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Proclamation sur la vraie crise mondiale, François Meyronnis

Editions Les Liens qui Libèrent, 2014

mercredi 24 décembre 2014 par Alice Granger

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Ce livre de François Meyronnis, il est urgent que nous le lisions tous, si nous voulons comprendre la vraie logique de cette crise mondiale qui soumet de plus en plus les humains à la domination du capitalisme intégré, faisant d’eux des esclaves pour lesquels les droits sociaux, les salaires, les retraites, la qualité de vie sur la terre – une terre qui garde leur histoire, leur mémoire, leurs différences et leurs singularités - ont été rognés froidement. Des humains totalement repoussés à l’extérieur d’un global virtuel insaisissable dont ils cherchent à s’englober de manière addicte comme des gens en dette envers leur sauveur paient éternellement ce qu’ils doivent en achetant exclusivement ce que ce sauveur produit, relançant sans fin ses profits en étant devenus une matière première très juteuse. Ce livre est surtout à lire pour essayer de saisir une chance de se retrouver un beau jour indemne. Dans le sillage de cette lecture, surgit une question : quand cesserons-nous de nous sentir redevables, en dette, à l’égard du sauveur qui, évoluant au fil d’une logique qui a débuté avec la première mondialisation au XIXe siècle, prend le visage du capitalisme intégré, de la finance, du chiffre ? Quand cesserons-nous de croire à cette illusion qu’on vient encore nous sauver du désastre, comme lors de la Deuxième guerre mondiale ? N’est-ce pas très pervers d’enfermer un pays, un continent, l’Europe, dans un sentiment de dette à vie ? Cette dette monstrueuse qui, désormais, dicte les politiques d’austérité à l’Europe qui obéit curieusement les yeux fermés, tandis qu’investir dans cette dette, en prêtant, s’avère rentable comme jamais pour les investisseurs !

Avant de nous pencher sur l’extraordinaire analyse par François Meyronnis de la logique de la crise mondiale, qui ne s’est sûrement pas mise en branle en 2008, mais s’enracine dans un processus qui a débuté au XIXe siècle avec la première mondialisation, il s’agit de prendre acte du fait que le début de cette mondialisation s’est mis en acte dans le but de tenter de colmater une lézarde. Et elle a, longtemps après, abouti au contraire : à l’élargissement des bords du gouffre !

Avant toute lecture, il faut donc nous arrêter sur cette prémisse que souligne François Meyronnis : la lézarde, la menace du gouffre, du trou qui aspire, du néant, de l’effondrement ! La menace d’une sorte de catastrophe imminente, d’un saut logique inédit et inquiétant, tandis qu’une sorte de programme d’apoptose semble s’être mis en branle, bousculant un régime de reliance à un grand tout qui englobe comme un placenta fournissant tout et nous maintenant dans son giron. La lézarde pressentie faisait-elle craindre la prochaine séparation d’avec le giron utérin ? Et continuerait-elle de terroriser en brandissant la possibilité d’une ruine irrémédiable de cet ancien monde nous englobant ? La peur du réel terrien si étranger au monde de la consommation programmée et formatée serait-elle soigneusement entretenue ? C’est vraiment étrange comme le monde du capitalisme intégré que nous décrit si bien Meyronnis ressemble dans sa logique à un englobement placentaire, avec les humains foetalisés par la connexion généralisée aux réseaux, tandis que plus personne n’est aux commandes des réseaux du capitalisme intégré, de ce monde virtuel qui change dans un maintenant fantôme à la vitesse en nanosecondes des opérations boursières ! Cette machine folle, délirante, semble destinée à dénier le processus de naissance, donc de destruction d’un ancien milieu, de la logique placentaire. Elle suspend éternellement l’événement de la chute par le trou béant par lequel s’effectue la naissance et donc la séparation originaire. Pourtant, cette logique folle ne va-t-elle pas aboutir à ce qu’elle croyait pouvoir forclore : la victoire de la lézarde, du trou, du néant, de la destruction, et donc de l’avènement de la vraie vie terrestre, d’une nouvelle logique, où l’humain séparé devra vivre, en disant « je » enfin ! Ce qui permet vraiment de qualifier, comme le fait Meyronnis, de crime inconscient cette logique de la vraie crise mondiale qui fait dominer le capitalisme intégré !

