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Lire Pierre Legendre
samedi 14 février 2015 par Calciolari

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L’architecture
dogmatique de l’Occident

Lire Pierre Legendre

GIANCARLO CALCIOLARI


(8.03.2014)


Lecture de la note
marginale de la Leçon IX de Pierre Legendre, “L’Autre
Bible de l’Occident : le Monument romano-canonique. Étude
sur l’architecture dogmatique des sociétés”
(Fayard, 2009).


La note marginale
d’introduction au livre écrit par Pierre Legendre
pourrait être dite centrale. En effet, il n’y a pas de
note marginale ou centrale ou linéaire (c’étaient
les gloses de la scolastique qui étaient linéaires ou
en marge du texte) : il y a la notation, qui est l’autre nom de
l’écriture de l’expérience. Chaque note est
essentielle pour le voyage intellectuel, et si elle se laisse prendre
comme plus ou moins importante, c’est seulement parce que le
voyage n’est pas encore instauré comme intellectuel et
persiste pour certains aspects dans la circularité ou dans la
linéarité, ce qui à partir de Girard Desargues
est la même chose.

L’entreprise de
Legendre, selon sa note, ne s’adresse pas aux exégètes
spécialistes des replis scolastiques du Moyen Âge. Et
entre les généralistes et les passants, il invite en
particulier les chercheurs qui ne relèvent pas de la
généalogie euro-américaine à une
réflexion sur un édifice de discours essentiel à
la compréhension de la civilisation moderne, néanmoins
soustrait à la reconnaissance commune des sources de
l’identité occidentale.

Peut-être
faisons-nous partie de ces chercheurs qui ne relèvent pas de
la généalogie euro-américaine, par une lecture
de près de quarante ans de la généalogie comme
question et instance intellectuelle, par la non-adhésion à
l’hypothèse que la généalogie (avant même
que euro-américaine) ne soit pas une question et une instance
intellectuelle mais une fantasmatique, c’est-à-dire une
tentative d’ériger une copie impossible de la vie. Notre
hypothèse de travail est que la généalogie, un
des noms de la hiérarchie et de l’hypothèse
théologique politique (de dieu à l’homme par
l’angélologie), est une tentative de maîtrise et
de contrôle de la vie. Sa nature n’est pas la parole,
mais le discours comme cause, qui se réalise dans le
diamétralement opposé au principe énoncé.

Quelle
est la recherche de Pierre Legendre ? Juriste de formation d’abord
et psychanalyste de formation ensuite, avec Jacques Lacan, il a
découvert quelle est la structure portante de l’Occident.
Et celle-ci n’est pas le complexe d’Œdipe, ni la
synthèse ou la conjonction syncrétique de la mythologie
européenne, ni aujourd’hui celui qui prêche le
discours du management arrivé au pouvoir, ni la science
politique des théoriciens et des historiens académiques
actuels. La question juridique comme question intellectuelle qui
regarde
chacun est simplement inexistante.

Depuis
cinquante ans, Pierre Legendre effectue des recherches archéologiques
sur l’architecture de l’entreprise dogmatique et rouvre
le débat intellectuel avec le chantier de la question
juridique. En bref, pour Legendre l’architecture
institutionnelle d’aujourd’hui, qui est en train d’être
démantelée par les marchés de globalisation (il
n’utilise pas le terme de capitalisme), est la fille de la
scolastique et de la disjonction exclusive entre christianisme et
judaïsme (VIe siècle) et de la conjonction successive,
évidemment inclusive, entre le droit romain et le droit
canonique : entre la loi humaine et la loi divine (XIIe siècle).
Il récupère ensuite au Moyen Age, dans la compilation
du moine Gratien les fondements juridiques et anthropologiques de
l’Occident, de l’État et de ses institutions, y
compris les tribunaux et la police. Il s’agit du texte connu
dans le domaine du droit comme
Decretum
Gratiani
,
dont le titre est
La
concorde des canons discordants
.

Pour cet aspect de son
archéologie du savoir institutionnel et juridique, il arrive
jusqu’au douzième siècle, et même jusqu’au
sixième siècle avec l’empereur Justinien qui
définit comme folles les interprétations des Juifs.

D’autres
philosophes ont remonté plus loin dans le temps pour repérer
l’origine et l’architecture du pouvoir. Par exemple
Giorgio Agamben étudie, dans le sillage de Jacob Taubes, les
lettres de Paul, qui semblent avoir jeté les bases du
christianisme et de ses institutions. Et avec la
République
de Platon et la
Politique
d’Aristote l’on gagnera encore quatre cents années...
ceci pour souligner la position que donne effectivement Legendre au
Decretum
Gratiani
,
celle d’origine de la refondation du christianisme.

Le
livre étudie l’Occident

effaceu
r
de son Texte” (7). Mais ce sont les archives qui sont fermées
ou les chantiers de la lecture qui ne sont pas ouverts. L’annulation
est impossible, parce que le Texte n’est pas présent, il
n’est pas caché, il n’est pas supprimé : il
est à restituer dans une autre lecture. Et dans ce sens
l’étude de Legendre ouvre une brèche dans la
lecture de la question juridique, en l’enlevant du domaine des
spécialistes où les archives semblent hermétiquement
fermées, scellées et recouvertes de béton.

Legendre
étudie “la partie censurée de la civilisation
dite judéo-chrétienne, le Monument romano
-canonique”
(7). Et à juste titre il qualifie de “dite” la
civilisation judéo-chrétienne. Et sa recherche est
plutôt sur la partie censurée de la civilisation
chrétienne par rapport à la question juridique
aujourd’hui. La question juive est touchée seulement à
quelques occasions. Justement par rapport au
Decretum
de Gratien, l’on devrait parler plutôt de la partie
censurée de la civilisation juive. Mais c’est un
euphé
misme,
puisqu’il
ne s’agit pas d’une partie censurée
,
mais
de
toute la question et de toute l’instance juives.

La
clé du travail de Legendre regarde les sociétés
selon la lettre de leur discours. Dans cette “lettre” il
y a peut-être une influence timide de Lacan, qui pour la
plupart n’est pas mis en jeu. Les références
psychanalytiques de Legendre sont toutes à Freud. En
particulier, l’usine de Legendre vient de sa lecture de
Totem
et Tabou

(1913). Il convient également de mentionner que Legendre a
écrit la neuvième leçon qu’il estime
concluante, sans jamais avoir donné à la publication la
cinquième leçon :
Un
accident de la pensé
e :
la
psychanalyse.
Étude sur le questionnement ouvert par Freud
.
L’étude sur la psychanalyse. Toutes les autres leçons
ont été publiées.

Une analyse littérale
de Freud : Legendre prend Freud à la lettre, et c’est la
raison pour laquelle il maintient comme structurel le principe
totémique, par où il n’y a même pas
l’hypothèse d’une descente du complexe d’Œdipe,
que pourtant il y a chez Freud, même si cela comporte
l’instauration du surmoi, qui est presque la même chose.

