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Another Language - Marten Lange
mardi 6 novembre 2012 par Jean-Paul Gavard-Perret

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LA PHOTOGRAPHIE DE LA SCIENCE A LA POÉSIE : MARTEN LANGE

Marten Lange , Another Language, Mack, Londres, 2012.

Le photographe suédois Merten Lange a publié ses photos dans le monde entier en revues et blogs. Il les publie parfois dans sa propre maison d’édition : « Farewell Books » : « Machina » (2007) et « Anomalies » (2009). Installé depuis quelque temps à Londres il vient de publier chez « Mack » un ouvrage exceptionnel : « Another Language ». Lange a travaillé longtemps sur ce projet et a pris des centaines de photos pour n’en retenir que 65 à valeur d’artefacts selon un procédé long et précis quant au choix, à la mise en page et même la couverture.

« Another Language » offre une vision cosmologique du monde en proposant un jeu de balancier entre macro et microcosme. Le précepte du livre en revient au scientifique Alexander von Humbolt. En 1845 il précisa (phrase reprise par Lange en fermeture de son livre) qu’ « une délinéation physique de la nature se termine au point où la sphère d’intellect commence et où un nouveau monde s’ouvre. Ce point marque une limite mais ne la dépasse pas ». Se découvre ici une esthétique de la nature, des matières et des matériaux.

L’artiste y pousse encore plus loin sa fascination pour le monde naturel selon une vision très particulière. Sa narration semble apparentée aux travaux d’un scientifique qui rassemble des spécimens. De fait Merten Lange va beaucoup plus loin : il crée une « scripturographie » hétérogène de formes, de modèles et de textures. La clarté et la simplicité de chaque prise sont en contraste avec l’énigme que propose l’ensemble.

Chaque élément choisi est isolé de son cadre naturel. Il prend soudain des formes sculpturales. L’artiste mêle le grandiose (levé de soleil, montagne, étoile) et le plus banal (canard, roc, poisson). Mais tous ces éléments possèdent ici une importance égale. Le livre devient une suite de fenêtres dans lesquelles chaque photo peut vivre au sein d’une collection où le rien devient quelque chose et où il se met en relation avec le macrocosme.

Le propos du livre tient à ce qu’en définit le titre : à savoir le langage photographique lui-même. « Dans une photographie tout compte mais rien n’est expliqué » précise l’artiste Le sens y est séparé de l’information. Ce qu’a voulu « prendre » le photographe doit être assemblé par celui qui regarde et selon ses propres clés mais aussi en référence avec l’histoire du médium photographique lui-même.

L’artiste élimine un maximum d’indices afin que le regard se concentre sur l’objet ou l’animal lui-même, comme si l’appareil le fixait sans comprendre ou comme s’il s’agissait d’un concept. Ce qui n’enlève paradoxalement rien à la qualité artistique de cette saisie : au contraire même. Ce processus produit une fascination particulière. Elle est très peu commune dans l’histoire de la photographie et tient de la prouesse tant de telles saisies semblent minimalistes.

L’énigme créée par chaque photo est de fait longuement travaillée ( « le monde rentre dans mon studio » dit l’artiste). La prise donne à l’objet le plus simple une plus-value de surréalité là où pourtant il est capté en isolement et dégagé de toute diégèse ou indice culturel. Pour Merten Lange la photographie doit servir de nomenclature, d’index afin d’archiver le monde. Mais si le médium fut et demeure pour le créateur un objet de connaissance scientifique, cette connaissance ne passe que par l’art. Ce dernier montre que la complexité des choses les plus simples est à la fois proche du chaos et qu’elle change lorsque objets ou choses sont photographiées et qu’ils se déploient et apparaissent vignette après vignette dans un sens certain du rythme.

Merten Lange devient le patrouilleur du monde. Il met à mal son refoulé, son aspect nocturne. Chaque cliché peut sembler diriger vers une suite de cul-de-sac ad quem que chaque regardeur peut prendre pour terminus ad quo. Mais l’artiste a l’immense mérite de sortir le spectateur-lecteur de son latin de pages roses par la fascination où il le fait passer. Le moindre objet devient « avènementiel » en un étrange composite que la succession des clichés dévoile. Face à ce que Pinget nomma « l’hypothèse de rien », Merten Lange offre son hypothèse du tout. Au regardeur de faire son chemin dans les diverses imbrications dont le livre est porteur. Preuve que créer comme regarder revient à mettre de l’ordre et se confronter au monde. Au sein de ce qui paraît le plus évident l’artiste nous apprend à marcher vers ce que nous ignorons.

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