Ce livre de François Meyronnis apparaît donc comme le cri de lucidité du premier indemne, qui se laisse saisir par une nouvelle logique, très différente, et ouvre des yeux de nouveau-né sur la lumière de la terre, ici et maintenant, dans le local non inféodé au global, dans le sillage d’un sevrage irrémédiable, d’une acceptation de la véritable logique de la crise, de la ruine, de la lézarde, du gouffre ! Comme le dit Philippe Sollers, cité en exergue de son livre par François Meyronnis, tout le monde convoite la richesse, l’argent : mais n’est-ce pas parce qu’elle représente cette puissance placentaire nous englobant, cette sorte de réseau inépuisable nous assurant l’offre de tout ce dont nous avons besoin ? Nous repoussons follement sa disparition pourtant programmée comme cette apoptose préludant à toute naissance afin que chacun de nous naisse en se sentant indemne c’est-à-dire séparé, libre, non soumis, ayant à participer à l’invention et à l’organisation de la vie dehors, sur terre, non soumise au paradigme de l’offre placentaire. En tout cas, dès le début de son livre, comme par hasard l’auteur évoque nos corps pris en otage ! Nos corps retenus à l’intérieur d’un giron devenu virtuel, sur lequel personne n’a plus de prise ! L’écrivain mise sur l’effondrement de toutes les cotes ! Comme sur une sorte de fin d’addiction fœtale à l’illusion du chiffre, en nous affranchissant du piège pervers de la dette ? Comme un écart définitif d’avec ce traitement des humains comme matière première des marchés financiers d’autant plus qu’ils sont accrocs aux marchandises fabriquées non pas pour le bien-être et le plaisir si formatés des hommes mais pour les profits faramineux réalisés, pour le chiffre ?

Suivons-donc pas à pas la formidable analyse de la vraie crise mondiale que nous offre François Meyronnis.

Nous sommes enfermés, et dominés par… la crise ! Une crise qui fait régner comme jamais la hantise de la ruine ! Qui fait du chantage sur cette imminence de la catastrophe qui pointe son nez par le chômage, la pauvreté, la perte de l’importance de chaque humain. Alors ces humains terrifiés à l’idée de l’effondrement imminent, de l’état d’abandon dans lequel ils sont relégués, sont prêts à tout accepter, et à renoncer à leurs acquis, tandis que toute l’organisation locale d’avant le capitalisme intégré a complètement disparue, gommant toute alternative. Ils se disent, plutôt vivre pauvrement et à la botte des marchés financiers qui ont complètement changés leurs conditions de vie et de travail, que de vivre un effondrement radical ! Plutôt se raccrocher à des restes ! A une vie complètement formatée par les réseaux. La prochaine crise financière, qui pourrait être infiniment plus effroyable que celle de 2008, est comme un maelström se dressant sur le couchant, emportant le monde dans un trou en entonnoir ! Les Etats surendettés pourraient être cette fois-ci impuissants à l’endiguer, si leurs citoyens n’acceptent pas de faire tous les efforts inhérents aux restrictions nécessaires pour réduire la dette !

La seule certitude : la valeur chiffrée ! La maison, et l’économie comme administration de la maison, est détruite au profit de la finance. Cette crise est mondiale, mais aussi européenne.

Comment cette crise mondiale s’est-elle préparée ?

