de l’univers environnant, pénétrant au cœur de la matière sonore ! Il a donné l’élan ! Le visage rouge, Yanfen dit son plaisir de participer à l’œuvre commune, à ce moment confondant de beauté ! Un des Chinois souligne ce changement de tonalité qui est comme un paysage qui s’éclaircit subitement, comme de la vie donnée, et juste pour un moment ! Ensuite, chacun des membres du quatuor sent que, en son for intérieur, ils gravissent ensemble un chemin montant à un sommet vertigineux, les deux violons parachevant leur tableau de la solitude mélancolique, l’alto et le violoncelle assurant ensemble une basse énergique menaçante en train de monter. Buvant du thé pendant la pause, ils évoquent la solitude du poète Schubert, qui sombre dans une solitude abyssale à cause de la violence d’un monde en folie, et c’est aussi la folie de leur monde en guerre ! Alors, Yu déclare que la mélancolie est une forme de résistance, elle permet de rester lucide dans un monde où l’on a perdu la raison, où un démon de la dépossession individuelle entraîne les humains ! Ils se voient, dans ce pays entier, le Japon, en 1938, tombé « dans ses obsessions bellicistes » et qui semble dévoré par le cancer nationaliste qui divise les individus entre « eux » et « nous » !
Alors, Yu le musicien japonais, un peu plus âgé qu’eux, se montre très curieux de la raison qui a poussé ses amis musiciens chinois à rester quand même au Japon, alors que tous les autres étudiants chinois sont rentrés en Chine. L’attachement de Yanfen au Japon s’entend dans sa façon de parler la langue japonaise presque comme une Japonaise ! L’un des Chinois dit que s’il est Chinois, parle le chinois, il ne s’identifie pas totalement à la Chine, il est avant tout un individu libre, il est d’abord un être humain, avant d’être Chinois ! De même, il ne s’assimile pas non plus à ses amis japonais, qu’il voit avant tout comme des êtres humains ! Leur lien d’amitié va bien au-delà des antagonismes nationaux ! Yanfen se dit indignée par l’expansionnisme colonial de l’Empire japonais, mais elle ne confond pas les individus et l’Etat qui les incorpore ! Avant toute appartenance, chacun doit d’abord, et avant tout, se définir comme un être humain ! Elle-même ne veut pas être réduite à une Chinoise ! Son individualité est autre chose que ce qui est défini par le hasard de sa naissance ! Même si on l’accuse d’être un traître de la nation, Yu le Japonais jure qu’il restera fidèle à cette amitié qui se lie par la musique ! Traitre à la nation se dit en japonais « hikokumin », et c’est le mot que le garçon, Rei, vient de lire dans son livre ! C’est le mot utilisé par la bande des aînés pour tabasser celui qu’ils veulent écraser. Son père lui dit que c’est le mot magique que les puissants du pays emploient pour écraser ceux qui ne leur obéissent pas. Des puissants qui croient occuper le centre du monde et que tout tourne autour d’eux, comme les gens influents qui avaient attaqué Copernic ! Ce vilain mot, dit le père à son fils, déshonore ceux qui l’ont utilisé, non pas ceux à qui il est adressé !
Alors qu’ils vont attaquer le deuxième mouvement du quatuor, Yu veut faire une proposition à ses amis chinois, tandis que son fils ne le quitte pas des yeux ! Yu sent l’asymétrie qu’il y a entre eux et lui, parce qu’ils l’appellent par son nom de famille, alors qu’il les appelle par leur prénom ! Il propose qu’ils l’appellent aussi par son prénom ! Mais l’un de ses amis chinois s’étonne, il sait que c’est presque impossible au Japon d’appeler quelqu’un par son prénom ! Mais Yu propose qu’ils s’appellent les uns les autres comme dans les langues européennes ! Afin que règne entre eux une grande liberté et une parfaite égalité, ce qui est propice à la libération de la langue ! Il dit : nous « devrions être égaux devant la langue et dans la langue » ! Yanfen, la première, acquiesce ! Qu’ils essaient d’instaurer un nouvel espace, une nouvelle manière d’être « entre nous », par l’usage des prénoms respectifs ! Puis elle ajoute que ce sont les étrangers qui peuvent apporter des changements dans notre langue ! Le garçon, témoin de la scène, est stupéfait par l’étrange effet produit par la proposition de son père, par cette leçon de vie qu’il lui donne ! Alors, Yu témoigne de sa propre expérience de la langue française ! Langue qu’il apprend avec son ami français journaliste, Philippe. En français, dit-il, on utilise les mêmes mots avec n’importe quel interlocuteur, qu’il soit garçon de café, chauffeur de taxi, médecin, ministre ! Pour Philippe, dit-il, le français est un bien commun que ses usagers partagent équitablement, et les relations sociales de supériorité et d’infériorité « ne sont plus encastrées dans la langue » comme c’est le cas pour le japonais ! C’est encore Yanfen qui souligne que le partage par tous de la langue comme bien commun facilite les relations sociales horizontales, ce qui tend à restreindre la possibilité de la domination des uns sur les autres ! En japonais, on doit choisir un mot adapté à notre position vis-à-vis de l’interlocuteur. Rei est infiniment intéressé par cette conversation initiée par son père !
Les musiciens commencent à jouer une mélodie « simple, touchante, lancinante, transparente comme un ruisseau de larmes qui coule sur les cordes du premier violon » ! La suavité de la ligne mélodique de ce violon est toute intérieure. Brusquement, la musique est déchirée par le bruit de bottes des soldats qui vont faire irruption ! Yu demande immédiatement à son fils Rei de se cacher dans la grande armoire européenne, avec son livre, et va dans la remise mettre son violon et son archet dans son étui.
