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Le style (reprise)
lundi 24 mars 2014 par penvins

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LE STYLE (reprise)

Si important, bien sûr, le style, non pas la manière de dire, ni non plus un exercice de virtuosité, mais le travail de la langue pour atteindre l’essentiel, dans ces effets de résonance qui vous sont propres, la syntaxe, la structure du vocabulaire, comme on parle de structure moléculaire, organisées depuis le tout début en un assemblage unique, couches superposées s’appuyant les unes sur les autres, non en un pur hasard, ni simple jeu comme d’aucuns s’évertuent à vous le faire croire, mais fruit de cette longue histoire qui vous a façonné et qui, sans doute, témoigne de cette difficulté que vous avez toujours eu à vous faire entendre dans la langue commune.

Et vous savez bien que, pour eux aussi, dont le style est tellement sophistiqué qu’il semble un défi à la syntaxe, dans ce vocabulaire si recherché, c’est cette sophistication même qui révèle quelque chose qui appartient à l’être le plus intime, soif d’être le premier, l’unique, l’enfant choyé, rage de ne l’avoir pas été peut-être, à moins qu’il ne s’agisse de quelque accident qu’il importe d’enfouir sous une masse impénétrable, d’enterrer si profond qu’aucune érosion, aucun séisme ne puisse jamais en dévoiler l’horreur. À ça qu’il sert le style, à inscrire le vrai visage de celui qui écrit, et toute esthétique est relative, et il n’existe aucun absolu de la beauté de la langue, pas même l’harmonie qui n’est qu’un leurre, une manifestation morbide, un corps cadavérique, une femme frigide dont vous redoutez la fascination qu’elle inspire. Comment pourriez-vous la supporter autrement qu’en apparence, cette beauté mortifère, accorder la moindre confiance à ses charmes, ne pas vous étonner que d’aucuns parmi les plus doués de leur génération s`y laissent prendre entraînant Éros avec eux sur le terrain boueux de la nostalgie ?

Ce style-là parfois vous charme, vous envoûte, magie vaudoue, à trop vous laisser bercer par sa musique, vous perdez vos repères et puis vous vous ressaisissez, reprenez vos esprits, tentez l’aventure de ces sons jazzy, de leur parti pris de dysharmonie, cassant les codes, expulsant le lecteur de son confortable cocon, menaçant ses habitudes séculaires, heurtant les convictions les plus intimes, ce style est le vôtre qui ne doit rien, sinon sa rage, à l’encre violette des anciens exercices.

S’agit de la déshabiller, la langue, pas de l’habiller, aucun vêtement, et pas non plus de cet érotisme mondain de Haute Couture. Rien. A cru. Non pour en révéler les lignes, tout au contraire, faire apparaître les bourrelets, la cellulite, tous les recoins où se cache la graisse. Le beau, l’harmonie disent-ils parfois, comme un point d’équilibre et je les entends louanger la mort, rêver d’éternité, penser à la douceur intra-utérine sans même oser se l’avouer, pour tout dire refuser la vie, se tenir à l’écart, s’en faire une gloire, prétendre que toute littérature est nécessairement décalée – hors de son époque ? – folie ! moi je la veux, non pas en marge du monde, mais bien au contraire, travaillée par lui, s’efforçant de le tordre pour y faire entrer la vie au-delà de toutes les forces de destruction, allergique à tout ce qui ne serait pas jouissance absolue, sans jamais me laisser fasciner par la mort et ses avatars. Le plaisir bien sûr, mais pas la petite mort, comme ils disent. Comment peut-on rêver d’éternité, vouloir abolir les heures, s’enivrer d’alcool, et de sexe, faire comme si l’on pouvait s’extraire du monde, plutôt que d’en jouir le temps qu’il nous est donné. Ils ont choisi de tout mettre en ordre, de ne plus vivre qu’entre eux, au sein du clan, fonctionnaires, non pas à l’abri, mais entourés, cocoonés chacun dans son groupe, fût-il parfois hostile, jusqu’à ne plus se rendre compte qu’ils ne voient la vie qu’à travers un prisme. Se réclament d’un art créateur quand ils ne songent qu’à s’enfermer dans leurs bulles, se retirer du monde.

Rien ne s’était passé, mouvement de balancier, après être allé au bout de la folie, avoir tellement misé sur l’homme qu’ils avaient provoqué le retour de la barbarie, s’y vautrant, appelant de leur vœux les pires bassesses, en revenant aux instincts les plus primaires et mettant en exergue la part la moins ragoûtante de leur animalité… pour les autres bien sûr, parce qu’eux préféraient la pureté, le rêve, les fééries, la danse, sans même se rendre compte que de s’extraire ainsi de leur enveloppe charnelle, ils convoquaient tous les démons qu’ils avaient tenté de repousser et s’enfonçaient malgré eux dans la fange dont ils prétendaient se débarrasser. Les voilà maintenant qui reviennent, voudraient nous faire croire qu’il n’est de solution que dans une langue inaccessible au plus grand nombre. Une langue noble, portée par une syntaxe parfaite. Et s’imaginent parce qu’ils ont fait des concessions au vocabulaire, et parce qu’ils ont donné droit de cité à l’argot le plus vulgaire, qu’ils ont retrouvé la voie de l’humanisme quand ils n’ont fait que revenir sur les terres qui ont enfanté la catastrophe. J’entends bien la mélodie de leurs chants, je suis sensible aux chants des sirènes, mais je reste et pour longtemps rétif à tout commerce avec la mort.