A la fin du XIXe siècle, une première mondialisation s’effectue sous la bannière anglo-saxonne du livre-échange. Elle s’achève en 1914 avec la Première Guerre mondiale. La mondialisation est un changement d’axe du capitalisme. Un lent détachement du capital d’avec la production pour se tourner vers le chiffre. Cette première mondialisation (1860- 1914), avec l’avènement du chemin de fer et du bateau à vapeur, donc ce changement de médium, entraîne que de grandes nations européennes, comme la France, l’Allemagne, le Royaume Uni, se projettent sur cinq continents, attirent toutes les ressources à elles, fabriquent dans leurs usines des produits qu’elles écoulent sur les marchés d’Europe et d’Amérique. Il y a déjà la matérialité des consommateurs en nombre illimité et formatables qui vont se laisser mener par le bout du nez par l’offre anticipant toute demande ! Les rivalités entre ces pays vont aboutir aux deux guerres mondiales. Mais est installée cette réalité d’un profit se réalisant sur cette sorte de matière première que sont les consommateurs d’Europe et d’Amérique, tandis que les ressources que les nouveaux médiums vont chercher loin renouvellent la production.

Le bombardement atomique de 1945 marque le début d’une troisième guerre mondiale, la guerre froide entre les Empires américains et soviétiques. L’Empire soviétique fonctionne encore comme une alternative à la mondialisation. Ce conflit s’achèvera en 1989 et l’avènement du capitalisme intégré, qui ne permettra plus de distinguer la guerre et la paix.

Mais avant cela, il faut s’arrêter un moment sur Jean Monnet, père du projet européen, opposé à De Gaulle, homme d’un autre temps, qui le nommait ironiquement l’Inspirateur ! Jean Monnet tira le premier les conséquences de la mondialisation, donc de la caducité des frontières, des Etats, de l’importance du mouvement des affaires plutôt que celle de la culture. C’est son projet qui détrône l’Histoire, idole du XIXe siècle. Débute la spirale de l’argent. C’est d’abord la mise en commun de la production de charbon et de l’acier, dans le sillage de la fin du régime nazi. Mais Jean Monnet ne conçoit son projet européen que comme un système intercontinental entre les deux rives de l’Atlantique, entre l’Europe unifiée et l’Amérique du Nord ! Et ne peut-on pas se demander combien a pesé la dette de la France et de l’Europe à l’égard de l’Amérique venue les sauver ! De l’autre côté, on a misé sur le paiement d’une dette impayable, éternelle ! Et pouvoir tout se permettre sans que personne ne dise rien, car ce sont les sauveurs ! En tout cas, en misant pour son projet de l’Europe sur un système entre l’Europe unifiée et l’Amérique du Nord, Jean Monnet n’a pas du tout prévu la révolution financière ni la révolution numérique. Il n’a pas non plus prévu les bouleversement géo-politiques, comme la guerre du Kippour et le choc pétrolier, la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide, l’ouverture de la Chine à la mondialisation. Bref, Jean Monnet n’a pas du tout prévu que cette Amérique du Nord allait changer, dans ce partenariat, parce qu’elle allait de manière froidement pragmatique se conformer aux événements planétaires !

François Meyronnis souligne ce que la crise actuelle doit à un choix du président américain Nixon en 1971 : il suspend la convertibilité du dollar en or ! La croissance illimitée de la monnaie est désormais possible ! Cette monnaie, jusque-là, mesurait la valeur des marchandises et leur circulation. Le dollar devient un simple signe créé à partir de rien, en fluctuation permanente par rapport aux autres devises. C’est un premier saut dans la virtualité, qui préfigure le tournant numérique de 1980. Ce dispositif instauré en 1971 permet aux Etats-Unis, rappelle Meyronnis, de se renflouer au bord du précipice depuis 40 ans, au détriment des autres pays. La croissance illimitée de la monnaie américaine depuis 1971 marque le règne de la finance sur l’économie ! Le silence des autres pays face à ce coup incroyable de Nixon est incroyable ! L’effet de la dette à l’égard du pays sauveur ? En tout cas, c’est payant, d’avoir instauré en venant sauver une dette éternelle impayable, que l’on n’en finit effectivement pas de payer ! Nous payons, nous sommes colonisés par ce devoir du paiement ! Et les intérêts sont faramineux ! Rien de gratuit dans tout ça ! Venir sauver, quel super investissement ! Quel fabuleux calcul ! On s’asservit ainsi pour l’éternité un continent pas prêt de se défaire de ce ver pervers de la redevabilité éternelle bien installé en lui !