Depuis son armoire, par le trou de la serrure, Rei est témoin de la scène brutale. Les soldats japonais en uniforme kaki entrent avec fracas. Un fusil est braqué contre son père. Un soldat s’approche de l’armoire, Rei tremble de peur, il sent l’homme fou de rage ! Le soldat interroge de manière autoritaire son père, dit que le quatuor à cordes de Schubert, ce n’est pas de chez nous. Lorsque le militaire s’adresse à la musicienne chinoise Yanfen, Yu dit que c’est sa femme. Et que les deux autres musiciens, Chinois, sont des étudiants amis qui jouent de la musique avec lui ! Le soldat rétorque que non seulement il joue de la musique « des poilus blancs », ces étrangers douteux de pays ennemis mais en plus, multipliant les fautes graves, il fréquente des « chinetoques » ! Une fureur sourde empourpre le visage du soldat ! Comment Yu peut-il musiquer avec ses « invités » alors que le Japon est en guerre contre la Chine ? Yu tente de dire que la musique est le patrimoine de l’humanité, qu’elle traverse les frontières, en vain ! Les mots de son père arrivent jusqu’à son fils caché dans l’armoire comme des mots d’adieu, et il ne veut pas en perdre un seul ! Le soldat exaspéré crache au visage de son père, en disant que la musique est du camouflage. Alors, Yu veut lui prouver qu’ils font bien de la musique en proposant d’aller chercher son violon dans la remise. Lorsqu’il revient avec, le soldat furieux l’arrache de ses mains, donne un coup de poing à Yu en plein visage, et balance le violon par terre, puis l’écrase de ses lourdes bottes ! Le violon se brise en poussant un cri d’agonie comme un animal mourant ! Rei est pétrifié de peur, et se recroqueville sur lui-même. S’éternisent dans son oreille les sons plaintifs et dissonants du « violon mourant de son père » et le mot hideux, « hikokumin » ! A ce moment-là, arrive un militaire de haute stature, et, en disant qu’il n’y a rien de suspect, il demande ce qu’il se passe ! Le soldat répond qu’il interroge ces individus prétendant faire de la musique, mais qui selon lui tiennent une réunion clandestine ! Le militaire écoute le soldat subalterne, mais surtout, fixe le violon brisé au sol, puis lui demande s’il sait ce que coûte un tel violon ! Puis il s’avère qu’il connaît l’œuvre de Schubert que jouait le quatuor sino-japonais ! Une œuvre magnifique, dit-il ! Il est visiblement peiné pour le violon brisé, semble voir à travers lui l’âme brisée en deux ! Yu lui dit qu’il s’agit d’un instrument ancien fait par un luthier français, Nicolas François Vuillaume, qu’il date de 1857. Alors, le militaire demande à Yu de jouer quelque chose en prenant le violon de son ami chinois, « Rosamunde » par exemple, avec sa femme (Yanfen) et ses amis. Mais Yu propose de jouer du Bach, et une « musique recueillie, calme, sereine, profonde, d’une clarté transparente, s’éleva lentement dans le silence presque religieux que rien ne troublait, que personne n’osait rompre » ! De son armoire, Rei voit son père jouer les yeux fermés. La musique fait d’abord entendre le bonheur d’exister, un matin ensoleillé, et la joie de découvrir un environnement poétique. Puis la musique change, elle traduit l’inquiétude de l’adolescent, l’arrivée de nuages noirs, puis la joie revient, dans un désir de broder intérieurement, à l’infini, comme pour dire l’attachement fidèle et tenace du compositeur « à cette petite mélodie folâtre », comme l’affection inconditionnelle pour une chanson simple de l’enfance, toujours prête à resurgir à tous les âges de la vie ! Yu se concentre sur la dernière apparition du thème ! La dernière note est suivie d’un long silence ! Le militaire dit à Yu qu’il a magnifiquement joué ! Il tente de dire aux soldats qu’il est maintenant clair qu’ils faisaient de la musique et que tous les soupçons sont levés ! Mais arrive l’ordre d’emmener tous les musiciens au Quartier général, pour un interrogatoire « des suspects » ! Le militaire chuchote à Yu qu’il espère que lui et sa femme seront rapidement libérés ! La salle reste vide, seul le militaire est encore là, et il pose son regard sur le violon mutilé ! Il le prend délicatement, comme si c’était le corps d’un accidenté ou d’une victime d’un bombardement aveugle, se demandant ce qu’il en fera. Puis il remarque l’armoire européenne, l’ouvre lentement, et découvre le garçon tremblotant, et son livre. Le lieutenant en lit le titre : « « Dites-moi comment vous allez vivre ». Il sourit à l’enfant. Une voix appelle le militaire, et le garçon entend son nom : Kurokami. Celui-ci tend alors le violon brisé qui a l’air d’un animal souffrant au garçon, et il s’en va en refermant la porte de l’armoire, pour que les deux soldats venus chercher le militaire qui s’était attardé ne le voient pas ! Les voix s’éloignent, et le garçon reste dans le noir, avec le violon brisé de son père. Dans ses oreilles, résonne le chant faible de cigales comme en train de mourir. Il sait que ce sont des acouphènes, mot que lui avait appris son père ! C’est le bruit du silence ! Il n’y a plus personne. Il sort de sa cachette, avec le violon brisé et son livre ! Il est désemparé, désormais séparé de son père ! Son papa reviendra-t-il ? Il se dirige vers sa maison, en commençant à protéger le violon « contre les méchancetés diaboliques d’un chasseur acharné ». Sur le chemin, un chien sans collier ni laisse, comme errant, se met à le suivre, remuant la queue, restant à distance, comme pour lui faire comprendre que lui aussi est seul ! Bientôt, le chien est dans les bras du garçon qui, n’ayant pas la clef, ne peut rentrer chez lui, et doit attendre dehors que son père revienne. Mais celui-ci ne rentrera jamais. C’est le journaliste français, son ami, Philippe, qui avait rendez-vous avec lui après la répétition, qui trouve le garçon et prend soin de lui. Bientôt, avec sa femme, ils l’emmènent en France, et l’adoptent. Voilà, tout est en place, mais pétrifié, pour que, beaucoup plus tard, devenu luthier, celui qui s’appellera désormais Jacques-Rei retrouve autrement cette scène tragique du passé, le livre qu’il lisait, la musique que jouaient son père et ses amis, la témoin de jadis qu’est Yanfen toujours vivante, le militaire japonais mélomane qui avait sauvé le violon brisé à travers sa petite-fille devenue violoniste, Rosamunde qu’il voulait entendre, jouée par Yu. C’est le violon, réparé par le luthier qu’est devenu Jacques-Rei, qui permet de faire vibrer la scène tragique du passé dans un présent où l’âme humaine peut enfin faire entendre ses sons !
Jacques-Rei, beaucoup plus tard, est devenu luthier, c’est-à-dire, surtout, un soigneur de violon ! Il est un vieil homme aux cheveux blancs. Le téléphone sonne. Hélène, sa femme, archetière, lui dit qu’une Japonaise de vingt-trois ans a remporté le premier prix au concours international de violon, à Berlin. Elle s’appelle Midori Yamazaki. Elle veut savoir si ce nom lui dit quelque chose. Il dit que désormais c’est courant, une Japonaise ou un Japonais qui remportent un prix à un concours international. Elle raccroche. Le vieil homme est dans son atelier de luthier. Un chien est près de lui, il s’appelle Momo, comme le nom qu’il avait donné au chien errant, jadis, qui l’avait suivi lorsqu’il rentra seul à la maison après l’arrestation de son père. Il devient songeur, et s’enfonce dans un état de recueillement silencieux, comme si le passé figé se rapprochait, et qu’il s’ouvrait à lui ! Un homme d’une trentaine d’années arrive, il veut que son violon soit réparé d’urgence, et c’est avec une grande émotion que le vieux luthier s’aperçoit que c’est un Vuillaume, comme le violon de son père ! Il s’occupe de ce violon qui a besoin d’être « soigné » ! Il déplace son « âme » juste d’un millimètre. Un violon, dit-il, est un être sensible ! Pendant ses longues années de formation, Jacques-Rei avait été beaucoup mis à l’épreuve par cette pièce maîtresse du violon, justement « l’âme » ! L’homme le remercie, lui dit qu’il est un sauveur ! L’homme regarde la collection de violons du vieux luthier, et en remarque un, qui semble différent des autres ! Jacques-Rei est stupéfait par sa sensibilité à la différence !
Le passé se rapproche, en effet ! Hélène montre à Jacques-Rei un entrefilet, dans Libé, qui parle de la jeune violoniste japonaise qui a gagné le premier prix du Concours international, à Berlin. Son parcours est très brillant ! Elle est née dans une famille de musiciens amateurs, mais c’est surtout son grand-père maternel qui a joué un rôle dans son éveil à la musique ! Hélène, comme si elle avait un sixième sens, voudrait l’entendre jouer un jour ! Nous sentons commencer à revenir vibrer dans aujourd’hui quelque chose du passé qui n’a pas passé, comme des âmes en peine qui n’ont pas pu s’en aller en paix, ayant transmis ce qu’elles voulaient transmettre, quelque chose de si humain qu’il est universel !