Toutes
les leçons de Legendre, et pas seulement la neuvième
leçon conclusive, se réfèrent à la phrase
inaugurale du
Decretum
de
Gratien : “
Humanum
genus duobus regitur
”,
qui se traduit par “Le genre humain est gouverné selon
deux mesures” (7). Et ce sont pour Legendre les premiers mots
de la compilation médiévale
Concordia
discordantium canonum

qui ont scellé le destin institutionnel de l’Occident,
en énonçant, sur un mode inédit, le pacte entre
la Raison romaine et l’Évangile. Et affirmer cela c’est
braver l’
ordre
établi
de la Mémoire moderne (7). Non pas parce que les oligarchies
de l’Occident n’ont pas l’intention de faire savoir

que l
e
pacte qui tient leur immeuble, leur monument, est la théologie
politique, mais parce que la Mémoire moderne se considère
émancipée de la question théologique. Il y en a
qui ont écrit que le
Decretum
de Gratien donne le départ au processus implacable qui
conduira à la séparation totale entre le droit et la
théologie dans le monde occidental. Pas vraiment : c’est
la soudure entre le droit romain et l’Évangile. C’est
la fondation théologique moderne du pouvoir politique. Et elle
serait à lire conjointement avec la politique de la fondation
théologique de Paul.

Legendre
se demande pourquoi ouvrir aujourd’hui ce chantier
de
l
’oubli
(7). Et il répond : “Simplement parce que l’avènement
d’un monde défait de ses bandelettes traditionnelles par
la Globalisation industrielle et commerciale va produire
inexorablement l’effet de mettre à nu la civilisation
dominante, la nô
tre
en l
’occurrence.
Le Roi
est nu
,
mais

il ne le sait pas

(7). Il serait une conscience occidentale presque sans défenses
(quelles étaient-elles ?) et l’émergence de la
globalisation à laquelle attribuer la responsabilité du
processus de domination et attribuer

la nudit
é
du roi. Mais la globalisation ne sait pas qu’elle est nue. La
force de cette affirmation dernière pourrait également
regarder le
cas
même
de Legendre : il pourrait être, lui, le roi nu. Nous aussi
sommes nus, mais en tant que lecteurs du cas de Legendre comme notre
cas, sinon rien ne peut être entendu de son élaboration.

La conscience
occidentale sans défense contre la globalisation, écrite
par Legendre avec la majuscule, n’est pas notre hypothèse
de lecture. La globalisation est dans la circularité de la
conscience occidentale, en tant qu’érigée sur les
trois principes d’Aristote, qui fondent la circularité,
et en cela il s’agit de la formalisation du mythe de la caverne
de Platon. Le mythe de la prison.

Certes,
la globalisation peut sembler au plus loin de la thé
ologie,
mais
elle
est encore un de ses produits, comme le nazisme. Voilà
pourquoi l’adhésion au nazisme n’a jamais été
mise en question ni par Carl Schmitt, ni par l’apostat Martin
Heidegger, qui découvre l’athéisme de la
philosophie et la circularité
de
l
’être.

L’annotation
sur l’empire de soi-même que fait Legendre à
propos du roi nu est un fait intéressant, : “Or, qui est
le Roi sinon nous tous, sujets érigés en monarques,
revendiquant chacun pour soi la pose de l’individu-Souverain”
(8). Et l’empereur de l’État libre de soi-même
serait couvert par le manteau de la “post-
humanité”
qu
i,
dans le conte d’Andersen, est la robe magique. La science
politique moderne, qui devrait être avertie par la métaphore
de Legendre, comme la post-
humanité,
n’aurait pas de connexion avec l’axe romano-canonique

qu
’étudie
l’auteur. En fait, si tous sont rois, personne ne l’est.
Il n’y a plus de rois, mais un pool d’oligarchies
nationales et transnationales.

Et
ainsi Legendre se rappelle “une vérité de base :
combien
il est difficile de dévoiler ce qui néanmoins crève
les yeux

(8). En effet, dévoiler comporte

la r
é-vélation,
une voile selon la même logique qui paraît s’analyser
et se mettre en question. Pourquoi ? Parce que ce qui crève les
yeux répond au principe de la vision, au concept de vision,
qui exclut ce qui se voit et ce qui apparaît comme la fausse
couverture des choses, et vise la structure cachée des
choses. En ce sens, le chantier de Legendre prétend trouver la
vraie structure de fait, et dans son discours il est difficile pour
nous de révéler ce qui crève les yeux : que
l’édifice de l’Occident, reconstruit par Legendre,
est purement fantasmatique, une hypothèse déductive
dont la méthexis est exécutée comme hypothèse
inductive

qu
i
ne pourra

jamais d
émontrer
et réaliser les postulats théologiques du
christianisme.

Dans
ce qui contrarie la question juridique occidentale, comme
« l’historicité linéaire, vécue
comme une succession de pages qui se tournent, [qui] a produit la
conception européenne d’une sorte de temporalité
universelle, mesure pour juger le sens
de
l’histoire
mondiale planifiée

(8), pour nous il y a le déroulement d’un corollaire de
l’échafaudage que Legendre prend comme édifice

de l
’Occident.
La lin
éarité,
c’est-à-dire selon le cité Girard Desargues,
ingénieur, géomètre et mathématicien du
XVIIe siècle, la circularité, est celle qui est
détectable dans le texte et dans l’expérience de
Pierre Legendre. Le point final de cette historicité dans la
lecture de l’évolution des sociétés serait
“une Modernité absolue et totale, évidant la
parole généalogique qui porte les cultures” (8).
La parole généalogique qu’invoque Legendre est
également hiérarchique et c’est le système
d’inclusions et d’exclusions, qui nie le féminin,
même dans Freud, qui nie l’instance juive. La langue du
Troisième Reich, étudiée par Klemperer, est une
concrétisation de la parole généalogique et non
pas quelque chose qui s’y oppose. Il reste à lire la
théologie bricolage d’Adolf Hitler dans
Mein
Kampf
.
Livre tellement décrié afin que vous ne vous aperceviez
pas qu’il est reproduit par tout politicien dans tous les coins
de la terre.

Dans
la planète homogénéisée, c’est-à-dire
sans histoire (
déshistorisée),
serait accomplie, prenant la portée d’une libération
,
la proph
étie
d’Orwell :
Nous
taillions le langage jusqu’à l’os

(8). Cette taille du langage provient d’Aristote avec la notion
de tiers exclu. Le tiers découpé pour permettre
l’identité et la non-contradiction de
x.
Ce même
x
auquel
Lacan aura recours pour mettre en scène les formules de la
sexuation.