En 1979, Sadate envoie ses blindés en Israël, et la guerre du Kippour fait augmenter terriblement le cours du pétrole, engendrant un choc pétrolier qui va mettre en danger l’ordre financier planétaire. Voilà la lézarde qui réapparaît ! La peur panique du gouffre ! Celle qui va favoriser le chantage sur les humains. Et qui signe la fin des trente glorieuses ! Les humains sont à nouveau aux prises avec le spectre de l’anéantissement, qu’ils croyaient repoussé définitivement avec la fin du nazisme et le sauvetage par les Etats-Unis ! L’attaque d’Israël est une piqûre de rappel… La peur de manquer s’insinue comme le ver dans la pomme.

En 1989, deux événements vont être très importants pour la globalisation du capitalisme intégré qui se réalisera avec la révolution numérique ! Le chute du mur de Berlin, et donc la fin de l’Empire soviétique. Et l’entente des hiérarques du PC chinois avec les manitous de l’argent, afin d’approfondir la réforme économique. Ces deux événements vont faire que les grandes entreprises internationales pourront mettre la main sur une inépuisable main-d’œuvre très bon marché, elles vont délocaliser à grande échelle des secteurs industriels entiers tel le textile ou la sidérurgie. Provoquant en Occident le chômage, l’augmentation des budgets sociaux, la baisse progressive des revenus des classes moyennes, bref une destruction en règle de l’organisation du travail local. Tandis que les actionnaires, eux, s’enrichissent avec la globalisation.

La révolution financière se double d’une autre révolution, en 1990 : l’ère numérique, qui rapetisse la terre. Voici l’avènement d’un capitalisme intégré, et d’une nasse numérique. Un monde parallèle se tisse, qui satellise le monde des humains. Un monde virtuel qui rayonne sur notre monde à partir d’un maintenant spectral. Le temps humain, historique, successif, n’a plus aucune importance, à l’heure des réseaux financiers qui effectuent leurs ordres à travers la planète en nanosecondes. Les réseaux ne sont pas les lieux. L’argent circule follement au rythme des impulsions électriques : la production et le commerce doivent s’ajuster à la finance et non pas le contraire comme avant. Les firmes sont inféodées à la sphère financière. Il s’agit d’enrichir les plus riches. Eux se croient – mais cela aussi est illusoire – à l’abri dans ce giron faramineux d’argent qui leur permet de s’offrir un décor placentaire de luxe ! Et ces riches fonctionnent comme modèles hallucinés, inatteignables, pour les pauvres qui se contentent d’ersatz de pacotille pour tenter de ressembler à leurs modèles…

François Meyronnis souligne à quel point en France les cercles du pouvoir sont restreints. Les caciques d’entreprises sont souvent formés dans les grands corps d’Etat, comme l’ENA. Ils font fortune avec le capitalisme intégré, avec l’Amérique. En même temps, ceux qui ont été formés sur les mêmes bancs qu’eux et deviennent de hauts fonctionnaires de l’Etat voire ministres ou même président, les jalousent et les prennent secrètement pour modèles… Comme quoi les politiciens ne sont pas prêts à sérieusement s’attaquer à la finance… Il n’y a pas si longtemps, Michel Sapin, semblant se défendre de l’accusation d’avoir un trop bon salaire, rappela combien il aurait gagné tellement plus s’il était allé dans le privé comme sa formation à l’ENA aurait pu le lui permettre ! On aurait dû sortir nos mouchoirs… Il ne compara pas son salaire avec celui de la très grande partie des Français qui gagnent tellement moins que lui, mais avec les fortunes que peuvent se faire ses compagnons de formation qui ont choisi les grandes entreprises transnationales du privé ! Sans jamais mettre en question cette révolution financière, ce règne du chiffre, qui fait qu’en 2015 jamais les actionnaires n’ont autant gagné, alors que presque tout le monde est appelé à l’austérité et au paiement d’une dette exorbitante !

