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Brueghel en mes domaines - Lionel-Edouard Martin

Petites proses sur fond de lieux - Le Vampire Actif - coll. Les Echappées

samedi 12 novembre 2011 par penvins

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Le sous-titre du recueil est Petites proses sur fond de lieux. on dirait la ligne d'un menu gastronomique. Ce sont en effet de petits plats – en orient on dit des mezzés – que l’on savoure avec délice tant la langue est riche et la syntaxe raffinée, le long desquels le poète nous décrit le monde qu’il s’invente jour après jour, un monde inactuel et utopique dit-il se voulant peintre en désir d’extraction,  toujours à la lisière d’un univers à naître, tentant de s’approcher au plus près de la source, raboutant le big bang, travaillant à réordonner l’ensemble en mâchant et remâchant les mots pour donner forme à sa prose au tout petit matin. C’est à cette heure, en effet, sous les tropiques, qu’il donne naissance à un monde qui toujours reste à l’état d’ébauche et qui semble n’exister qu’en demande d’être organisé..
Lionel Edouard Martin trace un chemin, il foule le sol pour y laisser sa marque,  celle d’un monde qui n’existe plus / qui n’a pas même existé, un monde épuré de substance qui ne prend forme nulle part ailleurs que dans la langue maternelle, laquelle il ne cesse d’arrondir en bouche, avec l’espoir fou de revenir aux pulsions fœtales, de transgresser l’interdit absolu dont il dit lui-même que l’on n’a pas même le droit de seulement le désirer : Pas le droit de vouloir remonter jusqu’à  la source pour atteindre le néant comme si rien, jamais, ne s’était passé. Comme si le temps n’existait pas.

Tentative utopique à la fois d’abolir l’inacceptable et d’atteindre le paradis perdu, telle est la source de cette poésie intrinsèquement orale où, parce que le poète revendique la paternité de son univers, le jardin d’Eden n’existe qu’à la condition d’en savoir nommer tout ce qui le façonne. Lionel-Edouard Martin voudrait pouvoir dire non et communier à la chose immédiate sans l’interposition des mots : comme on mâche à pleine bouche, à la jonction fusionnelle et ronde de la langue et de la salive, la chair du fruit…, n’est-ce pas dire son grand regret que d’en devoir recourir à la poésie pour trouver dans la langue le paradis dont il a été chassé ? Paradoxe apparent de la poésie que de décrire par les mots un monde qui ne pourrait s’atteindre qu’en dehors d’eux. Monde dont le poète s’approche en mastiquant, en invoquant une rondeur de bouche, en goûtant chaque mot, en répétant que ventre et bouche tous deux oeuvrent au langage et constatant malgré tout que le « m » matriciel ne vient pas  et qu’elle est restée là-bas dans son Poitou natal.

Reste alors à provoquer le passage : Aurorale, ma cigarette : j’ai à la bouche un coq, une parole possible, dans l’effusion d’un feu. Et cette image forte de la cicatrice verticale Qu’un feu plutôt vertical, écorche le ciel jusqu’au muscle : c’est d’une déchirure que j’ai le désir de m’envelopper, reprise, comme involontairement, dans cette autre métaphore : C’est ainsi qu’on va, dans le noir petit matin, traçant la houache sur le papier qui bien sûr évoque un départ,  parce que, malgré tout, il n’y a pas d’autre choix et que le poète entre dans la langue pour y tracer sa route.

Terrestre parfois Chaque pas qu'on fait sur la route l'enfonce un peu plus profondément dans la terre, mais aussi maritime  :

Un rythme vint, tiré de la poitrine. On eut envie de rimes. L’ombre des voiles azura la sargasse.

Inutile d’insister, le chemin ici tracé, le poète lui-même en dévoile la source : Se remet-on jamais d’être orphelin de sa mère à deux ans ? – quand sa mère est bien vivante, mais morte, et dort avec un autre. Quand vous aurez, vous aussi, parcouru le chemin, vous découvrirez ce texte, plus explicite encore que je ne le rapporte, sur les raisons intimes de la naissance du poète : On n’est (nait ?) poète du fait de sa mère écrit-il évoquant le voleur – un beau-père qui surgit - qui lui a effacé son bonheur d’enfant.

Magistrale leçon d’un remarquable prosateur que d’écrire ainsi où prend sa source la langue du poète et que l’on ne saurait réduire à mes petites observations tant il est évidemment d’autres lectures possibles, à commencer par celles qui s’intéressent à la façon dont le poète prend sa place dans un monde où il n’est que minuscule créature, partageant avec le végétal et l’animal une même tendresse.

Grâce soit rendue à l’éditeur de nous avoir ouvert cette échappée dans l’univers poétique de Lionel-Edouard Martin.

 



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