Comment le luthier avait-il rencontré Hélène l’archetière, son âme sœur ? A Mirecourt, petite ville des Vosges, capitale de la lutherie française ! Ils étaient jeunes tous les deux. Jacques-Rei ne s’était pas épanoui dans ses études de lettres à la Sorbonne, sentant que quelque chose d’essentiel lui manquait ! Alors, il revint à son rêve d’enfant, devenir luthier ! Son environnement familial ne lui avait pas permis de devenir violoniste, alors il s’était tourné vers la fabrication d’instruments à cordes, meilleure façon de rester « dans le vaste monde des émotions foisonnantes et profondes qui en émanaient ». Pour cela, il était allé à Mirecourt. Hélène y était venue très jeune, à seize ans, ayant accompagné ses parents, altistes professionnels, dans leur voyage vers la ville vosgienne ! Voyage qui décida de son avenir. Elle fut frappée par le métier d’archetier, lorsqu’elle entra dans l’atelier d’un maître archetier ! Ce sont ses parents qui lui enseignèrent que la sonorité de leur instrument changeait sensiblement en fonction de l’archet qui était pour eux le prolongement de leur gras droit ! Deux ans plus tard, elle revint dans la ville vosgienne pour apprendre l’art de l’archèterie ! Jacques-Rei et Hélène ont chacun commencé à se former auprès d’un maître renommé. Ils semblaient s’être jetés dans un même moule, et sans se connaître, leurs vies d’artisans se ressemblaient comme deux gouttes d’eau, simple, régulière, frugale, la même ardeur au travail ! Ils menaient une vie monacale, se faisant tout ouïe pour l’enseignement du maître, ne perdant de vue aucun de ses gestes. Au bout de trois ans, « ils se rencontrèrent, comme guidés par une intelligence supérieure aimant à rapprocher deux cœurs qui se ressemblent » ! Les deux ateliers où ils se formaient étaient proches. Un jour, Jacques-Rei, se rendant pour la première fois dans l’atelier où elle était en formation, pour remettre une enveloppe au vieux maître, en se retournant, voit la jeune femme devant son établi. Il croyait naïvement qu’il n’y avait que des archetiers, pas d’archetière ! Il vit la jeune femme en train de chercher à plier tout doucement une baguette en la réchauffant au-dessus par une flamme afin d’obtenir une bonne cambrure d’arc, et, se sentant observée, elle leva la tête et lui sourit tout en restant concentrée sur son ouvrage. Un grand silence régnait. Il se retira sur la pointe des pieds, et, rentré chez lui, il griffonna dans son journal sa rencontre inattendue avec une mystérieuse archetière qui avait commencé à faire vibrer ses cordes ! Il resta éveillé jusqu’à une heure tardive de la nuit ! Des semaines passèrent, et ne resta que l’empreinte du sourire échangé. La deuxième rencontre eut lieu lors de leur retour respectif de courtes vacances. Ils descendaient du même train, leurs regards se croisèrent, ils se reconnurent, et trouvèrent un endroit calme dans un café ! Là, elle lui parle du bois spécial pour la fabrication d’un archet, le pernambouc, qu’on réveille, pour la cambrure, de plusieurs dizaines d’années de sommeil de séchage. C’est un arbre qui ne pousse qu’au Brésil. Elle dit que c’est la passion qui a emmené ce bois si loin, techniquement et géographiquement ! Jacques-Rei lui parle à son tour des différents bois nécessaires à la création des instruments à cordes, l’épicéa pour la table, l’érable pour le fond, le manche, les éclisses, le chevalet, l’ébène pour… etc. Tous les deux doivent travailler des bois qui requièrent des années de séchage naturel, donc une longue attente ! La fabrication de l’archet demande un effort constant et une patience infinie. « Ils se regardèrent et s’émerveillèrent, chacun en son for intérieur, devant le hasard et la nécessité du destin qui les avait poussés à venir s’initier dans cette ville vosgienne aux mystères de la production des sons musicaux ». Deux années se passèrent encore, mais la rencontre à la gare avait changé quelque chose : ils se virent d’abord toutes les deux, trois semaines, puis chaque semaine, mangeaient parfois ensemble, puis se disaient au revoir. Un jour, les mots s’échappèrent de la bouche d’Hélène : « Plus tard, peut-être que quelqu’un jouera d’un de tes violons avec un de mes archets ! » Et elle devint toute rouge ! Pourquoi pas, lui répondit Jacques-Rei en la regardant droit dans les yeux ! Nous pressentons que ce sont les cordes du violon réparé du père qui vibreront avec l’archet fabriqué par Hélène, et pourquoi la violoniste qui jouera avec ne peut pas être n’importe laquelle, ne peut être que la petite-fille du militaire qui avait sauvé ce violon et l’avait remis entre les mains du jeune Rei ! Le militaire japonais qui, par ce geste, avait choisi la voie de la paix entre les humains habitant la planète !
Etrangement, tout en ne pouvant s’empêcher de voir sa vie confondue avec celle de Jacques-Rei, Hélène vit encore longtemps dans une incertitude déstabilisante, et l’on pense à l’âme qui, dans le corps d’un violon, est cette petite pièce de bois maintenant à bonne distance la table et le fond, assurant la qualité, la propagation et l’uniformité des vibrations ! La bonne distance est également maintenue entre Jacques-Rei et Hélène par l’âme qui, désormais, n’est plus brisée ! Et puis, un jour de printemps pluvieux, l’inattendu arrive ! Jacques propose à Hélène d’aller manger dans un « vrai » restaurant, dont le nom est « Au buisson ardent » ! Tandis que le silence s’installe entre eux, Hélène s’attend à ce que Jacques prononce des mots tendres, tandis que lui résiste à les prononcer… Enfin, il lui dit qu’il vient de prendre une décision importante ! On sent le cœur d’Hélène battre fort ! Et puis, c’est autre chose ! Jacques-Rei lui dit son intention d’aller poursuivre sa formation à Crémone, où un maître accepte de le prendre. Hélène est interdite, elle croyait que leur vie à Mirecourt allait se continuer comme ça longtemps ! Elle est en train de s’effondrer. Mais Jacques-Rei manifeste le désir d’en dire plus sur le projet qu’il a depuis longtemps et qui fait que sa formation à Mirecourt n’est qu’une étape pour devenir luthier ! Ses paroles font qu’Hélène relève la tête et cache ses larmes. Il lui confie que ses doutes à propos de son avenir de luthier se sont dissipés en même temps qu’il a commencé à rêver à son avenir de luthier à côté de son avenir à elle comme archetière ! Il ajoute que s’ils sont venus ici chacun de leur côté, où a eu lieu la rencontre, c’était pour qu’il puisse lui confier ce projet, et bien sûr la route sera longue ! Le cœur d’Hélène s’ouvre, et Jacques-Rei peut enfin lui raconter son histoire, pourquoi il a un nom français mais un physique asiatique. Il était japonais, est devenu orphelin, et a été adopté par Philippe Maillard et sa femme ! Il évoque l’armoire justement européenne où son père l’avait caché. Avant de se quitter, ce soir-là, ils s’embrassèrent longuement pour la première fois. Le départ était pour dans quinze jours !
C’est donc par Hélène que s’ouvre la piste menant à ce militaire mélomane qui, lors de l’arrestation du père de Rei, sauva le violon brisé et le garçon caché dans l’armoire européenne ! Elle parle donc à Jacques-Rei, en rentrant un soir d’hiver, de cette jeune violoniste japonaise, Midori Yamazaki, sûrement parce que cela commence à vibrer, pour elle, avec l’histoire qu’il lui a racontée, celle du militaire japonais si différent des autres soldats qui avaient maltraité et arrêté son père et brisé son violon. En effet, elle lui dit que son grand-père avait été officier de l’armée de terre, mais que cela ne l’avait pas empêché d’être mélomane ! Jacques-Rei admet qu’il y a en effet des indices troublants ! Il plonge dans un abîme de souvenirs meurtris et de pensées tristes, il commence le voyage avec les retrouvailles, et peut-être la possibilité de savoir ce qui est arrivé à son père après l’arrestation, de mettre des mots là où restait une fixation très douloureuse, et une peur dissimulée, refoulée au fond de son cœur. Transplanté dans le contexte français, avec cette nouvelle famille très aimante, il avait perdu l’habitude de parler en japonais, et même de lire et écrire cette langue. Ses parents adoptifs lui avaient donné le prénom Jacques, qui était celui du plus grand violoniste de l’époque. Son prénom français et son prénom japonais allaient se soutenir, se renforcer mutuellement ! C’est tandis que le désir lui revint peu à peu de garder près de lui la langue de son père disparu qu’il rouvrit le livre qu’il lisait lors de cette répétition, à Tokyo, où son père fut arrêté : « Dites-moi comment vous allez vivre » ! Un livre contemporain du choc traumatique ! Mais aussi, un livre conseillé par son père. En le lisant à nouveau, il eut l’impression de commencer à sortir du cauchemar ! C’est en relisant inlassablement ce livre, qui faisait lien renoué avec son père, qu’il prit l’habitude d’écrire dans cette langue japonaise, dans un cahier vert, son jardin secret, où lui revenait d’une région reculée et obscure de son âme d’enfant ce qu’il avait laissé à Tokyo ! Plus tard, à l’adolescence, dans le cahier il put aussi écrire en français.