Que s’est-il vraiment passé en 2008 à Wall Street ? se demande François Meyronnis. Au commencement, explique-t-il, il y a la paupérisation de la classe moyenne. Evidemment, la déconstruction de l’industrie locale par la délocalisation, afin de rentabiliser au maximum la production et d’enrichir les actionnaires, a pour conséquence cette paupérisation, au fait que c’est devenu beaucoup plus difficile de bien gagner sa vie. En même temps, ce que par exemple les Chinois produisent à la va vite, il faut bien que des consommateurs l’achètent… Le système installe une économie de la dette, une vie à crédit, l’achat d’appartements entre autres. Le Nord Américain pauvre veut vivre lui aussi, se défaire de ses frustrations, il va acheter à crédit, Wall Street le transforme en bonne affaire, on va lui prêter. Le système, devenant fou, doit augmenter la quantité de crédits accordés, donc à des indigents peu à peu non solvables. La première économie du monde, l’américaine, repose sur la dette, sur un leurre. En 2008, la bulle éclate. Les sociétés ont acheté de la dette, ont prêté à des ménages en fait non solvables forcés de se surendetter. Wall Street a eu l’idée folle de faire de l’argent avec cette dette, en la plaçant sur les marchés financiers !

On aurait pu croire que la crise de 2008 allait détruire l’illusion ! Que toute cette exploitation de la dette par les marchés financiers en réseaux planétaires allait se détruire ! Et bien non ! Le gouvernement américain (Bush puis Obama) font le choix d’absorber la dette colossale des banques, sans leur demander de concessions en contrepartie ! Il s’agit, à travers ces banques qui prêtent aux entreprises, de sauver évidemment le commerce, l’industrie, afin que tout continue comme avant, et que les humains soient avec leur boulimie formatée d’achats la matière première pour les profits des actionnaires ! Le formidable et incompréhensible cadeau aux banques a pour conséquences que ce sont les classes moyennes qui vont payer ce cadeau ! Les Etats Européens se calent évidemment sur les Etats-Unis, ils sauvent les banques, en s’endettant de manière monstrueuse, car eux, ils n’ont pas comme les Américains de monnaie de réserve mondiale ! En condamnant la classe moyenne à l’austérité car le mot d’ordre est de payer la dette, les Etats Européens déconstruisent encore plus les acquis sociaux, puisqu’il s’agit de diminuer le coût du travail, sans toucher aux dividendes colossaux des actionnaires ! Les impôts, eux, bien sûr augmentent ! Le mot d’ordre de sauver les marchés financiers est terrible ! Et pour quoi, en fin de compte ? Pour consommer ce qui est produit à la va vite et avec la meilleure rentabilité possible, au mépris de l’environnement, des changements climatiques, de l’attaque criminelle de la qualité de vie ? Quelle absurdité ! En tout cas, la difficulté qu’ont les Etats Européens à rembourser la dette parce que l’activité économique diminue avec toute sa cascade de conséquences désastreuses notamment pour les acquis sociaux, est tout bénéfice pour les prêteurs, pour les marchés financiers qui investissent dans cette dette ! Les Etats qui s’endettent, tandis que perversement ils sont grondés parce qu’ils dépenseraient trop, nourrissent en vérité les marchés financiers ! La dette, cela rapporte gros !