Animal
d’
abattage
que
le
langage ? L’abattage du langage ? L’abattage, qui provoque
d’infinies interventions idéologiques ou religieuses et
de très rares interventions de recherche intellectuelle,
repose sur la syllogistique aristotélicienne. C’est le
logos
qui abat le langage (dans le fantasme développé par
Legendre à ce propos
),
q
ui
d’ailleurs est une dimension indestructible de la parole.

Une
méconnaissance
fonctionnelle

est à l’œuvre, qui permet de se laver les mains
d’un fait structurel : que nous habitons tous une Terre des
Ancêtres, constituée non pas tant par une géographie
physique, que par la géologie de discours accumulés,
sédiments enfuis dans l’en dessous de la surface
contemporaine, partout sur la planète” (8).
Méconnaissance qui est une fonction humaine ou bien une
fonction de l’inconscient, pas à portée de main
d’un humain ? C’est une méconnaissance qui permet
de se laver les mains, de ne pas assumer

la responsabilit
é
de la méconnaissance. Alors, c’est une méconnaissance
agie comme fonction humaine. Ce qui est en jeu est un “fait
structurel” incontestable, comme si l’acte de parole, la
logique mê
me
de l
’inconscient
et de la vie pourrait se suspendre dans l’imagination et dans
la croyance du fait. La chose requérait une structure
factuelle, en effet “faite”. Donc, une structure
présente, ontologique, circulaire. La géologie
fantastique à laquelle se réfère Legendre est
une stratification dont la ligne de sédimentation à
l’infini est un cercle. C’est sur un mode fabulateur
accepter la question close, évidemment pendant que s’ouvre

un
chantier
exceptionnel. Pierre Legendre fait l’archéologie des
discours accumulés, sédimentés. Mais jamais le
discours ne doublera la parole, l’inconscient, le nombre.
Rester dans l’archéologie du discours ne permettra
jamais d’aboutir à la parole originaire. Le cercle ne
deviendra jamais spirale.

Louis
Althusser était allé plus loin que Legendre, en disant
que nous piétinons les morts, comme si la planète était
un cimetière sans fin. Les deux fantasmatiques doivent être
lues. Dans Althusser la référence au discours de la
mort est plus forte. Mais il n’y a pas d’autre discours
que le discours occidental, le discours de la mort. Et sa fondation
n’est pas dans le
Decretum
Magistri Gratiani
,
mais
en
particulier entre Platon et Aristote.

Legendre
reconnaît que le texte de Gratien, avant, était
“quasiment inconnu en dehors d’un secteur d’érudition
où ne se rencontraient que des spécialistes entraînés
à
un
savoir codifié des origines de la Question juridique

(8). Mis à part les lecteurs de Legendre, en effet, le Décret
de Gratien ne fait pas de débat, même parmi les savants
et les doctes en droit romano
-canonique.

Comme emblème de
sa recherche Legendre met une maxime d’Héraclite : “Le
chemin montant descendant est un et le même” (fragment
118). Chemin qui ne paraît pas encore pris dans la circularité,
pourtant, il s’agit de cela.

Aucune
philosophie établie ne guide la recherche de Legendre (8). “Il
s’agira de tenir en quelque sorte un cahier d’exploration,
modestes
Notes
de chantier
,
facilitant à d’autres la reprise demain de ce chemin
pour pousser plus loin l’aventure” (9). Il faut dire que
nous avons l’impression d’avoir poussé beaucoup
plus loin l’aventure de ce chemin dans une direction qui n’est
pas celle de Pierre Legendre, en dépit d’avoir
intégralement lu l’œuvre éditée par
l’auteur. Nous nous en tenons à l’hypothèse
nouvelle et nous nous confrontons avec le texte de Pierre Legendre et
le restituons dans un autre chiffre. Aucune archéologie de
l’œuvre. Aucune contre-armure dogmatique. Aussi pour nous
vaut la belle formule de Legendre : “rien ne sera là pour
nous guider” (8). En fait, le guide est une figure impossible
du nom du nom, du principe totémique,

qu
’ailleurs
cependant Legendre maintient comme principe positif. S’il n’y
a plus de guide, Legendre devrait atteindre le théorème
qu’il n’y a plus de principe totémique, mais il ne
franchira jamais cette étape. Sa lecture de Freud et de Lacan
est celle d’un érudit, pas d’un chercheur, comme
c’est le cas avec la question juridique et le Dé
cret
d
e
Gratien.

Certes,
l’ouverture du chantier de travail a provoqué

la r
éaction
de la nomenclature des études historiques juridiques. Il
convient de mentionner que “pour cause” Pierre Legendre
est devenu connu du public avec le livre
Les
excommunicants
,
titre original qui a été maintenu dans l’édition
italienne éditée par Armando Verdiglione. En français,
le travail a été publié sous le titre
L’amour
du censeur
.
En bref, le principe de l’amour du censeur est le principe
d’autorité, le principe totémique, le primat du
phallus, que Legendre après plus de 50 années de
recherche maintient comme principe de composition dogmatique de
l’architecture de l’
Occident ;
et
ce qui est en jeu n’est pas seulement à qui ou à
quelle part attribuer la décomposition, la corruption du
royaume du Danemark. Ou la gnose et sa tentation de l’unité
des contraires. Précisément, le
Décret
de
Gratien possède une usine gnostique, mais de cela Legendre
n’en parle pas.

Au-delà
de
la consid
ération
que sur la piste de recherche de Pierre Legendre, il y a d’autres
chercheurs très rares et méconnus, et que sur notre
piste peut-être il n’y a même pas le répondant
du correcteur des épreuves de Peirce, ironiquement appelé
en cause comme son seul lecteur, nous poursuivons dans la lecture de
la note marginale de la neuvième leçon de Pierre
Legendre.

Inévitablement,
il paraît téméraire de tenter de clarifier la
problématique du pouvoir à l’ère d’une
décomposition sans nom de
l’État
fabriqué par des juristes
.
Aujourd’hui, ce
produit
dérivé du romano-christianisme

se trouve, sinon directement concurrencé, du moins enrégimenté
par le Management généralisé, dans un processus
d’amplification de la puissance qui échappe à la
fois aux instruments traditionnels du contrôle politique et aux
méthodes d’intelligibilité de sa propre
constitution historique forgées par l’Occident depuis
l’ancrage médiéval” (9).