Donc, Jacques-Rei put écrire en Japonais à la violoniste Midori Yamazaki ! Le livre de son enfance, conservé et emmené en France, a gardé intact le lien de cette langue, fil d’Ariane pour retrouver et surtout écrire les parties manquantes de l’histoire passée. Même si la violoniste était venue en France pour sa formation et parlait donc sûrement le français, il avait préféré lui écrire en japonais ! Car ce qu’il voulait lui dire concernait la couche la plus profonde et la plus ancienne de son existence, et surtout l’événement vécu en japonais soixante-cinq ans auparavant, et resté congelé, pétrifié, comme si le temps avait été assassiné ! Dans cette lettre, il évoque le lieutenant Kurokami, dont il avait entendu le nom depuis sa cachette dans l’armoire européenne ! Une semaine après, arrive en réponse la lettre de la violoniste, qui confirme que son grand-père était bien ce militaire sauveur du violon brisé, Kengo Kurakami ! Il était mort en 1993. Pour Jacques-Rei, par cette lettre, le temps « se défossilisait, recommençait à trembler » ! Et l’allégresse musicale !
Jacques-Rei va la voir à Tokyo, où il revient pour la première fois depuis la perte de son père ! Il est devenu un vieil homme, il a soixante-seize ans. La violoniste trouve étrange qu’il parle aussi naturellement le japonais. Elle lui dit que cela s’entend, qu’il vient d’ailleurs. Il est donc en présence de la petite-fille du lieutenant qui sauva le violon brisé ! Il veut en savoir plus sur cet homme qui fut si important pour son avenir de luthier, la rencontre avec lui ce jour tragique n’ayant duré qu’une dizaine de minutes. Ce dont il se rappelle parfaitement, c’est de son vague sourire, lorsqu’il lui avait donné le violon de son père ! Son nom, prononcé par un soldat, était, lui, resté gravé dans sa mémoire ! Qui signifiait « cheveux noirs », avait-il noté ! Elle rectifie : non, « Dieu Noir » ! Un nom de famille extrêmement rare, originaire de la province d’Hiroshima ! Depuis sa cachette, il avait donc vu « Dieu Noir » ! Un « Dieu Noir » sorti du cœur le plus noir de l’obscurité cauchemardesque, qui avait sauvé à la fois le violon et le garçon ! Apprenant que c’était Hélène qui avait eu l’intuition qu’elle était le fil d’Ariane menant à l’histoire traumatique gelée et à son dégel possible, à l’écriture des morceaux manquants, elle témoigne d’à quel point ils font un couple, comme le violon et l’archet ! Il lui raconte combien Hélène a été sensible au « lien secret et invisible qui m’unit à vous », et qui vibrait avec l’importance qu’elle accordait au rôle d’éducateur de son grand-père ! Partageant avec la violoniste et sa mère le repas, il retrouve les saveurs de jadis, celle de la cuisine familiale ! C’est un plaisir immense, celui de retrouvailles ! Un délice absolu ! Il se revoit enfant, assis sur des tatamis, en face de son père ! Son père lui apparaît, avec un tablier de cuisine, s’affairant à faire de petits plats ! Avec du bon riz japonais, aujourd’hui il se sent emporté brusquement vers le sombre territoire de son enfance révolue ! La violoniste a l’impression que le corps de ce vieil homme est habité par quelqu’un d’autre ! C’est un vieil enfant, que la mère et la fille regardent manger, à Tokyo. Il est plein de gratitude, elles lui ont permis de retrouver son père ! Puis la petite fille évoque son grand-père, qui malgré son grand-âge, quatre-vingt-neuf ans, avait voulu faire un voyage en Europe, afin de montrer à sa petite-fille de onze ans « le berceau de la musique qu’elle étudiait tous les jours » ! Après Berlin, Prague, Vienne, Milan, ils étaient arrivés à Mirecourt, où il tenait à aller. Il avait dit à sa petite-fille que pour que la musique arrive jusqu’à eux, il faut des compositeurs qui créent la musique, il faut des interprètes, mais il faut aussi des gens qui fabriquent leurs instruments, leurs violons et leurs archets, il faut le concours de ces trois catégories. Sinon, pas de musique ! Pourquoi le vieil homme avait-il tant tenu à venir à Méricourt, se demande Jacques-Rei ? Puis il se souvient que son père lui avait dit que son violon était de Nicolas François Vuillaume, originaire de Mirecourt ! C’étaient les paroles de son père, ce jour tragique, qui avaient conduit tant d’années plus tard le vieux militaire mélomane à Mirecourt ! Sa petite-fille, célèbre violoniste internationale, poursuit à propos de son grand-père. C’était un homme qui ne parlait pas, dont le caractère était renfermé, taciturne, toute sa famille avait été tuée à Hiroshima, calcinée. Lui, il avait été sauvé parce que ce jour-là de la bombe atomique, il vivait à Tokyo, il était officier de l’armée de terre ! Très paradoxalement, c’était l’armée qui l’avait sauvé ! Il avait vu les horreurs d’Hiroshima, et il n’a jamais pu en parler, comme s’il n’en était jamais revenu ! La guerre s’étant terminée en 1945, il avait quitté l’armée, faisant différents métiers, dont un emploi chez un éditeur. Mélomane, il aimait surtout les quatuors à cordes, Mozart, Schubert, Beethoven. Parce que c’était exactement le contraire de la musique militaire, qu’il détestait ! Il disait que cette musique enlevait à l’homme son essence individuelle ! Il se réfugiait dans la solitude de la musique pour échapper à l’emballement collectif pour la musique militaire ! Il y eut des périodes où il écoutait, justement, Rosamunde, en boucles, et aussi « La jeune fille et la mort » ! La musique était nécessaire à l’équilibre de son psychisme si fragilisé par la guerre ! Jamais il ne parla à sa petite-fille de sa vie de militaire ! Sauf une fois, évoquant les atrocités commises, toujours au nom de l’Empereur ! Puis il sombra dans une absence méditative ! Jacques-Rei prend alors la parole, pour dire que le lieutenant Kurokami était un rescapé d’Hiroshima, un mort-vivant, ou bien un vivant-mort. Et il ajoute qu’il est un peu comme ça lui aussi ! Car il a grandi au milieu d’une hécatombe : la guerre l’a privé de toute sa famille, réduite à son père, qui avait perdu jeune ses parents, puis sa femme morte lorsque Rei avait trois ans ! Les parents de sa mère sont morts de chagrin, après la disparition de leur fille.
Après son voyage en Europe, le grand-père de la violoniste a rapidement sombré dans une démence sénile. Dans son délire, il se désolait de n’avoir rien pu faire ! Et il se demandait ce qu’était devenu le garçon ! Seule la musique pouvait l’apaiser !
