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Les Autres - Christine Angot
par Frédérique R.

Christine Angot


Fayard 1997



Revenons un temps sur Les autres, titre ambigu quand en épigraphe il y a ça (après la dédicace à l'enfant) : « Moi, je ne suis pas de ceux qui risquent de changer de chanson. » (Samuel Beckett) Petite analyse rapide... Moi, évidemment chez Angot, ça commence par ça... Donc Moi, d'accord, il s'agit du sujet. Moi, je, redoublement, c'est du Beckett, c'est de la littérature... Moi, je donc... Le propos est marqué, fortement marqué par le sujet, jusque là on comprend, quelqu'un prend la parole et l'assume, la revendique, le message de Beckett : revendiquer une parole, tenter de le faire, bien qu'elle ne dise rien, qu'elle se cherche elle-même, tenter le faire. Puis une négation, un sujet qui se décrit par la négative : Moi je ne suis pas... Un sujet qui tente de se démarquer, de se différencier, mais de qui ? Des autres : de ceux qui risquent, de ceux qui se mettent en danger, de ceux qui vont tenter pour tenter, qui vont prendre un chemin dévoyé pour dire : regardez, je l'ai fait, je peux faire tous les styles, par exemple.

Se différencier de ceux-là qui font du style donc, qui cherchent à briller dans tous les genres, dans tous les registres. Se distinguer d'eux. Moi, je ne risquerai pas de changer de chanson. Autrement dit, moi, je suis de ceux qui creusent là où ils ont déjà trouvé de l'or, de ceux qui reviennent à la charge de leur amour, de ceux qui continuent, qui ne s'arrêtent pas sous prétexte qu'on les a assez entendus, de ceux qui s'en moquent qu'on leur dise : vous devriez vous renouveler, etc. etc. Pourtant. Les Autres ne répètent pas ou peu. Pourtant, Les Autres ce n'est que le cinquième roman de Christine Angot. Pourtant, jusque là, elle ne se répétait pas, Angot. C'est vrai que la maison Gallimard l'avait renvoyée parce qu'elle se répétait, soi disant... Mais.

Un jour, Angot publie Les Autres, peut-être par réaction à cette rupture, à cette gifle qu'elle reçut chez Gallimard. Comme pour dire : vous voulez que je change de chanson, mais vous m'en pensez incapable. Elle publie Les Autres, comme ne retard, car la vraie réaction, c'est avec Interview qu'elle a lieu, Interview qui est un vrai petit bijou, qui est du vrai Angot, qui annonce la véritable Angot, encore dans sa chrysalide jusqu'ici. Comme en retard donc Les Autres, comme pour dire : vous ne m'en croyiez pas capable, et bien vous allez voir. Comme par revanche, elle ne parle que des autres, elle se désinvestie, elle n'y est plus, et à mon goût, le livre est raté, à moitié disons. Bien sûr, il y a le style Angot, mais comme étouffé par une écriture qui se fuit, qui ne veut pas écrire ça.

Livre raté, qu'Angot me pardonne. Il est vrai qu'il y a des gens qui adorent Les Autres et détestent Interview, qui aiment les deux premiers livres d'Angot, et ensuite plus rien, comme il y en a qui aiment les premiers livres de Duras, jusqu'à Moderato Cantabile, puis plus rien. Alors que c'est là que ça commence vraiment, Duras, à partir de Moderato Catabile, pas avant. Je veux dire : le vrai Duras, comme je parle du vrai Angot. Vrai exprimant le ton justement trouvé, Duras elle-même le disait, Angot le dit. Il y a un moment, un livre où le ton, où le mouvement, où le souffle, la vie de l'écrit se trouve, et pas avant.

Disons que chez Angot, ce qui est étrange, c'est qu'après Interview elle ait régressé et écrit Les Autres, comme pour dire : je peux le faire. Et donc elle fait ce qu'elle refuse de faire en épigraphe, ce me semble. De quoi ça parle, Les Autres ? Ca parle de sexe, de la sexualité des autres, de la pornographie, de l'homosexualité, de l'hétérosexualité, du danger du Sida, ça tourne autour du sexe, car les autres, après enquête, ne semblent s'intéresser qu'à cela en fait, car le sexe est ce autour de quoi leur vie tourne, c'est leur dada, leur truc, le truc qui les fait exister, leur donne le sentiment d'exister. Bizarrement, pas la sensualité, pas la drague, pas la tendresse, pas l'amour, le sexe. L'acte, l'aboutissement lui-même. Il est donc question de sexe, sans amour, sans tendresse, sans passion, sans fusion, de sexe comme ça, de cette chose, détournée du reste. Du sexe pour le sexe. En ressort une impression de solitude, de désarroi, de communication qui manque, de dégoût aussi un peu.

Pourquoi, après Interview donc faire un livre sur le sexe, le sexe des autres. Peut-être pour dire ceci : vous en avez assez du mien, hein ? Que je vous raconte mon sexe, pris à mal par mon père, vous en avez assez, mais ça me tue que vous le disiez, c'est tellement grossier, tellement cruel. Des polars, vous pouvez en lire 150, écrits tous de la même manière, se développant de la même manière, avec le même dénouement, etc. Vous pouvez avaler plusieurs Echenoz ou plusieurs Bobin d'affilée, sans vous rendre compte que ça parle de la même chose, mais moi, vous ne pouvez pas. Chez moi, c'est impardonnable, en raison de cet inceste qui vous démange, vous torture, vous dégoûte, pourquoi.

Les Autres, écrire sur le sexe des autres donc peut-être seulement pour dire : ah oui, ça vous énerve, vous trouvez ça laid, eh bien, allons voir de votre côté. C'est fait. Ce n'est pas plus joli : la pornographie, le minitel rose, le Sida, la tromperie, ce n'est pas plus joli. C'est peut-être le seul intérêt du livre, à mon goût : montrer que l'inceste au moins, ça avait du style, comparé à ça. Pardon pour le mot, mauvais mot.

Je finirai par le ton, par vous donner le ton du livre quand même, tout en vous conseillant d'aller lire Interview plutôt si vous voulez lire du Angot. C'est plus ça quand même.

Il téléphone à un numéro. On lui dit bonjour. Une voix de femme très calculée, très suave. Les prix, d'abord il se renseigne, comment ça se passe. Il dit qu'il veut une conversation. Ils raccrochent, leur femme rentre. Il y en a plein, ils. Ils ressayent plus tard. Gay, sadomaso ou simplement érotique ? On les oriente sur une hôtesse. Une fille leur parle, leur dit bonjour, leur demande leur prénom. Leur confirme le prix de la conversation, la durée, et prend le numéro de leur carte bleue. Elles leur donnent un numéro de téléphone où rappeler. Je continue ?

Sa mère a été tuée dans les asiles psychiatriques de 42. pas celui du téléphone, un autre. Bien sûr pas tous. Ils ont des mères putes ou femmes de directeur de Sécu. Bien sûr pas tous. Je ne peux pas faire de cas particulier. C'est trop compliqué. Je finirais par tout mélanger. Il parlerait de sexe s'il écrivait, la plupart. Je leur ai demandé. Il commencerait par les coups foireux. Ou par les coups inaboutis. Enfin ceux qui restent comme des questions dans la tête. Pourquoi je n'ai pas pu ?Je lui ai demandé. Annette. Non, Patricia en fait, la seule à leur goût en troisième. Dans un CES de quartier, où elles étaient toutes un peu popu, un peu vulgaires. Un peu forcé, leur goût. Ca ne les intéressait pas. Plus que tout mais bref, là-dedans je ne veux pas entrer, la psychanalyse.



Frédérique R.

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