Bien
que Legendre dans le sillage de Lacan est amené à
s’interroger sur les fondements linguistiques de toute société
humaine, l’effort d’analyse linguistique n’investit
pas chaque détail de l’expérience. Par exemple,
“tenter de clarifier la problématique” n’est
pas clarifier le problème ; et déjà clarifier le
problème pose la question de la
clarté,
qui n’est pas humaine, comme ne l’est pas l’inconscient.
Tenter quelque chose est toujours voué à l’échec :
les choses se font, elles ne se tentent pas, elles ne se prouvent

pas. L
a
tentative est substantielle

et mental
e,
c’est-à-dire circulaire. Elle est sans tentation
intellectuelle. Et la clarté est le long du fil du crépuscule :
elle est in-tentable. Elle est une propriété de l’acte
de parole. Pourquoi la problématique et pas le problème ?
Quelle est la technique du problème ? Quelle est la machine du
problème ? Cette sollicitation linguistique qui est la nôtre
rappelle le mode de l’exégèse juive du texte et
de la lettre, qui n’intervient pas dans l’analyse de
Legendre. Il n’y a pas d’attention à la question
juive, à la question du nom (
HaShem,
le Nom). Et il faut se demander non seulement ce que Legendre entend
par “une décomposition sans nom”, mais aussi quoi
d’autre il entend par une décomposition avec le nom.

Aujourd’hui
est en acte un état de décomposition sans nom fabriqué
par des juristes. Et si c’était que l’État
fabriqué n’est pas l’état dans l’acte
de parole et donc se trouverait justement comme État
“fabriqué”, “institué”, “fait” ?
L’idé
e
de l
’État
n’opère pas : elle fabrique ; et le cycle est celui de la
constitution-institution-destitution. Tout projet purement
fantasmatique ne réussit pas. L’
inidentité
sans nom, est-ce la pulsion de mort de l’identique et

de l
’identité ?
Certes, les diverses doctrines de l’État, même
celle

qu
’a
enseigné Antonio Negri à
la
faculté de sociologie
à
Padoue, se réfèrent toujours à quelque chose de
construit par l’homme, mais il faudrait distinguer

entre

dispositifs intellectuels de vie absolue et dispositifs conformistes
de maîtrise et de contrôle. Ou bien il faudrait
distinguer entre l’
intellectualité
et l’empire. Dans l’empire il n’y a aucune
intellectualité.

Que
l’État fabriqué dérive du christianisme
romain est une acquisition de Legendre. Et nous donnons une autre
lecture du christianisme romain et aussi du
Decretum
de Gratien. Le pôle négatif de l’État
fabriqué par les juristes serait le management généralisé.
Mais si nous allons lire diverses théories du management nous
trouvons un échafaudage dont les bases sont les mêmes
que celles de Legendre, qui sont une mise à jour d’Aristote.
Le primat du phallus a ses bases dans la syllogistique d’Aristote :
le primat d’A sur non-A, qui est littéralement donné
comme tiers exclu. Et dans le primat du phallus, forgé par
Freud avec une seule libido masculine pour les deux sexes, A est
masculin et non-A est féminin. Et dans Lacan la lettre se
spécifie comme
x,
comme variable dans le sché
ma
de
s
sexuations.

Legendre
affirme que l’État fabriqué par les juristes se
trouve donc enrégimenté par le management généralisé
dans un processus d’amplification de la puissance qui échappe
tant aux instruments traditionnels de contrôle politique qu’aux
méthodes d’intelligibilité de sa propre
constitution historique forgée par l’Occident à
partir de l’ancrage médiéval. La puissance
fuyante est l’aspect euphorique de l’installation
impériale actuelle, appelée par Legendre justement
“management généralisé”. L’autre
face est l’impuissance, toujours fuyante, aux théories
politiques actuelles. Le management généralisé
(entendons les sociétés moyennes gérées
comme les entreprises) imposerait des instruments non traditionnels
de contrôle politique. Ce qui reste constant est le contrôle
politique, et plus proprement impolitique. La politique du faire, la
sexualité, ne se laisse pas nier par le contrôle, comme
la logique de l’inconscient ne se laisse pas maîtriser.
Que le management généralisé instaure une autre
forme de contrôle politique indique que c’est l’idée
de contrôle qui est la base de cet aspect du pouvoir
politico-managerial d’aujourd’hui. Dans cette analyse de
Legendre, l’échafaudage hiérarchique de la
société ne se remarque pas, c’est-à-dire
le primat

de l
’empire
des oligarchies au pouvoir reste caché derriè
re
un
signifiant
institutionnel, fixe, signifié, politiquement correct,
c’est-à-dire maîtrisé et contrôlé
par la doxa des serfs intellectuels des oligarchies. Freud saisit
clairement la structure oligarchique dans
L’Avenir
d’une illusion
,
sur l’Europe il dit qu’elle est régie par deux
familles.

Les
instruments traditionnels de contrôle politique, que
contrôlent-ils ? Les hommes et les choses. Ils contrôlent

que l
a
hiérarchie soit

respect
ée
et que le mouvement des femmes et des biens suive les règles
de l’anti-vie aristotélicienne (les trois principes de
la logique, qui est la formalisation du mythe de la caverne de
Platon). Tout au plus, comme l’enseigne Freud dans
L’Analyse
terminée et interminable

(1937), les hommes peuvent protester virilement et les femmes peuvent
envier le pénis. L’axe portant qui divise pour régner
est scellé comme primat du phallus avec Lacan, auquel échappe
seulement le père mythique
de
la horde primitive,
c’est-à-dire
le père du “mythe scientifique” de Freud, dont il
faut se rappeler qui est toujours le père mort, le nom mort,
le zéro mort. Lacan écrit en lettres claires que le nom
du père est la mort du père.

Il
ne s’agit pas de deux structures, comme le suppose Legendre :
d’un côté le pacte entre la raison romaine et
l’Évangile et de l’autre le management généralisé
comme dissolution du pacte et de ses fruits, en particulier de
l’État. Ce qui est en jeu est la même
fantasmatique de maîtrise logique et de contrôle
politique. Qu’est-ce que c’est que l’empire ? Que
sont que

la ma
îtrise
et le contrô
le ?
La tentative de

rompre l’entier paraît hermaphrodite quand la division
regarde celle attribuée aux sexes. Division opérée
entre hommes et femmes (cérémonies et liturgies du
devenir homme et du devenir femme : les exemples sont légion).
Et divisions opérées entre hommes et hommes, entre
femmes et femmes. Division aussi entre esprit et corps. Et
fabrication d’un corpus explicatif et des énigmes
évidemment insolubles dans lesquels, pour reprendre la
citation d’Héraclite : le chemin qui monte et descend est
un seul et même. La division entre drogue et mé
dicament,
dont
l’énigme n’a pas été résolue
par un comité d’étude français qui a
travaillé pendant dix ans, surgit de

la m
ême
manière que dans un tout autre secteur, les mathématiques,
l’é
nigme
de l
’hypothèse
du continu (la division entre discret et continu) n’a pas
trouvé de réponse et apparemment le travail de Paul
Cohen a conclu la recherche, en démontrant que pour un certain
modèle de mathématiques il est indifférent qu’il
soit ou il ne soit pas continu.