Soudain, Jacques-Rei dit à la violoniste et à sa mère quelle était la musique que son père et ses amis chinois répétaient le jour de l’arrestation : Rosamunde ! A l’époque, le garçon qui écoutait savait juste que c’était un quatuor à cordes de Schubert ! C’est son père adoptif Philippe, le journaliste français, qui avait assisté au début de la répétition et avait gardé de ce moment une émotion vive, qui lui avait dit le nom de la musique jouée ! Le nom, Rosamunde, vibre à nouveau. Puis un autre morceau, joué en solo par son père ce jour-là, après l’arrivée des soldats, à la demande du lieutenant Kurokami, avec le violon d’un des musiciens chinois. Le garçon ne pouvait pas savoir quel était ce morceau joué. Plus personne ne pouvait le lui dire ! Mais un jour, il eut une illumination en écoutant la « Gavotte en rondeau » dans la troisième « Partita pour violon seul » de Bach ! En racontant cela à la violoniste et à sa mère, Jacques-Rei perd son souffle d’émotion, et Midori s’exclame que c’est extraordinaire, « la musique de Bach a fait fondre toute l’épaisseur du temps » ! Et en effet, le vieil homme retrouve juste en nommant le morceau de musique l’émotion intacte vécue depuis sa cachette dans l’armoire européenne ! Il avait su le nom de cette musique demandée à son père par le grand-père de la violoniste peu après son installation à Paris, en 1972. La distance de trente ans fut abolie d’un seul coup, comme si ce jour-là c’était vraiment son père qui jouait ! Aussitôt, la mère de la violoniste, fille du lieutenant Kurokami, se mit à jouer au piano « La Gavotte en rondeau ». La violoniste confirme que son grand-père écoutait souvent les « Sonates et Partitas » de Bach ! Et c’était la version de Menuhin qu’il préférait ! Non seulement son père revient à travers la musique jouée ce jour tragique, mais aussi le lieutenant Kurokami, homme de qualité, se présente vraiment au vieil homme, avec tant d’années de retard, il devient vivant, et s’écrivent les parties de l’histoire, d’une rencontre, qui n’avaient pas pu se vivre, laissant des âmes en peine, des morts-vivants !
Jacques-Rei raconte alors combien de temps il lui a fallu pour réparer le violon de son père, si abimé ! Même son maître lui avait dit que c’était impossible, mais il avait tenu bon ! Presque tout était à refaire ! Midori, la violoniste, ponctue : « C’était presque une fabrication nouvelle » ! Il est d’accord, mais il a quand même pu sauver tout ce qui était sauvable, il voulait ramener le violon de son père à son état initial, afin de pouvoir recommencer à lui, son âme réparée, neuve ! Par une chirurgie radicale ! Jacques-Rei sombre dans un silence « ouvert comme une grotte sombre et profonde » conduisant au passé ténébreux où coulait un flux d’images vivantes, de souvenirs impérissables. Et tout son parcours de luthier revient aussi ! La rencontre avec Hélène, surtout ! Son maître avait surveillé avec bienveillance l’acharnement avec lequel son disciple s’investissait dans sa formation de luthier, afin de pouvoir un jour restaurer le violon de son père brisé il y avait trente-deux ans, et qui n’avait même pas la valeur d’un vrai instrument de maître ancien ! Un jour, son maître lui avait dit qu’il pouvait désormais voler de ses propres ailes ! C’est ainsi qu’en 1971, avec Hélène, il s’est établi enfin à son compte, à Paris. Tellement pris par son travail, il avait fort peu pensé à son père, sans jamais l’oublier ! Il se fit une belle réputation, et enfin il eut la sérénité d’âme nécessaire au travail de réparation et de restauration du violon de son père, après cette longue période de solitude, dans l’atelier, face à l’instrument mutilé qui, désormais, retrouvait très lentement son visage initial, sa santé, comme si c’était son père lui-même, son âme !
La rencontre avec la violoniste et sa mère, à Tokyo, permet alors, lorsqu’elles sortent un album de photos, de retrouver le visage du militaire qui avait sauvé le violon, celui du « Dieu Noir » qu’il n’avait vu alors qu’à contre-jour ! Soudain, Jacques-Rei sort de son étui le violon de son père restauré ! Il était venu à cette rencontre avec ! Il dit à la violoniste que grâce à son grand-père, il a survécu à son meurtre ! Au cours de sa restauration, il avait retrouvé sa signature à l’intérieur. Il s’agit du violon du petit frère de Vuillaume ! Son père avait-il eu le temps de donner ce détail au lieutenant ? La violoniste dit que peut-être, oui, et que c’était la raison pour laquelle, si âgé, il avait tenu à venir à Mirecourt ! Soudain, Midori Yamazaki, la violoniste, manifeste son désir de jouer avec le violon du père de Rei assassiné en 1938, sauvé par son grand-père « Dieu Noir » et ressuscité par Jacques-Rei devenu luthier ! Mais elle tient aussi à utiliser l’archet qu’Hélène a fabriqué en pensant à ce violon à l’âme brisé, et alors en restauration ! La violoniste se met évidemment à jouer « La Gavotte en rondeau », que son grand-père avait demandé en 1938 au père du garçon qui était encore Rei ! Le retour au recommencement s’accomplit ! La musique monte et descend avec une liberté euphorique, et évoque « le bonheur de marcher dans un paysage enchanté » ! C’est un instrument vraiment exceptionnel, conclut la violoniste ! Alors, Jacques-Rei, rappelant que de nombreux violonistes voulurent l’acheter après sa restauration et qu’il avait toujours répondu qu’il n’était pas à vendre, l’offre à Midori, en lui demandant d’aider ce violon à grandir, à s’épanouir ! C’est son grand-père qui l’avait sauvé, et qui avait voulu que sa petite-fille devienne violoniste, il est donc normal que ce violon lui revienne, « si vous pensez qu’il peut faire corps avec vous pour faire naître une musique de votre gré » ! Ce violon, qui a besoin de s’exprimer, sera plus heureux chez elle que chez lui ! C’est un merveilleux cadeau, dit-elle très émue ! Ainsi, soixante-cinq ans après, le violon ressuscité par les mains de Jacques-Rei devenu pour cela luthier revient dans la famille de celui qui le lui avait confié, brisé, alors qu’il était caché dans l’armoire protectrice ! Le poids que Jacques-Rei portait comme un boulet jusque-là est soudain miraculeusement allégé ! Il pouvait librement se promener dans la ville de Tokyo, libéré ! Le violon ressuscité était libre de vivre son aventure à travers le temps et l’espace, passant de mains en mains sachant faire vibrer ses cordes, faire corps avec lui ! C’est ce que son père aurait voulu, lui qui, Japonais, osait jouer avec des Chinois mélomane comme lui, en pleine guerre sino-japonaise ! Marchant dans Tokyo, il se souvient que cette ville avait été rasée en 1945 ! Il ne pourra pas retrouver trace du centre culturel où son père et ses amis chinois répétaient ! Ni le lieu où habitaient ses parents ! Pourtant, le miracle se produisit ! A l’emplacement de sa maison d’enfance, il retrouva « le mouvement et le rythme corporels qu’il avait éprouvés et enregistrés ce jour-là, en se dirigeant vers la maison, en compagnie d’un chien shiba qui venait de faire une apparition mystérieuse sur son chemin » ! A la place de sa maison, il y a un pavillon, et pourtant, il se dit que c’était là ! Et le soir, à son hôtel, le chien d’alors, Momo, vint lui rendre visite !
