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Les Oubliés - Thanassis Hatzopoulos
dimanche 9 octobre 2022 par penvins

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traduit du Grec par René Bouchet

Ce roman de Thanassis Hatzopoulos prend la forme d’un recueil de deux nouvelles, chacune évoquant la vie d’un oublié. Hatzopoulos nous parle de ceux qui ne sont rien parce qu’un handicap les isole du reste du monde, mais surtout il nous parle de nous. On ne peut passer sous silence la dédicace de ce texte :

Aux oubliés qui sont en chacun de nous.

Car nous sommes tous concernés, à travers ces deux personnages Hatzopoulos nous invite à revenir à l’essentiel : la solitude et la mort.

Annio est la fille d’un couple âgé, son existence révèle aux autres les étreintes tardives de ses parents et ils en sont honteux.
Ménélaos le frère d’Annio préférera quitter sa famille et le village pour Athènes laissant aux autres le soin de s’occuper de sa sœur atteinte de déficience mentale. D’elle personne ne tient compte : Personne ne contestait ses paroles parce que personne ne leur accordait le moindre crédit.
Est-ce pour se sentir moins coupable de l’avoir abandonné ? Ménélaos lui offrira un transistor, à condition que sa mère lui en laisse l’usage exclusif et qu’elle l’utilise à des heures qui n’importunent pas le monde.
Ce qui dans un premier temps paraît être un cadeau généreux ouvrant sur le monde se révèle accroître la solitude d’Annio :
les autres n’avaient pas de visage, n’avaient qu’une voix […] Une fois encore les autres avaient disparus de sa vue.

À la solitude d’Annio - de la fille - répondra celle de la mère enfermée dans son monde par la démence sénile.

Par touches successives le roman nous met en face non pas simplement de la solitude d’Annio mais de notre incompréhension, notre effroi face à l’absence de réponse et souligne notre sentiment d’être étranger au monde. Il s’agit de
rendre plus manifeste le sort de tous, ce sort que tous se hâtaient de cacher à toute force pour ne pas laisser paraître une solitude pareille à celle d’Annio.

Confrontée à la mort, Annio ne comprend pas, les autres disent à propos des défunts qu’ils sont partis en voyage, elle, alors que Toula est morte depuis trois ans, court partout demander si elle est morte et lorsque son père meurt, que sa mère le lui a expliqué, qu’elle l’a veillé avec tout le monde, Annio s’interroge encore : papa est mort ? et incrédule, ayant découvert que Rinio Mastrobikita n’est pas en voyage mais se trouve, elle aussi, au cimetière, tente de se rassurer en questionnant : est-ce que les filles meurent ?

Petit à petit, les absences s’immiscent dans la vie de Maria, la mère, jusqu’à ce qu’elle passe d’une rive à l’autre.

Annio désormais rassemble ces objets qui ont fait sa vie : ce dont les fantômes ont besoin pour passer d’une rive à l’autre. Elle ramasse ce qui ne servait au villageois qu’à s’acquitter du devoir de vivre et qui ne pouvait plus combler le vide de leur vie. Ce faisant elle se prépare au silence, ses lèvres se joignent et sa première phrase quand on lui desserre les lèvres sera à nouveau : est-ce que les filles meurent ?

La deuxième partie du roman consacrée à Argyris, en contrepoint de la vie d’Annio raconte la vie d’un épileptique. Annio n’avait jamais franchi le seuil de l’école, Argyris est en butte à des difficultés scolaires mais il ne s’agit là que de facteurs d’exclusion. Ce qui est commun aux deux personnages reste bien la solitude et la mort. Argyris qu’un pharmacien emploie comme factotum est la plupart du temps tellement immobile qu’on ne le remarque pas.

S’il apparaît cependant moins solitaire qu’Annio, plus socialisé, il le doit à la musique et à la générosité de monsieur Aristoménis le pharmacien. Peut-être aussi à ce qu’il est un homme et qu’il appréhende la sexualité différemment :
Le père d’Argyris suite au décès de sa femme se remariera et refera sa vie dans un autre lieu. Sa disparition, quelque temps plus tard, marquant pour Argyris la fin définitive des crises d’épilepsie sera également le début d’un éveil à la sexualité. C’est l’époque où monsieur Artoménis profitant de ce qu’il va bientôt partir en retraite se dévergonde, Argyris s’en aperçoit et ne tarde pas à pousser la porte d’un bordel.
Hormis cette différence les deux destins, celui d’Annio et celui d’Argyris, sont très proches et se complètent pour rappeler la dédicace :
Aux oubliés qui sont en chacun de nous. Le texte est rythmé par la mort, petit à petit, chacun des deux personnages s’éloigne de la vie des autres, pour finir tour à fait seul.
À contre-courant de la vie des winners, un roman très riche et profondément ancré dans une Grèce qui tend à disparaître. À lire avec lenteur.



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