Les
méthodes d’intelligibilité, qui laissent échapper
le processus d’amplification du pouvoir de l’irrégimentation

de l
’État
fabriqué par les juristes de la part du management généralisé,
sont opaques justement par rapport à l’
ancrage
m
édiéval.
La clarté politique est considérée comme clarté
logique (ontologique) et donc les postulats (l’axiome est une
autre chose) s’avèrent illisibles. Le pacte entre la
raison romaine et l’Évangile est illisible pour
Legendre, qui prend comme postulats la raison romaine et l’Évangile.
La division chimérique entre la loi humaine et la loi divine
est encore plus cachée dans sa nature fantasmatique de la
constitution historique forgée par l’Occident sur
l’
incipit
du
Decretum
de Gratien, et il paraît

qu
’elle
est cachée aussi par le chantier de recherche ouvert par
Pierre Legendre.

Elles
semblent deux lois, mais elles ne font qu’une. Elles semblent
deux libidos,

mais
elles
ne font qu’une. Elles semblent deux sexualités

(homo et
hétéro),
mais
elles
ne font qu’une. Et ceci a été lu non pas selon
l’entier, l’originaire de la parole, mais selon le primat

de l
’un
et de l’unification des contraires. On cherche à
substituer à la vie l’algèbre et la géométrie,
telle est la survie des uns et la sous-vie des autres. C’est
par ceci que le sous-vivant dans le camp d’extermination trouve
comme énigme la plus importante le regard incompréhensible
d’un survivant, d’un chargé de

ma
îtrise
et de contrôle, de sorte que l’holocauste réussisse.
Le management de l’extermination ne va pas contre la logique
occidentale : il est l’un de ses fruits.

Legendre ne fera jamais
la découverte amère que le principe régissant
est le principe même de décomposition... Le principe qui
régit la non-contradictoireté d’A, son identité,
c’est le principe de la destruction de l’Autre, le
principe du tiers exclu. Érudit du droit Legendre, mais
peut-être pas de logique. Et ce qui ne se comprend pas de la
logique d’Aristote est que A exclut non-A pour éviter la
contradiction et pour rester identique à lui-même et le
processus se terminera par l’exclusion de A. Dans les
conversations à la table du dîner, Hitler a annoncé
vouloir exterminer pas seulement les Juifs, et au lieu de la solution
finale et de l’extermination de l’autre absolu dans
toutes ses figures impossibles, il a fini par se suicider. Quand
Hitler est parti pour la solution finale il ne savait pas qu’il
avait signé son suicide. Et personne n’avait pu dire au
roi qu’il était nu. La réalisation du fantasme
comporte la circularité parce que le fantasme lui-même
est circulaire : la copie impossible de la vie procède de la
question close, c’est-à-dire de la prison de Platon et
de sa traduction dans la logique aristotélicienne. Il s’agit
d’imagination et de croyance et non pas de tentation
intellectuelle qui n’a aucun fantasme, aucune représentation,
aucun principe de soutien, aucun primat du phallus.


Pour
Legendre “nous vivons une échéance dans ce vaste
système de crédit planétaire, où
progressivement la culture sortie du tripot ouest-européen
avec le reste du monde est en train de perdre ses cautions. J’entends
par là : perdre la garantie que d’autres
civilisations, c’est-à-dire d’autres montages de
questionnements et d’interprétations, payeront
indéfiniment le négatif à notre place, en
s’abolissant eux-mêmes” (9). L’écart
est infiniment petit, discret et cardinal. Il est ordinaire d’enlever
l’écart, l’infiniment petit, l’indice d’une
différence insurmontable. Il n’est pas question de deux
processus, mais d’un seul. Les autres civilisations paient
depuis des millénaires le négatif de la logique
occidentale. Et l’échéance du système de
crédit planétaire, appelée aussi crise, sert une
mise à jour du même système de crédit qui
assigne le négatif à l’autre. Les autres
civilisations continuent de payer le négatif à notre
place et les ré
ponses
qu
’elles
ont donné sont internes à la logique aristotélicienne,
elles ne la subvertissent pas en commençant une autre aventure
et en ce sens elles s’abolissent en se prenant pour non-A.
La
r
évolte
et le refus contre l’attribution du non-A ne sont pas la guerre
et la non-acceptation intellectuelles. Les autres civilisations sont
des civilisations, elles ne sont pas des non-A. Qu’est-ce qui
dans le discours occidental procède de la question ouverte ?
Est-ce notre racine ? Ou bien l’ouverture est-elle constatée
dans une autre lecture de la Renaissance comme instance et comme
question ? Et alors le texte occidental est également la
restitution en un autre chiffre de la matière qui cache
l’ordre du discours. Matière qui est aussi de la Bible
et de l’Évangile, dans le sens du christianisme, et donc
elle est également de l’instance juive antécédente
et de l’instance islamique suivante. Leur lecture est encore
plus scellée que celle du
Decretum
de Gratien.

En
d
autres
termes, écrit Legendre, un mouvement de pensée vient à
son terme : le Moyen Âge achève son existence sous nos
yeux, le mouvement inauguré par la scolastique
romano-canonique et ses suites modernes jusqu’à
Hans
Kelsen et

à Carl Schmitt compris. À l’échelle de la
techno-science-économie globalisée, où
l’Occident en panne trouvera-t-il ses dépanneurs ?”
Depuis des années, nous distinguons entre acte de pensée,
propre de la philosophie, et acte de parole, qui s’énonce
comme brèche dans Freud, reprise par Lacan et relancée
par Verdiglione. La philosophie est un certain ordre rotatoire que
Lacan, de par sa formation philosophique, retrouvera dans sa
psychanalyse. La philosophie est circulaire, comme la caverne
platonicienne et comme la syllogistique aristotélicienne.
L’acte de parole va dans la direction de la qualité dans
une courbe anomale dans chaque cas singulier. Et ainsi il est juste

que
tout
mouvement de pensée atteigne son terme. En outre il est juste
de compter le nazi Carl Schmitt comme épigone de ce mouvement
de pensée, entre autres choses, il trouve un couple
d’opposition cardinale pour son raisonnement, celle
d’ami-ennemi, dans la
République
de Platon. Certes, si l’Occident en panne y cherche ses
sauveteurs il les trouvera dans les fossoyeurs, dans le sens qu’il
les crée, comme
la
panne
.
Autre chose est la restitution du texte occidental.


La
techno-science-économie globalisée est régie par
les mêmes principes d’anti-vie qui président au
compromis entre droit romain et droit canonique. Ils semblent deux
droits (
Utrunque
ius
)
mais ne font qu’un. Pourtant, le droit n’est pas un, il
ne se soumet pas au primat

de l
’un.
Sa question et son instance se posent par rapport à l’Autre,
à l’autre temps du faire et non à l’Autre
de Lacan qui préside à l’acte, de ce que la
structure linguistique pour Lacan est présente.