Cette dette qui étrangle et soumet les Etats Européens aux marchés financiers a pour effet de révéler que l’image d’une Europe fédérale idyllique est irréalisable. Parce que les disparités entre les pays qui la composent sont énormes. Les histoires sont très différentes. Les tensions entre les pays ont une longue histoire. Très curieusement, cette Allemagne défaite en 1945 grâce aux Etats-Unis se détache du lot, plutôt bonne élève à l’égard du mot d’ordre selon lequel il faut sauver les marchés financiers. L’Allemagne s’avère la plus conforme aux yeux de… l’Amérique ! Comme par hasard, à nouveau l’Allemagne domine l’Europe et surtout la France… Trois guerres, deux guerres mondiales, et puis la guerre n’est pas terminée… L’Allemagne, par la politique de Schröder puis de Merkel, fait le choix d’une politique mercantile qui est une allégeance aux marchés financiers et lui permet d’être la meilleure de tous les Etats Européens, redevenant la bête noire qui domine la France (et les autres Etats Européens) et la soumet en se posant comme modèle et comme maître d’école ! L’Allemagne obéit au mot d’ordre de la rentabilité ! Elle restreint la demande intérieure en rognant les salaires, les dépenses sociales, ce qui lamine les pauvres et les classes moyennes, et elle tire le pays vers la croissance en misant exclusivement sur les exportations, forcément au détriment de ses voisins. Elle devient un pays excédentaire qui dicte sa loi aux pays voisins, tout en s’érigeant en bon élève pour l’Amérique et les marchés financiers. En France, voyez comme nos politiques la prennent pour modèle, et se soumettent ! Comme c’est curieux ! Maintenant, non seulement ils la laissent dominer, et à travers leur fascination pour elle ils laissent dominer les marchés financiers planétaires, mais ils se soumettent à une nouvelle sorte d’occupation ! L’occupation par la dette dans laquelle les marchés financiers investissent !

Il y a beaucoup d’hypocrisie, avec l’euro. La peur française d’être surclassée par l’Allemagne est plus forte que jamais, et l’euro qui équivaut au mark alimente cette peur !

Ah l’Allemagne ! L’oligarchie française avait conçu en vérité l’Europe pour empêcher la puissante Allemagne de dériver vers l’Est, surtout à partir de la chute du mur de Berlin, lorsque Berlin redevient la capitale. Et l’Allemagne a accepté à condition que le modèle allemand s’impose dans la zone euro avec une équivalence de l’euro et du mark. En vérité, c’est la domination de ces marchés financiers qui ont investi dans la dette qui rend possible la suprématie de l’Allemagne ! Si on suit depuis le début la logique qui a abouti à la crise et à sa formidablement juteuse gestion, on se demande quel pays l’Amérique est venu sauver… L’Allemagne de la finance sauve si bien son épingle du jeu… au détriment de sa classe moyenne et de ses pauvres… Et au détriment des Etats pauvres et soumis de l’Europe ! En tout cas, les décideurs français ont la constante hantise de décrocher par rapport à l’Allemagne, et ils obéissent, au risque d’effacer de la carte du monde une France devenant une puissance moyenne perdant sa souveraineté. On peut se demander si le désir de revanche de l’Allemagne humiliée par sa défaite de 1945 et honteuse de sa période nazie n’a pas été un levier très puissant pour que les marchés financiers planétaires trouvent en elle le plus sûr allié d’Europe ! Le bloc franco-allemand, scellé par un complexe de supériorité-infériorité ainsi que par un désir de réhabilitation pour une Allemagne humiliée, est donc subordonnée au rapprochement transatlantique, puis aux révolutions financières et numériques.

