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Atlas ou le gai savoir - Georges Didi-Huberman
mardi 3 janvier 2012 par Jean-Paul Gavard-Perret

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GEORGES DIDI-HUBERMAN ET L’IMAGE DIALECTIQUE

Georges Didi-Huberman. Atlas ou le gai savoir, (L’œil de l’Histoire III), Éditions de Minuit, 2011.

La guerre de 14-18 disloque le monde. Le montage devient l’alternative à cette dislocation : comme le prouvent le montage paradoxal du dadaïsme, les œuvres de Doblin ou de Benjamin, Dos Passos, Joyce - dont "Ulysse" est considéré à l’époque comme « un roman de montage » -, Dziga Vertov, Eisenstein, Burroughs et Warburg bien sûr.

Abi Warburg aura appris le premier ce que Didi-Huberman ne cesse de répéter : la vraisemblance, la ressemblance ne doivent jamais avoir le dernier mot. Et faire l’inventaire des images n’est pas ajouter des images aux images. Il faut à travers celles qui existent questionner la mémoire, se libérer de toute mélancolie envers ce qu’elle " fabrique ".

« Atlas ou le Gai savoir » s’appuie sur le fameux « Atlas » d’Abi Warburg. Le penseur a joué le même rôle dans la compréhension des images que celui tenu par Freud pour la connaissance de la psyché - et dont le dernier film de Cronenberg donne un aperçu caricatural. Warburg développa une œuvre d’érudition dont la question centrale est la survivance des gestes antiques dans l’histoire de l’art. Il a en outre rassemblé une gigantesque bibliothèque que les nazis voulurent brûler et qui fut transportée ( 2 bateaux furent nécessaires ! ) à Londres.

Mais auparavant celui qui s’intéressait à l’antiquité et à la Renaissance est si bouleversé par la guerre de 14-18 qu’il s’effondre dans un épisode psychotique très grave. Sauvé en 1924 il revient à Hambourg. Il ne cessa d’écrire mais ne publia jamais de livres. Son style est souvent insipide, compliqué. L’auteur lui-même en a conscience. Il le définit comme une « soupe d’anguilles » ! Entre 1924 et 1928 il préfère sortir de sa gigantesque iconographie 1000 images significatives. Ce choix est drastique.

Warburg y cherche des dispositions interprétatives. Elles restent encore mystérieuses aujourd’hui encore. Et Didi-Huberman tente de les expliciter partiellement. L’auteur transcende la question d’époque. Dans chaque planche de Warburg il prouve comment existe « une multitude de temps imbriqués ». Le critique s’émerveille de voir la manière dont les gestes antiques perdurent par-delà leur époque. Si bien qu’il redécoupe le temps en montrant la façon dont ces gestes premiers glissent et se déplacent.

Warburg ne cesse de manipuler des champs de savoir et d’images très hétérogènes. Sa connaissance nomade commence (même s’il n’y a pas vraiment de début) par des foies de moutons babyloniens. Mais ces objets ne sont pas de simples objets naturalistes. Certes ils semblent réalistes puisque de taille identique à celle qu’ils possèdent en réalité. Mais ils restent surtout opératoires (le foie est quadrillé et devient oracle pour le devin). Ces argiles de foie constituent donc la première planche de Warburg. Et en juxtaposant six images il offre un parcours 15 siècles avant Jésus-Christ. Néanmoins leur histoire ne finit pas là : ces viscères sont encore visibles dans la crèche chrétienne d’aujourd’hui à Naples.

Les fois divinatoires étrusques et babyloniens représentent donc des opérations de savoir qui perdurent. Elles viennent croiser des opérations du Sensible d’où surgissent des inquiétudes de la mémoire. La question qui en ressort est comment une image et ses assemblages créent un savoir. Car pour Warburg comme pour Didi-Huberman si aucune image n’est séparée du discours qui l’environne, celle-ci crée un type de connaissance particulière plus complexe que les textes eux-mêmes et les doctrines.

Une image ne « dit » pas. Mais d’une certaine manière elle fait plus. Sans forcément avoir comme but la considération d’une beauté formelle. Warburg a étendu le champ des images en faisant abstraction du concept de beauté. Il y voit quelque chose qui porte une temporalité atemporelle et un facteur mobile. Toute image selon lui « migre » : le timbre-poste à ce titre en devient le parangon !

À travers l’Atlas et ses planches Didi-Huberman tente de penser l’évolution, la complexité des images de même que les théories et les gestes humains qui les créent à travers des trous de connaissance et des points de bifurcation. Pour l’auteur toute image reste dialectique. Mais cette dialectique est difficile. Elle met en scène différents plans d’intelligibilité qu’on prend parfois pour un chaos. La notion de tableau est à ce titre essentielle. Le tableau est la forme canonique de l’art (cf. Les Ménines de Velázquez chez et pour Foucault). Mais le savoir scientifique s’oriente aussi à partir du XVIII en tableau scientifique de l’organisation du savoir.

Toutefois pour Didi-Huberman le tableau qui classe ou essaye de faire une somme de connaissance s’oppose à la « table » (et par extension au tableau en peinture) : une table recueille un désordre, un morcellement.Mais si on joue avec ce désordre, elle devient « planche » puis tableau. Et l’expression « On remet le table » reste selon lui majeure dans l’Imaginaire pictural comme dans le travail de Warburg.

A sa suite Didi-Huberman montre donc comment les images remettent la table. En disposant ses images sur ses planches Warburg ressaisissait une histoire et créait une divination de l’histoire. À ce titre le mot « Atlas » est significatif. Atlas est le nom d’un objet cartographique et scientifique mais c’est aussi un personnage mythologique. Dans son histoire même il y a la dimension du savoir, de la puissance et du pathos puisqu’il subit son châtiment.

Didi-Huberman illustre combien est lourd de « porter du savoir » et comment l’idée du pathos s’incarne dans les images. Romantiquement chez Goya ou de manière plus naturaliste dans les photos de Hartfield ou Atget. Il montre aussi comment l’inquiétude est inhérente à l’image et à l’imagination. Reprenant l’idée chère à Baudelaire, il rappelle enfin qu’un savant sans imagination n’est pas un savant et qu’il n’existe pas de connaissance sans savoir par imagination.

Jean-Paul Gavard-Perret



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