Ce
que propose le marché des idées en vogue des savoirs
cumulatifs au goût du jour est raillé par Legendre. “Il
s’agit d’une capacité d’un autre ordre :
penser
le pouvoir en termes de légitimité du pouvoir
,
et par conséquent de situer la question juridique dans la
causalité de l’architecture institutionnelle”
(9-10). Le pouvoir est impensable. Le concept de pouvoir implique
plutôt sa pensabilité et donc le pouvoir

de l
’idée
gouverne l’idée du pouvoir, dans la circularité.
Seulement au pouvoir pensé peuvent être appliquées
la légitimité et l’illégitimité,
sans la loi. Que l’archéologie du pouvoir trouve
seulement le pouvoir de l’archéologie indique une
légitimité généralisée à
toute l’installation du principe de pouvoir (qualifié
non à tort comme mâle par le féminisme) qui ne
comprend pas comment le pouvoir illégitime est celui des non A
qui est produit par les A.

Situer
la question juridique dans la causalité institutionnelle fait
suite pour Legendre à la légitimité du pouvoir.
L’institution cause. Le cycle de l’institution du canon
occidental est constitution-institution-destitution. Question de ce
qui reste. Et la copie de la vie, le fantasme, ne reste pas, ne
s’écrit

pas.


Selon
la perspective que Pierre Legendre dessine dans la note marginale du
livre, “nous allons retrouver un chemin de tous les temps : la
réflexion humaine sur la répartition instituée
de la créance et de la dette, autant dire sur le généalogique
comme principe différenciateur et comme condition de l’échange
politique” (10). Le principe généalogique
différenciateur, également entre homme et femme, est
comme le primat du phallus théorisé par Lacan. Le
crédit par rapport à l’éthique et la dette
par rapport à la loi sont non généalogiques
.
La g
énéalogie
de la vie compte pour les douaniers de la vie, qui obtiennent un gain
secondaire en fixant les critè
res
d
’accès
au crédit, par une annulation idéale de la dette
inconsciente qui comporte le besoin d’un père, qui
devrait justement fournir les clés de l’accès. Il
y a toujours le doute sur la tenue institutionnelle des tentatives
impé
riales.
À
quel instant la stabilité d’un règne qui a des
années bascule dans l’instabilité qui jette le
dominateur parmi les derniers dominés, les condamnés à
mort ?


Par
rapport à la voie tracée par Legendre il convient de
noter que le paiement de la dette avec son propre corps définit
l’
esclavage.
Et
donc
la
répartition
instituée est au service de la domination, qui par ailleurs
n’a aucune certitude d’exister même une seconde
plus tard. Un successeur s’instaure et un despote fait un
demi-tour dans la roue perverse du pouvoir et il se retrouve esclave.
Et le successeur est le seul candidat à sa place qu’il
n’a pas réussi à tuer. Il les a tués tous,
les candidats, moins celui seul qui le destitue et le saborde.


Le
généalogique comme principe différenciateur
n’est rien d’autre que le primat du phallus, qui dans
Legendre est aussi primat du principe d’autorité et du
principe totémique, en fait, il établit la différence
des sexes et les diverses différences sociales. Le
généalogique justifie l’hiérarchique et
vice versa
.
En
effet,
ils sont la même chose. Comment les choses se
distinguent-elles, comment les choses se différencient-elles,
comment les choses se divisent-elles ? Même la leçon
inaugurale de Peirce (
On
a New List of Categories
)
se pose de telles questions et ouvre un questionnement inédit
et son voyage n’est pas circulaire, malgré Aristote et
sa logique. Le généalogique comme condition de
l’échange politique, également l’échange
de femmes et l’échange de marchandises. Et il sera à
reprendre avec la double généalogie des lois humaines
et des lois évangéliques énoncée par
Gratien et assumée comme axiome ou postulat par Legendre.
Axiome : ce qui vaut dans la vie de chacun et que la main de l’homme
ne peut pas gouverner et le cerveau ne peut pas réfléchir.
Postulat : ce qui vaut pour le discours social et politique (la
réflexion humaine) et que l’homme peut modifier à
sa guise.

La
r
éflexion
humaine sur le généalogique (une contemplation
phallique) pour Legendre serait “écrasée par
l’orientation objectiviste (au sens de l’
efficience
industrielle, esclave du quantifiable) de la pensée
euro-américaine sur le pouvoir” (10). Réflexion
humaine sur le généalogique comme “donnée
fondamentale”, dans le contexte international actuel,
“dangereusement ignorée”. D‘accord

que la pens
ée
euro-américaine sur le pouvoir n’enquête pas sur
les racines du pouvoir (mais que font d’autre, d’une
manière différente, Judith Butler et Giorgio Agamben ?),
m
ais
c
e
n’est pas autre chose qu’un clin d’œil à
la logique d’Aristote, dans lequel il n’y a pas la
qualité
,
mais
seulement
le soupçon d’une dangereuse quantité infinie
potentielle : dans Aristote, il n’y a pas le zéro et il
n’y a pas l’infini actuel. C’est connu, ils
viendront
après.


À
force de non-A, c’est-à-dire de l’application du
principe du tiers exclu, l’exclusion augmente toujours plus et
grignote une partie des inclus ( cela confirme que le principe du
tiers inclu est un pendant du tiers exclu ) et donc l’illégitimité
de l’exclusion affecte aussi les inclus, au point
qu’aujourd’hui quelques milliers de personnes possèdent
plus de la moitié de la richesse économico-financière
de la planète. Alors que bien sûr, jusqu’à
maintenant, l’illégitimité du discours occidental
était celui des non-A :

l’illégitimité
des femmes, des religions autres que les propres, des noirs, des
enfants, des Juifs, des homosexuels et des sexuels autres que hétéro,
les pauvres, les non instruits...


On
ne comprend pas dans le texte de Legendre comment le généalogique
dangereusement ignoré est plutôt au pouvoir dans la
pensée euro-américaine. Sur quoi d’autre les
hiérarchies, pas seulement euro-américaines,
reposent-elles ? Sur le phallus, qui coupe la tête des femmes
(et de l’impossible série qui est connectée à
elles) de ceux qui ne le comprennent pas ou le raillent, ou
simplement le font rire : lisez à ce propos l’apologue
inaugural de l’
Art
de la guerre
de
Sun Tzu, qui précède de peu la montée de la
philosophie sur les cendres de la sophie. Les deux concubines de
l’empereur, à la tête de deux armées
fictives, auxquelles le général devrait enseigner l’art
de la guerre, rient quand l’ordre est donné de tourner à
droite. Et elles perdent la tête. Certes, l’oriental
n’est pas un discours comme l’occidental : il est plutôt
une pragmatique qui ne s’interroge pas sur son axe logique.