Le recommencement là où le passé avait été pétrifié réservait encore des surprises ! Jacques-Rei, lors de cette répétition, avant l’arrivée des soldats, avait été subjugué par la voix de la femme chinoise musicienne faisant partie du groupe de musiciens amateurs, et qu’un peu plus tard son père présenta comme sa femme aux militaires ! En 2004, un jeune chinois lui envoie un mail, de la part justement de Lin Yanfen, encore en vie, qui lui demande s’il est bien le fils de Yu Mizusawa, qu’elle avait connu à Tokyo en 1937-1938 ! Hospitalisée pour un cancer très avancé, elle avait chargé son petit-neveu de la recherche. Son désir de retrouver le fils de Yu arrêté en 1938 et assassiné était très grand ! Elle l’avait recherché par Internet, et des indices lui disaient que c’était ce luthier ! Dans sa lettre, elle lui parle des souvenirs inoubliables qu’elle garde de ces répétitions, de ce quatuor sino-japonais que son père Yu avait eu l’audace de créer en accueillant des musiciens amateurs chinois malgré les gros risques ! Elle rappelle l’irruption des bruits de bottes, ce jour tragique où tout s’est arrêté, et comment son père l’a caché dans l’armoire européenne ! Elle lui parle même du livre qu’il était en train de lire, et dont elle ne se souvient pas du titre ! Dans sa réponse, immédiate bien sûr, Jacques-Rei lui rappelle le titre du livre ! Lin Yanfen est la seule témoin visuelle vivante de la scène tragique de 1938. Le recommencement devient vraiment vivant ! Dans sa lettre, elle écrit qu’elle veut le revoir parce qu’elle veut lui donner des souvenirs, deux objets, appartenant à son père ! Il va aller la voir à l’hôpital ! Il peut à son tour lui raconter ce qu’elle ignore, c’est-à-dire ce qu’il est devenu après l’arrestation du groupe de musiciens, et qu’il était resté seul dans l’armoire. Il raconte alors que le journaliste français Philippe, qui devait venir voir son père à la maison le soir après la répétition, l’avait trouvé endormi devant sa maison, protégé par la chaleur d’un chien ! Il n’avait pas la clef. Il n’est jamais entré dans sa maison, et Philippe l’a emmené chez lui, puis en France, pour l’adopter, lorsqu’il a compris que son père ne reviendrait jamais. Dans un silence profond, la vieille dame et le fils de Yu, bouleversés par le croisement inattendu de leurs chemins, étaient en intense communion. Lin Yanfen fut prise d’émotion intense en apprenant qu’il était devenu luthier pour ressusciter le violon à l’âme brisée de son père ! La regardant un peu plus tard dormir, il se souvint que ce jour de la répétition, avant que cela ne tourne en tragédie, il avait pour la première fois senti son cœur être renversé par une force obscure montant de ses entrailles, à la vue de son visage d’une éclatante beauté et de son corps frêle et élancé ! Il avait pour la première fois vibré corps et âme, comme un violon ! Se réveillant, elle lui dit qu’elle doit lui restituer ce qui se trouve dans un sac, un livre et un cardigan, mais aussi qu’elle doit lui raconter la partie manquante de l’histoire, à savoir ce qui est arrivé aux musiciens arrêtés, après la scène dont il avait été témoin dans l’armoire. Ce qui était arrivé après la musique de Bach que son père avait jouée, (et qui, dit-elle, avait ému tout le monde), précise Jacques-Rei ! Elle confirme : c’était bien la « Gavotte en rondeau » ! Elle raconte les bouts manquants de l’histoire. Les musiciens avaient été emmenés en maison de détention, mais au bout de vingt-quatre heures, les deux Chinois ont été libérés. Mais pas son père, ni elle (que le père avait dit aux soldats être sa femme !). Les militaires, dit-elle, pensaient qu’elle était la femme de Yu, et pendant toute sa détention, elle avait joué obstinément le rôle de cette épouse ! Lorsqu’elle a été enfin libérée, elle a couru au Centre culturel, pour récupérer son alto, qui avait disparu, mais aussi pour vérifier si l’armoire était vide. Elle fut à la fois soulagée et inquiète en ne voyant pas le garçon qui y avait été caché par son père ! Qu’était-il devenu, se demanda-t-elle depuis lors ! En tant qu’épouse, elle n’eut le droit de voir Yu qu’au bout de quatre jours. Il avait été maltraité, torturé, il était comme un fantôme. Il lui a raconté que la police avait perquisitionné chez lui, avait trouvé des livres, bien sûr jugés suspects, on l’accusait d’être contaminé par les Rouges ! Son unique préoccupation, témoigne-t-elle, c’était son fils, il voulait savoir ce qu’il était devenu ! Puis il avait conseillé à Lin Yanfen de rentrer tout de suite en Chine. Elle ne l’a jamais revu. Elle tenta de le revoir, en vain. Un jour, elle tomba sur ce militaire différent, celui qui avait demandé à Yu de jouer du Bach, et il lui fit comprendre, doucement, que Yu était parti très loin, qu’il ne reviendrait plus ! Alors, elle fut très émue d’apprendre que le luthier qu’il était devenu avait rencontré la petite-fille violoniste de ce militaire mélomane si différent des autres soldats ! Elle comprend que lui aussi souffrait, qu’il n’était pas à sa place dans l’armée ! Ensuite, elle est curieuse de comment il a réussi la restauration du violon à l’âme brisée ! Il lui dit que cela lui a pris douze ans ! Et cette année-là, il a commencé à vivre avec son amie Hélène, archetière ! Il avait cinquante-cinq ans. Ils ne pouvaient commencer à vivre ensemble qu’une fois le violon ressuscité, et c’était avec l’archet créé par Hélène sa femme qu’on pourrait en jouer ! Lin Yanfen est heureuse qu’il ait fait cette rencontre d’exception ! L’âme sœur ! Elle, après la mort de Yu, elle est bien sûr restée seule ! Puis elle prit le sac où il y avait les objets appartenant au père de Jaques-Rei. Elle lui montre un cardigan, et lui apprend qu’il avait appartenu à sa mère, morte alors qu’il avait trois ans ! L’histoire recommence donc même à cette mère ! Elle raconte qu’un soir, elle avait éternué, elle avait froid, et Yu lui avait prêté ce cardigan, puis il lui avait dit de le garder. C’est ainsi que le lien avec cette mère avait été conservé ! Puis, le livre. Yu l’avait avec lui lors de l’arrestation, et il avait réussi à le lui passer, elle l’avait caché dans sa culotte tout le temps qu’avait duré sa garde-à-vue ! Jacques-Rei découvre le titre : « Le Bateau-usine », racontant la vie d’esclaves des travailleurs à bord d’un bateau pêchant entre le Japon et la Russie ! Elle lui apprend que son père aimait lire, et que c’étaient justement certains de ses livres qui lui avaient été fatals ! Et elle note que lui-aussi partage ce goût avec son père dès l’enfance ! Il lisait « Dites-moi comment vous allez vivre », livre conseillé par son père, pendant la répétition ! Un livre audacieux, qui avait pris le risque d’une écriture en direction des jeunes Japonais, défendant l’usage critique de la raison et la supériorité éthique de l’amitié des égaux par rapport à la soumission rampante et aveugle à l’égard des dominants. Jacques-Rei réalise que son père voulait faire de lui un jeune homme capable de rester lucide et de ne pas tomber dans la folie collective, au contraire capable de s’insurger contre elle ! Grâce aux paroles de la vieille dame, son père revient, prend corps, est un humain de qualité, qui témoigne et transmet à son fils ! Il avait la vision de comment son fils allait vivre ! Le violon, même avec l’âme brisée, et le livre, avaient été ses anges gardiens ! Au moment de se quitter, la vieille dame lui dit combien elle est heureuse de l’avoir revu, mais aussi que la disparition de Yu est une blessure qui est restée inguérissable. La réapparition du garçon dans ce luthier devenu aussi un vieil homme lui a apporté un soulagement immense. Elle semble sentir qu’elle peut désormais s’en aller en paix retrouver Yu, elle n’est plus une âme en peine, elle a transmis à son fils ce qu’elle devait lui transmettre des parties manquantes et gelées de son histoire ! Ses paroles ont fait revenir, pour le fils, son père vivant, avec ses qualités humaines d’exception, que rien ne peut faire mourir ! Et ce fils a découvert en cette vieille femme l’amie chinoise de son père, son épouse éphémère, rêvée, imaginaire, une histoire qui, à cause de l’arrestation et de l’assassinat de Yu, n’avait peut-être pas pu se vivre ! Mais que Jacques-Rei a réussi à vivre avec son âme-sœur, l’archetière, Hélène !
