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De nuit - Jo Vargas
samedi 15 mars 2014 par Jean-Paul Gavard-Perret

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Les voyages au bout de la nuit de Jo Vargas

Jo Vargas, « De nuit », Galerie La Ralentie, Paris XIème, (avril-mai 2014)

Dans toute son œuvre Jo Vargas ne s’abstrait jamais du monde. Elle se concentre sur ses failles, happée par les blessures qui le hante et dont elle sent la douleur dans son intimité charnelle. Naissent ainsi la puissance et l’accomplissement de ses peintures qui jamais ne satisfont leur créatrice mais la pousse à aller plus loin. Toujours plus loin. Dans une radicalité elle aborde la « mâlignité » du monde face à la féminité dont la vierge-mère, la vierge-sœur tient le corps au-dessus de la nature phallique et gloutonne du masculin. Celui-ci se prétend (en politique comme en peinture) éclaireur du mystère mais ne représente souvent dans sa préhension concupiscente qu’une puissance d’inertie incommensurable face au désordre que porte la femme. Elle peut larguer le malheureux Tantale au milieu d’un lac où arraché à son festin il finit par mourir de soif.

Nouvelle étape de sa quête : depuis plusieurs mois Jo Vargas affronte en tant qu’image rémanente et obsessionnelle la robe de la mélancolie de Dürer, ses plis, ses sillons et ses passes dans un jeu de voile et de dévoilement. Celui-ci reste le point majeur d’une œuvre souvent douloureuse, mais dans laquelle l’éros tente de venir à bout de thanatos. Chacune des œuvres est stricto sensu un voyage au bout de la nuit. L’artiste la traverse arrimée à ses ombres et ses lumières au moment où elle renverse le jeu classique de la représentation picturale en tentant une expérience et une espérance sur un support de toile noire. La peintre renverse le jeu du textile et de la chair et en perturbe le genre par la modification des instances de représentation au moment où Jo Vargas prolonge l’intériorité de son oeuvre.

Après avoir englobé des scènes quasi mythiques ou historiques, elle pénètre un dedans, un intime non par effet de nudité mais de voile. Elle instaure une communion à la fois lyrique et austère comme le faisait jadis la peinture espagnole religieuse. Jo Vargas exprime une chair sensible plus que flamboyante, blessée plus qu’extatique. La canicule des émotions demeure calfeutrée au sein d’une ténèbre par effet d’intelligente pudeur. La peinture porte vers le suspens : elle laisse un goût de volontairement ouvert sachant que possession assouvie il n’existe de la faim que la fin.

L’expérience picturale est donc celle d’une expérience éternellement retardée dans le plaisir comme dans la douleur. Ni la proie ni l’ombre ne la comblent. A l’inverse Jo Vargas n’accepte pas le simple jeu de la dérision ou de la provocation car cela est bien trop simple dans une époque où une telle propension est devenue la norme. Elle se souvient que la peinture jadis était le plus souvent dans les églises, les couvents, les collèges où l’être au ventre le plus creux de ce bas monde poursuivait ses proies de rêve dans le soupir et le tremblement. La foi est morte. Mais Jo Vargas en retient le sens du péché dont l’extinction rend parfois le cœur aussi triste que la chair.

L’artiste suggère comment l’être - courant après son désir originel - est complexe. Et en soufflant sur les cendres de ses souvenirs comme de ceux de la peinture elle restitue par jeux de plis et de pression les effets de torsion des mouvements infinis qui tyrannisent le sexe et son appendice qu’est l’esprit. Passant du contenu au contenant la créatrice « dit » de manière implicite le rêve de transformer la manducation, la puissance dévoratrice et les affres en exaltations, en effervescences dans la lumière du noir. L’artiste rappelle implicitement que jusqu’ici l’âme (anima) n’ayant jamais eu son compte elle pourrait réclamer ses droits.

« De nuit » rétablit dans ses plis et face aux agonies d’autrefois une effervescence féminine qui jusque là se perdait dans l’œuvre au sein des puissances masculines et guerrières. Il y a là un nouveau départ, un rétablissement de la vie « dans les plis ». Celle dont souvent le travail fut de feu et d’entrailles donne par effet de noirceur une clarté au corps féminin et sauvage. Il devient premier ce qui lui vaut peut-être la solitude. Mais comme le dit la sagesse populaire : mieux vaut être seul que mal accompagné. Sous sa robe de mélancolie la femme peut avancer soutenue par sa beauté. Tournée vers le dedans elle ira jusqu’au bout. Ne cesse de grandir dans l’appartenance à l’ordre de l’absolu, dans son refus de tout calcul, des facilités, des compromis. Elle est forte et sauvage. Le contemplateur s’il n’est pas simple voyeur (à qui la petite monnaie suffit) est comblé.

Jean-Paul Gavard-Perret

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