Donc, on comprend bien
maintenant pourquoi Legendre ne reconnaît pas le généalogique
(A) et son rejeton euro-américain (non-A) comme une question
unique. Le généalogique est produit en même temps
que le non-généalogique, qui en tant que nié
“revient” saper le primat du généalogique :
il est l’ultime du généalogique, il a en soi sa
propre dissolution. Primat et ultimatum. La dissolution du pacte
généalogique entre loi humaine et loi divine (ceci est
le danger pour Legendre) est la crise pérenne qui requiert
toujours une nouvelle formulation du pacte, ainsi de suite. L’Autre
et l’ailleurs du généalogique et du
non-généalogique est rayé en tant que tiers
exclu et ne revient pas. Il est imminent dans les représentations
de l’Autre : dans le raz de marée qui pourrait noyer la
civilisation.

Le
généalogique est fantasmatique, il est une tentative
d’empire sur la vie. Legendre lui-même qualifie, plus
avant dans le livre, le monument romano-canonique comme
fantasmatique
fondamentale
.


Or il n’est
pas possible désormais, pour un Occidental, de jeter un regard
sur le gouffre de la légitimité sans avoir affaire à
la généalogie de l’État et du Droit dans
sa dimension structurale, par conséquent sans prendre
conscience d’être lié soi-même à la
transmission d’un mode d’accès à
l’institutionnalité particulier” (10). Certes,
nous qui lisons la légitimité (nous ne jetons pas de
regards), nous avons affaire avec la généalogie de
l’état et du droit, voire avec la généalogie
telle quelle, et avec ses avatars, comme le primat de l’un, le
primat du phallus, le primat de l’autorité, le primat
théologico-politique… Notre lecture de Pierre Legendre
est proprement par rapport à l’instance du droit et des
dispositifs sociaux que nous appelons institutions, y comprises les
psychanalytiques.

S’agit-il de
prendre conscience ? Ou bien la conscience est-elle prise de
l’inconscient ? La prise de conscience d’être lié
à la transmission d’un mode d’accès à
l’institutionnalité particulière comporte la
jouissance ou la peine du lien, et l’obligation de ne pas
enquêter plus sur la transmission, sur le mode d’accès
et sur l’institutionnalité.


Il n’y a pas de
mode d’accès : il y a l’accès, qui est le
refoulement dans son fonctionnement. Et l’instauration du nom
du nom qui fait l’algèbre et la géométrie
de l’accès. Le mode d’accès, s’il existait,
appartiendrait à la fonction humaine, qui depuis Aristote est
la fonction de mort. Mort de la contradiction, mort de l’inidentité,
mort du tiers.

Pour une autre lecture
de la généalogie, il n’y a pas besoin de jeter un
regard. Le regard, point de soustraction, est injettable puisqu’il
est dans le jet lui-même. Le jet d’Aphrodite est le jet
de l’objet, selon l’analyse de Freud : sans rapport
avec l’objet de la pulsion, il y aurait donc l’injettable.

S’il existait un
moyen d’accès à l’institutionnalité,
l’institution elle-même existerait en tant que telle,
comme structure présente, et resterait ignorante de la
destitution qui l’attend. Les dispositifs pragmatiques ne
s’institutionnalisent pas, ils n’ont ni un commencement
constitutif, ni une fin destitutive. C’est la raison pour
laquelle Israël n’a pas de constitution.


Une idéologie
de l’homme nouveau, quel qu’en soit le portrait
(aujourd’hui sous le déguisement de l’individu
auto-fondé, hors culture imposée), suffit-elle pour
bannir le passé en renonçant à l’héritage
 ?” (10). Absolument, elle ne suffit pas. Mais il n’est
pas nécessaire de se confronter avec le passé, d’en
faire la recherche archéologique dans sa dogmatique. Il n’est
pas question de s’en tenir à l’hérédité,
qui encore une fois existerait en tant que telle, oscillant entre le
crédit et la dette. Il faut lire l’héritage et
restituer le texte occidental (pas le discours) dans une autre
qualité.


Les précisions
sur l’algèbre, comme l’idéologie de l’homme
nouveau, requièrent encore une autre lecture de l’époque
et de sa tentative d’éviter la vie, l’intellectualité,
c’est-à-dire avoir la prédilection pour la mort
et son discours. Celui de Legendre est un ajournement érudit
du discours occidental comme discours de la mort, apparaissant moins
comme théologie politique que dans Carl Schmitt, beaucoup plus
sophistiqué que la tentative de disjonction exclusive de Hans
Kelsen entre théologie et politique. Certes, Pierre Legendre
se confronte avec le texte romano-canonique et fait même
l’éloge de la confrontation contre le prétexte de
la conversion des civilisations dans une seule (10), mais il le fait
dans la circularité. Il risque de se confronter avec les
ombres des idées dans la caverne platonicienne ou, en d’autres
termes, avec les moulins à vent de Don Quichotte.


Le
présent ouvrage vient clore [“clore” et non
“conclure”] des recherches entamées voici un
demi-siècle […] dont je constate qu’elles me
ramenaient sans cesse vers un même point de convergence : le
phénomène
institutionnel

- phénomène propre à l’humain” (10).
La circularité dans laquelle est prise cette recherche est
également un aspect de la phénoménologie de
l’institution. Si l’institution est un phénomène,
il s’agit de l’image que Legendre a de l’institution,
qui lui vaut aussi comme croyance, c’est-à-dire application
géométrique de sa propre algèbre. Une autre
hypothèse est celle de l’institution en position d’objet
de la pulsion, provocation à la confrontation ; et institution
aussi comme non-institution et autre (ou Autre) de l’institution
et de la non-institution. Alors il n’y a plus d’imagination
et de croyance dans l’institution. L’appartenance ou le
non-appartenance à l’institution ne joue plus aucune
importance. La soi-disant institution s’avère un gadget
dans le marché des marchandises substituables, dans lequel
aussi les humains sont substituables.

En outre, l’ouvrage
n’est pas présent, il ne participe pas à la
représentation. Il faut que le phénomène
institutionnel rencontre la schize et non le point de convergence.
Ainsi d’autres choses peuvent s’entendre par la division
des choses. Division de la parole : ni du sujet, ni du social.


L’échafaudage,
le montage, la construction dans Legendre pourraient ne pas être
nécessaires, si ce qu’il tient n’a pas à
faire avec le grégarisme : ce que Leopardi appelle le troupeau
civil. De nouveaux dispositifs peuvent survenir et arriver à
la conclusion par une mission intellectuelle, sans que s’y
superpose une façade toujours en dette envers la fantasmatique
fondamentale. Proprement il n’y a pas de fantasme de la vie,
comme il n’y a pas de logique du fantasme.


J’ai
entamé une étude d’un nouveau genre, dont est
finalement sortie une remise en scène de la Question
juridique, noyau résistant de la civilisation
ouest-européenne” (10-11). Lire dans l’originaire
de l’acte de parole n’est pas le
studium,
dans lequel est en jeu la signification, qui est toujours du phallus,
justement dans la division opérée de la loi, en loi
humaine et loi divine. Juste pour dire que la loi inconsciente n’est
ni humaine, ni divine, et par ailleurs ni bestiale, ni démoniaque.
La remise en scène de la question juridique indique un théâtre
d’images faites, donc factices, fictives et fétiches. Si
la question juridique monte sur scène, c’est de par son
inscription sous l’ordre phallique. La question juridique comme
rempart contre l’incivilité. Quel autre sens attribuer à
la résistance de la civilisation ?