Cette Allemagne, soumettant la Grèce au mot d’ordre de l’austérité et du remboursement de la dette, oublie qu’elle aussi se rattache, historiquement, à ce peuple de poètes, de penseurs…

Dans les années 70, la compétition Giscard d’Estaing / Chirac a en fait eu pour visée de tourner la page de Gaulle, tout en se réclamant par le gaullisme de son héritage. Mais de Gaulle, défendant la souveraineté de la France, était un homme d’un autre temps. Il a perdu… Désormais, nos politiques et nos gouvernants sont, comme le souligne Meyronnis, des ludions entre les mains des marchés ! L’extrême droite a joué le rôle d’épouvantail pour rallier les électeurs à des politiques maquillées de gauchisme et de démagogie mais en vérité totalement soumises aux marchés financiers ! Bien sûr, contrairement à son père, Marine Le Pen, tablant sur le sentiment d’expropriation, peut gagner, mais elle ne fera pas longtemps illusion. Elle exploite l’héritage Pétain.

Le capitalisme intégré semble ne jamais pouvoir sombrer. Et le trou de la naissance ne jamais vraiment s’ouvrir pour de bon, tout en exploitant sa menace, sous forme de crise bien gérée, pour soumettre les humains réduits, sous forme de consommateurs formatés, à de la matière première pour les marchés. Les forces gestionnaires, dans leurs réseaux, tiennent toujours la rampe. Même si on parle beaucoup, surtout les politiques, de changement…

La domination par le capitalisme intégré est certes difficile à circonscrire. Ceux qui croient détenir le pouvoir ne l’ont en réalité pas. Le drame de ces politiques, qui en France appartiennent aux élites républicaines, ingénieurs, énarques, c’est que dans les années 80 leur religion d’Etat, qui les maintenait dans son giron, a été détruite, le capitalisme a changé d’axe ! Alors, pour maintenir leurs acquis, ils ont se sont soumis ! Nos politiques actuels se sont formés dans ces années 80 où s’est produit un basculement. D’où cette impression de plus en plus flagrante que leur pouvoir est une illusion face à la finance ! Désormais, le monde soumis au numérique devient un mode de gouvernance. Les humains ont beau être attachés à leurs lieux, à leur histoire, à leurs langues, à leurs conflits, on les gouverne désormais depuis le virtuel, la cybernétique. Ils sont normalisés comme des choses.

Certes, l’abandon de souveraineté est général ! Mais n’y aurait-il pas une autre souveraineté, en chacun de nous ? Et si nous arrivions à cesser de nous soumettre à ce crime inconscient qui peut prendre un aspect de suicide inconscient ? Certes, c’est très long et très difficile de se sevrer, d’accepter la béance du trou, l’aspect catastrophique d’une crise qu’on ne nous volerait plus. Mais ne serait-il pas temps de s’apercevoir d’un sens très nouveau du mot « pouvoir » ? Ces politiques qui revendiquent le pouvoir alors qu’ils ne l’ont en vérité plus misent sur notre impuissance, sur le fait que nous n’aurions pas de pouvoir individuel. Or, ce pouvoir-là, qui révolutionnerait la conception qu’ont les politiciens actuels de l’exercice du pouvoir, ne commence-t-il pas par le fait de dire « non » en disant « je » ? En vérité, non à la politique de l’offre, à toute cette marchandise dont nous ne voudrions pas manquer et d’où les marchés financiers tirent les plus grands profits. Et si nous cessions de vivre comme des fœtus reliés aux réseaux placentaires ? La logique de cette crise mondiale si bien analysée par François Meyronnis ne serait-elle pas en fin de compte une logique placentaire, de gestation interminable, nous empêchant de sortir, de naître sur terre, nous maintenant dans un camp cybernétique qui nous extermine en nous soumettant ? Le livre de François Meyronnis, en nous rendant plus éveillés à propos de cette crise qui profite si bien aux marchés, nous ouvre la perspective d’être enfin indemnes. Et, ça et là, quelques humains réussissent déjà à mettre en acte le décrochage qui donne à la lumière.

Alice Granger Guitard



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