Je me suis longtemps battu avec la langue, j’ai longtemps cru qu’en dehors d’elle il n’était point de salut, force des mots, leur capacité à transcender les générations, enjamber les siècles, je me rends compte aujourd’hui à quel point ce miracle était fragile même si la conservation des archives a fait d’énormes progrès, même si avec les fichiers électroniques les copies se multiplient, rendent de plus en plus improbable la perte définitive de l’un d’entre eux, c’est désormais leur accumulation, sans aucun souci de hiérarchisation qui va les rendre vulnérables, ils seront plus sûrement enterrés vivants que morts. La littérature elle-même va disparaître de cette abondance vite incontrôlable. La masse d’écrits est telle que plus personne ne lit rien, que ce qui aurait autrefois attiré l’attention d’un milieu habitué à se nourrir de la langue, dépérira bien avant d’avoir rencontré un vrai lecteur, les livres ne sont plus faits pour être lus, mais seulement vendus et le livre numérique n’a pas peu contribué à accélérer le processus.

Que me reste-t-il désormais, sinon de m’emplir le cerveau d’images, de le saturer qu’il n’y ait pas de place pour la réflexion, tout concourt à me persuader qu’elle serait trop dangereuse maintenant que je me trouve dans la dernière ligne droite ! Ne songer à rien, ne donner aucune prise au doute, mobiliser toute mon énergie à maximiser mes chances de survie, parce que c’est là que se trouve l’essentiel et tout le reste n’est que bavardage. D’aucuns déjà me voient pendu haut et court, dans un paysage désert, mon crâne brûlé par le soleil tombera bientôt dans le sable où il sera mis à nu par les vautours. De moi ne restera rien. Je n’aurais été qu’une minuscule fourmi sur la surface de cette terre si petite dans l’infini du monde. Vanité des vanités. Que peut m’importer maintenant de participer à l’aventure, de venir encombrer la littérature de mes petites prétentions. L’important est déjà derrière moi, je m’inscris dans la durée, j’ai, un temps, fait partie de ce monde, contribué à son histoire, si peu que ce soit, aie été cette aile de papillon qui a bouleversé le cours des choses, sans doute le temps est-il venu de disparaître. Sans bruits ni gémissements.

Et puis non, je bande encore ne vous déplaise pour une littérature de combat, de ces luttes sous-marines qui décident de l’avenir du monde et dont on ne perçoit les effets qu’à l’aune des siècles, une littérature qui s’engage profondément à l’intérieur d’une langue qu’elle désorganise, l’obligeant à se reconstruire sur une tout autre érotique, différente, très différente de ces rapports conventionnels au fond si confortables ; une langue qui séduise le lecteur de sa syntaxe étrangère et petit à petit l’embarque hors de son pays dans un tourbillon dont il ne sortira qu’épuisé, vaincu, parce qu’il faut qu’il rende les armes, le lecteur, qu’il accepte hors toute honte de jouir d’un argot sans scrupules, indécent aux oreilles des puristes et autres croque-morts. Le style ne peut se concevoir qu’en forniquant, en la pénétrant la langue comme jamais elle n’a été pénétrée et bien évidemment pas en la respectant, pas même en lui rendant les honneurs, comme dit ce français machiste qu’ils voudraient nous voir écrire, une langue cela doit prendre son pied, il importe de l’emporter au loin et non de s’endormir en la laissant de glace. Langues mortes, mortes, définitivement mortes, je n’ai pour vous que du respect, le respect que l’on doit à ses ancêtres, auprès de vous je viens chercher le témoignage des civilisations disparues, d’une syntaxe qui fut vivante, d’un vocabulaire qui engendra le mien, mais en aucun cas je ne saurais vous placer au-dessus, pas plus d’ailleurs qu’en dessous, ni de la langue que je parle aujourd’hui, ni de celles que parlent mes voisins. Pour moi toutes les langues sont d’un moment et d’un lieu et je ne peux comprendre celles et ceux qui ne rêvent que de les figer. Alors que l’on ne me fasse pas confondre le style et le servile respect des règles édictées dans un autre temps que d’aucuns aimeraient voir revenir. Je ne me suis jamais plié à ce diktat et ce n’est pas aujourd’hui…

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