La
notion de Texte, élargie à la dimension
anthropologique, permet de reconsidérer le concept de société
humaine, aujourd’hui figé parce que technocratisé.
Renforcé par un terme réhabilité –
dogme,
et de là
dogmatique,
dogmaticité
–, cette perspective a, si j’ose dire, pris corps à
travers la série de ces
Leçons
(11). La société comme texte implique précisément
la lecture du discours occidental et sa restitution dans une autre
qualité, dans un autre chiffre. Aucun déchiffrement du
mythe fondateur de la société, mais la lecture de la
société comme texte. Et alors aucun texte n’est
exclu.

Le chiffre, la qualité
absolue, le capital de la vie, dans la dimension des images, est le
dogme. Il n’est pas question de discours dogmatique (c’est
une des reproches adressés à Legendre), mais de comment
l’image arrive au dogme. Et dans la circularité l’image
n’est pas sémouvante et autre. Le dogme est enlevé
par le dogmatisme et l’anti-dogmatisme. En fait, c’est
l’anti-dogmatique qui accuse toujours l’Autre de
dogmatisme, justifié par la connotation sociale, aujourd’hui
anti-dogmatique et demain dogmatique.


Quant
à la formule initiale du
Décret
de Gratien [...] elle constitue, dans la vision que je propose du
système romano-
canonique,
le mode de restituer ce qui grince dans le discours explicite –
le nôtre, mais aussi celui des médiévales –
à l’épaisseur d’un insu pour les sujets
concrets de l’histoire, autrement dit à la vibration
subjective de l’institutionnalité : le “
duobus
regitur

(être gouverné selon deux mesures) fera bon ménage
avec “La Sainte Famille” (11), titre de l’œuvre
du peintre Pierre Bettencourt que Legendre a mis sur la couverture du
livre.


Le
Décret
de
Gratien est constitutif pour Legendre. Il n’est pas pris comme
la nouvelle hypothèse, l’abduction de Peirce, mais comme
l’hypothèse passée

q
ui
commande le présent pour un avenir à juste titre
antérieur. Et pour cela il parle de la vision et non de
division et donc d’écoute. Legendre “voit”
le système romano-canonique. Il a une idée du système
et cette idée le gouverne. Il n’est pas gouverné
selon les deux mesures indiquées par Gratien
,
mais

par l’idée que les mesures sont deux, c’est-à-dire
le primat du phallus qui réussirait à scinder la loi
inconsciente en deux lois : une humaine et une divine. Il s’agit
de

la m
ême
loi, qui est irréductible à la somme des deux lois,
justement une humaine et l’autre divine. L’histoire est
la recherche et elle regarde

chacun. L
’histoire
sans recherche est l’histoire muséographique

cible
aussi,
et à juste titre, de l’ironie de Legendre. Pas de sujet
de l’histoire qui, s’il existait, serait l’hypnotisé
social, la marionnette du pouvoir. L’épaisseur d’un
insu (qui cependant s’avère une mise à jour
d’Aristote) pour le sujet, c’est-à-dire à
la vibration subjective de l’institutionnalité. Le terme
“vibration”, qui paraît une intervention
littéraire, et qui sait de quelle provenance, est à
lire d’une manière technique. Qu’est-ce que la
vibration subjective ? C’est la sensation du sujet autiste et
automate. Le sujet du cercle magique et hypnotique. Entre autres
choses, le sujet de Descartes est déjà tout cela. Ici
il y a un ajout remarquable : la vibration subjective de
l’institutionnalité. L’institutionnalité
domine le sujet, comme un marionnettiste, et il en commande même
les vibrations. C’est la marionnette cherchée par les
oligarchies mondiales de pouvoir. Quelle est l’institution qui
domine ? L’institution théologico-politique, objet de la
délégation de la part de qui se prend comme sujet.


Le
“duobus regitur” fera bon ménage avec “La
Sainte Famille”. C’est sûr que la Sainte Famille,
la théologie fait bon ménage avec le primat du phallus,
le
duobus
regitur
,
qui gouverne avec deux mesures : deux poids et deux mesures, le double
standard. Une pour les hommes et une pour les femmes, une pour les
riches et une pour les pauvres, une pour les dominateurs et une pour
les dominés, une pour les blancs et une pour les noirs, une
pour les hétérosexuels et une pour les homosexuels, une
pour les inclus et une pour les exclus... La liste est légion.
Et cela sans considérer

que l
’œuvre
du peintre sécularise la Sainte Famille, qui n’est plus
Père, Fils et Saint-Esprit, mais père, mère et
fils, comme dans les sciences humaines, pour être précis.


Non le “duobus
regitur” comme mode du deux (c’est la piste de lecture
d’Armando Verdiglione) mais le gouvernement des humains à
partir du principe du deux, du concept du deux. Deux obtenu par la
somme de deux uns. Et le primat du phallus est celui de l’un
(c’est la piste de Jacques Lacan), dans le sens de la série
des uns inclus (c’est précisément “leur”
primat). Voilà pourquoi les non-uns, les uns exclus,
n’acceptent pas le primat du phallus. Voilà la question
et l’instance du féminisme. Et le plus radical a compris
que le tiers inclus (quelques-uns) sanctifie l’exclusion
d’autres tiers (nombreux). C’est la raison pour laquelle,
raconte Luce Irigaray, une professeure universitaire féministe,
avec à son actif la publication de quelques livres, peut
penser avoir résolu personnellement le problème dit de
l’émancipation des femmes. Comme pour les hommes le
problème ne se pose même pas, et non pas parce qu’ils
sont émancipés.


Le
duobus
regitur

fera bon ménage avec La Sainte Famille parce qu’elle l’a
déjà à l’intérieur. C’est
dans l’instance

de l
’Évangile.
Le
duobus
regitur

est la colonne portante de la théologie politique. Nous
devrions utiliser la farce rabelaisienne et assumer l’hypothèse
phallico-déductive de Legendre, à savoir le discours
occidental et
extraparler
 ? Il y a des écrits et quelques romans dans lesquels nous le
faisons. Ici, nous annotons que les choses ne sont pas régies
et ne régissent pas. Il n’y a aucune maîtrise et
aucun contrôle sur les choses. Aucune empire des choses et des
humains. Le
Decretum
Magistri

est le rêve de Gratien. Comment ne pas le lire ? Ici nous avons
commencé à lire le rêve de Pierre Legendre, après
avoir commencé à lire ses livres il y a exactement 37
années.


Traduit de l’italien
par Mats Svensson.







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