La violoniste japonaise petite-fille du lieutenant qui sauva le violon annonce sa venue à Paris pour un concert. Jacques-Rei se réjouit déjà de pouvoir lui présenter Hélène ! Parlant à Hélène de ce prochain concert, celle-ci s’exclame : si c’était possible, il faudrait y inviter ton père et le lieutenant Kurokami ! Mais le violon ressuscité ne réalisera-t-il pas le miracle ? Le jour arrive. Quelqu’un dit à Jacques-Rei que le bruit court que la célèbre violoniste japonaise jouera avec l’un de ses violons ! Le programme annonce que Midori Yamazaki jouera le concerto d’Alban Berg « A la mémoire d’un ange » ! Jacques-Rei se demande ce qui va sortir de la rencontre des quatre cordes de son violon et de la mèche de son archet tenu par les mains de la violoniste japonaise initiée à la musique par son grand-père, « Dieu Noir » ! La violoniste arrive, vêtue d’une veste et d’un pantalon noirs, sobres, comme si elle voulait se fondre dans le corps de l’orchestre ! Hélène sent que la respiration de Jacques-Rei s’accélère ! Jacques-Rei et Hélène savent que « A la mémoire d’un ange » est une œuvre composée à la suite du choc violent de la mort, à dix-huit ans, d’une jeune fille. Le luthier, en écoutant, se sent témoin d’une enfance immaculée de cette fille, et il entend même ses éclats de vie d’enfant marchant joyeusement, jouant gaiement ! Puis le second mouvement, commençant par un « allegro » très violent, fait entendre l’irruption très violente du mal qui conduit à la mort. Le violon se tord de douleur. Puis un calme s’installe, la musique glisse doucement sur le terrain de l’apaisement, atteignant une fin sereine, le violon ne cessant de monter, de note en note, vers l’infini disparaissant dans le silence. Personne n’ose, dans le public, interrompre ce silence. Puis les applaudissements fusent ! Une fois la tension relâchée, Jacques-Rei et Hélène se sentent abattus. Mais la violoniste revient, seule, et commence à parler, tandis qu’un grand calme s’installe ! C’est inhabituel qu’un musicien parle ! Mais elle, elle veut parler de son violon ! Hélène découvre qu’elle a joué avec le violon que Jacques-Rei a ressuscité ! Lui, il l’avait déjà remarqué dès les premières notes, mais n’était pas sûr. La musicienne raconte l’histoire de ce violon à elle prêté par le luthier ! Elle lit le texte qu’elle a écrit, parle du petit garçon caché dans l’armoire, qui a voué sa vie à la restauration, à la résurrection du violon à l’âme brisée, puis elle ajoute que c’est avec l’archet créé par Hélène l’archetière, l’âme sœur du luthier, qu’elle a joué avec ce violon ! Elle dit qu’ils sont parmi le public, elle les présente ! Ils sont ovationnés ! Puis la musicienne, une fois le silence revenu, décide de jouer, avec ce violon et cet archet, deux morceaux ! D’abord la musique que le petit Rei avait entendue jadis, à la répétition, avant l’arrivée des soldats, qui est le premier morceau du quatuor à cordes de Schubert, « Rosamunde », et le deuxième morceau sera celui que le garçon a entendu joué par son père, depuis l’armoire où il était caché. Le premier morceau, la violoniste précise que son grand-père ne l’avait pas entendu, puisqu’il n’était pas là à la répétition, mais qu’il avait su du père du luthier que c’était cette musique que le groupe de musiciens amateurs avait jouée ! Son grand-père, ensuite, écouta inlassablement ce quatuor, « Rosamunde » ! C’est à nouveau la même musique que le jour de la répétition ! Le père de Jacques-Rei revient à travers ce morceau, comme un témoignage et une transmission enfin possible, désaliénée de son gel, de sa pétrification ! Les premières notes de Schubert semblent venir de très loin, d’un autre monde, d’un temps et d’un lieu infiniment éloignés, d’une enfance assassinée, d’une mémoire ancienne déchirée, brisée, le public retient son souffle ! Puis le violon de la violoniste réunit autour de lui trois âmes, jusque-là en peine, celle de Yu le père de Jacques-Rei, celle du lieutenant grand-père de Midori, et aussi celle du garçon Rei, caché dans l’armoire ! Ces trois âmes entrent dans l’ample mélancolie schubertienne. La salle de répétition des musiciens amateurs de 1938 se superpose à la salle Pleyel, Rei se sent caché dans l’armoire, il s’enfonce dans les ténèbres, il frissonne.
Puis, après les louanges à n’en plus finir, la violoniste attaque le deuxième morceau promis. Et bien sûr, il s’agit de la « Gavotte en rondeau », de Bach, que Yu avait interprété pour le lieutenant, en 1938, qui lui avait demandé de jouer quelque chose ! La musicienne dédie cette musique à l’âme de Yu Mizusawa et à celle de Kengo Kurokami. Deux âmes en peine, qui n’avaient rien pu faire contre la guerre, alors qu’eux-mêmes savaient que les humains les plus différents pouvaient se rencontrer paisiblement dans l’art des vibrations sensorielles, les instruments à cordes, tel le violon, représentant le corps devenant vivant par son âme, c’est-à-dire l’apprentissage de l’art des émotions par témoignage et transmission des humains déroulant le fil d’Ariane de l’aventure humaine. Ce témoignage et cette transmission humaine de l’art vibratoire par lequel un humain se sent vivant du plus profond de soi et à l’infini, de tout son corps comme un instrument de musique à cordes peu à peu senti comme un sommet de la création, c’est aussi donner la vie, et un homme aussi, pas seulement une femme, peut la donner, cette vie, et même, homme et femme, alors, donnent la vie autrement, sans la guerre des sexes !
Alors, la violoniste commence à jouer le deuxième morceau, celui de Bach, la « Gavotte en rondeau », en fermant les yeux et imprimant une minute de recueillement afin de penser aux victimes d’Hiroshima, à la famille de son grand-père exterminée, à son grand-père qui avait « honteusement » survécu parce qu’il était dans l’armée. C’est par un thème sautillant que cela commence, comme accompagnant un adolescent parti en promenade à la campagne par un matin ensoleillé, poussé par le bonheur poétique d’exister, d’être un poète enfin, et en tant que tel, si curieux de découvrir la beauté des paysages terrestres et humains. Puis la musique change, fait entendre l’inquiétude refoulée de cet adolescent qui remarque que des nuages noirs s’amoncellent dans le ciel si radieux l’instant d’avant. Mais cet assombrissement, désormais, cède face au retour insistant d’une force intérieure de vie plus forte que la mort, qui se met à broder à l’infini l’attachement sensible et poétique du compositeur à cette petite mélodie folâtre, comme à une chanson simple apprise dans l’enfance, qui n’arrêtera plus de palpiter en soi comme une source intarissable de vie, rejaillissant tout au long de la vie ! Ce thème initial, plus rien ne peut le briser ! Jacques-Rei se sent, par cette musique, habité par une étrange sensation qui le délivre de l’espace-temps gelé de son enfance, et qui le transporte enfin dans le monde qu’il habite réellement avec Hélène, et les autres. Toute la salle est également dans un état de transport rarement observé ! Alors Jacques-Rei aperçoit au fond de la scène son père, qui a la cinquantaine, habillé simplement, il est revenu comme il était lorsqu’il fut assassiné, mais maintenant, avec ce violon ressuscité, avec l’archet fabriqué par Hélène, et la violoniste qui en joue en virtuose et incarne la série infinie des violonistes qui en joueront tandis que ce violon voyagera de cœur en cœur et de mains en mains, il peut disparaître, il n’est plus un fantôme, une âme en peine, cette âme humaine, telle l’âme du violon, reste immortelle. Elle est libre d’aller habiter d’autres humains, qui la transmettront à leur tour, après en avoir été ensemencés comme par les vibrations de la musique. Le père de Jacques-Rei, ressuscité par ces deux morceaux de musique qui font lien avec l’enfance gelée et qui sont joués avec son violon et l’archet d’Hélène, peut s’en aller tandis que son âme n’est plus en peine, car elle reste vivante, ressuscitée, par son violon, par la musique, par la victoire de la paix sur la guerre, parce que la mémoire de paix pour temps de guerre, au moins dans ce roman, est victorieuse, et s’arrache à la guerre. Et Hélène y est pour quelque chose, avec la création de son archet, qui fait sortir les sons de l’âme lorsque la violoniste - puis des violonistes hommes et femmes dans les mains desquels ce violon voyagera - l’utilisera comme un prolongement de sa main pour effleurer les cordes sensibles du violon extraordinaire parce qu’il a ressuscité de la guerre.
Le lendemain du concert, Jacques-Rei va présenter Hélène l’archetière, son épouse et âme sœur, à la violoniste et à sa mère ! C’est elle qui avait reconnu le luthier, l’artisan qui non seulement répare les violons, les instruments à cordes, mais aussi les fabrique, leur donne la vie ! Et elle, avec l’archet qu’elle avait appris à fabriquer pour prolonger la main du musicien, rendait possible de jouer avec ses cordes ! Leurs deux âmes sont en communion, comme par les deux morceaux de musique, l’âme du père de Jacques-Rei et celle du grand-père de la violoniste l’ont été. Alors que jusque-là, elles étaient restées si douloureuses. Véritablement, la musique que la violoniste a jouée avec ce violon ressuscité a réveillé les morts ! Car elle était vraiment incarnée ! Le violon était vraiment le père de Jacques-Rei, et son enfant, celui auquel il a donné la vie vivante, vibrante ! Et curieusement, Akira Mizubayashi ajoute que, tandis que ce père s’éloigne en paix, se sépare, c’est jour de mariage pour son fils ou sa fille, et c’est aussi un événement heureux pour lui, qui a pu transmettre ! Qui confie son violon à la violoniste, la première qui inaugure son vrai voyage à travers les humains dans l’espace mais aussi le temps. Jacques-Rei se tourne vers Hélène et l’embrasse tendrement.
Jacques-Rei entreprend la traduction en français du livre qu’il lisait lors de cette répétition, et que lui avait recommandé, telle sa transmission, son père : « Dites-moi comment vous allez vivre ? » C’est-à-dire, est-ce que vous allez vivre habité par une âme immortelle, qui vous avez laissée migrer au plus profond de vous, que vous avez reçue comme la vie donnée, dont vous témoignerez de manière vibrante, et que vous transmettrez à votre tour ?
Alors, il peut se reconnaître trois figures paternelles, qui lui ont donné la vie, cette âme immortelle capable de migrer d’un humain à l’autre, de communier avec d’autres âmes. D’abord, la première de ces figures est le violon de Nicolas François Vuillaume lui-même, qui avait migré pour arriver entre les mains du père de Jacques-Rei, et qui est devenu la colonne vertébrale de sa vie de luthier, de sa vie même ! Puis le livre transmis par son père, « Dites-moi comment vous allez vivre », qui était la parole vivante de son père absent ! Deux choses sauvegardées de sa vie japonaise. La rencontre avec Lin Yanfen, seule survivante du quatuor de musiciens amateurs qui répétait ce jour de 1938 à Tokyo, a ajouté deux autres choses, qu’elle a restituées à Jacques-Rei : le cardigan qui avait appartenu à sa mère, et un autre livre. Mais une troisième chose appartenant au passé japonais n’avait pas pu être conservée, et pourtant c’était la troisième figure paternelle au sens de donneur de vie comme les femmes donnent la vie mais lui la vie terrestre, née, communiant avec celle des autres humains ! Cette troisième figure paternelle n’était pas une chose, mais un chien, une vie. Celui qui était apparu mystérieusement, ce soir où, orphelin, il se dirigeait vers sa maison, se demandant s’il y reverrait son père, et dont il n’avait pas la clef. Le chien l’avait réchauffé, protégé, et Philippe les avait trouvés comme si la chaleur du chien était venue habiter le corps meurtri, glacé, douloureux, du garçon. Si Rei a pu garder avec lui ce chien qu’il nomma Momo tant qu’il resta au Japon, lorsque Philippe et sa femme l’emmenèrent avec eux en France, pour l’adopter, le garçon dût laisser son chien et ce fut un déchirement. Son cœur s’était brisé, parce qu’il avait eu l’impression que son père absent pour toujours s’était faufilé dans ce chien protecteur ! Arrivés en France, Philippe et sa femme offrirent à Jacques-Rei un chien, qu’il nomma Momo, et qui l’accompagna, telle la présence de son père, jusqu’à ce qu’il parte pour sa formation de luthier. Ce n’est que lorsqu’il eut fini la restauration du violon de son père qu’il fut à nouveau tenté par la compagnie d’un chien, qu’il nomma Momo ! Il en est maintenant à son quatrième Momo !
La dernière lettre de Lin Yanfen avant sa mort, qu’elle a écrite en lisant l’article consacré au concert de la violoniste et qui a pour titre « Âme brisée », rappelant l’histoire du luthier, condense l’extraordinaire histoire de ce roman exceptionnel. Elle exprime d’abord sa joie immense d’avoir pu faire ce qu’elle devait faire avant de s’en aller, lui restituer le cardigan et le livre, comme des morceaux ignorés de vie de son père et le rendant à nouveau vivant, pour toujours. Puis elle évoque l’événement historique du concert, auquel elle a pu assister par la pensée, puisqu’en violoniste elle connaissait parfaitement les musiques jouées ! Mais surtout, cet événement avait réuni par magie « les trois personnages principaux du drame, Yu le père qui est vraiment revenu rappelé par son violon ressuscité et entre les mains de la violoniste, et dont l’âme en peine, en souffrance, avait pu enfin partir en paix puisque les deux œuvres jouées après le concert l’avaient vraiment incarné. Son âme était accrochée quelque part, en attente, souffrante, en attente de mener à terme les leçons de vie à son fils, et il était venu la chercher ! Puis le lieutenant « Dieu Noir », dont l’âme était aussi en peine, a été rappelé par la « Gavotte en rondeau » et par « A la mémoire d’un ange ». Ainsi, Yu et le « Dieu Noir » ont-ils pu aussi se revoir, après de si nombreuses années d’un silence de mort ! La musique de Berg, avec une telle souffrance enfermée en elle, est une sorte de prière silencieuse qui, écrit-elle, est peut-être « la signature même qu’a laissée notre époque », et c’était sans doute cette pensée qui habitait le cœur de « Dieu Noir ». Lin Yanfen confie dans sa lettre que sa longue vie a été irrémédiablement abimée par la disparition violente de Yu, auquel elle se sentait liée comme à une âme sœur. Mais la fin de sa vie a été illuminée par la présence de Jacques-Rei, qui lui a rendu Yu à travers le récit de la résurrection de son violon ! Elle ajoute une photo, une image de 1938, celle du quatuor de musiciens amateurs, prise le jour de leur première répétition de « Rosamunde ». Son père Yu est le plus âgé des quatre. Une deuxième photo la montre en compagnie de son père. Elle avait été prise le jour où il lui avait prêté ce cardigan ayant appartenu à la mère de Rei, et elle le porte !
Pour tous ces objets retrouvés de sa vie japonaise auxquels il a joint la photo de la vieille dame survivante qu’était devenue Lin Yanfen, Jacques-Rei a fait dans son atelier de luthier un autel, mais pas pour un culte. Mais parce qu’ils incarnent son père retrouvé. Exactement comme le violon restauré, ainsi que les œuvres des compositeurs et les musiciens qui les interprètent lui rendent les sons de son âme immortelle capable de donner à l’infini de la vie à d’autres âmes s’incarnant lors de leur voyage sur terre.
Quel magnifique roman !
Alice Granger



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