par Jean-Paul Gavard-Perret
ANGOT telle qu'en elle-même d'une littérature monomaniaque
Christine Angot est non seulement un écrivain à la mode, mais un écrivain qui la cultive et en parfaite logique nous resserre ses plats. Il est vrai qu'il y a du monde à sa table : la mode appelle le (beau) monde et il n'y a pas jusqu'à Laetitia Masson - pourtant cinéaste plus qu'honorable -de s'esbaudir et de voir en elle le génie du millénaire à venir, bref un Joyce en dentelles . On s'en doute son dernier livre (« Quitter la ville »)est recommandé par tous (ou presque), il est donc à lire "ASAP" comme l'on dit maintenant, c'est-à-dire As soon as possible. On ne peut d'ailleurs le manquer: sa couverture médiatique en cette fin d'année dépasse presque celle du livre de Beigbeder ce qui est un comble , battre un auteur qui comme lui s'y connaît dans la publicité prouve un certain génie, ou plutôt un génie (médiatique) certain. Petit bémol cependant : Angot a les grâces de Laetitia Masson et de bien d'autres stars qui vous font - ou défont -une réputation, mais n'a pas obtenu le petit plus qui fait la différence, celui que pour sa part Beigbeder a réussi à conserver : un livre de Houellebecq ("La privation du monde") qui paraît pour défendre "99f.".Mais gageons que ce sera bientôt le cas pour Angot : quelques thésards charognards doivent déjà traîner dans des couloirs de facultés Paris I ou Paris VIII pour extraire des pages angotiennes un quelconque intérêt et peigner dans le sens du poil la mégalomanie galopante de celle qu'ils craignent d'avoir comme ennemi et on les comprends puisque notre serial-killer avoue dans un Nouvel Observateur de septembre 2000 : «mes ennemis je finirai par les tuer ». Christine-Buffy contre les vampires en quelque sorte...
La vérité est devenue la spécialité (ou plutôt le fond de commerce)de celle qui feint sans cesse de cracher dans la soupe littéraire pour la troubler (dit-elle) et qui fait de l'écriture une délation alors qu'elle ne peut être si écriture il y a vraiment une déliaison. Mais passons. Angot croit ainsi atteindre ce que Nietzsche écrit dans le fragment 16 de Humain trop Humain :"Toutes les bonnes choses sont de puissants stimulants de la vie et l'est même un bon livre écrit contre la vie". Mais le problème c'est que Angot n'écrit pas de bons livres mais des livres à succès, et elle n'écrit même pas contre la vie mais contre des images-leurres, des stucs de la vie.
Le bon que nous dénions ici à l'auteur n'est pas à entendre sous couvert d'affaire de goût (ce nouveau concept mou qui fait les beaux jours d'une philosophie elle aussi plus tendre qu'un Mac do) mais d'écriture. Il faut en effet se situer là où Angot croit se placer : du côté d'une écriture autant achevée, qu'irrépressible autant neuve qu'incolmatable, bref du côté de la déliaison. Hélas elle n'est pas de ce côté là, elle est même une nouvelle fois à l'opposé, dans un remix féminin de Joyce et de Beckett. Le problème c'est que justement il n'y a là où il y a remix (bien dans le goût du temps), sampling littéraire il n'existe plus de littérature, si ce n'est une littérature du docteur Gibeaud, une littérature de confort qui joue sur une sorte de schizophrénie affichée. Le roman vérité à la Angot, serait donc un pas chassé (le Tango d'Angot pour faire simple), un pas de deux qui servirait pour l'auteur de feinte de psychanalyse en acte et fléchée et pour ses lecteurs de moyen - par l'horreur et le douleur de la pauvre dame - de destresser. Angot applique ainsi une méthode, une copy-stratégie qui lui a réussi. Oh certes elle adhère à son produit, fait corps avec lui pour sa promotion - se dit « pute » de média mais adore le rôle de diva médiatique : ses retours d'inconscient le prouve à chaque instant dans « Quitter la ville ». "Juste" retour des choses les lecteurs et la plupart des critiques adhèrent à son projet (même sans avoir lu ses livres). Directrice de création (comme on dit en publicité) de sa propre image Angot obéit quasi militairement à une marche en règle et forcée vers ses clients pour leur imposer du désir qu'elle a décrété bons, des clients d'ailleurs selon elle à éduquer et qu'elle n'hésite pas à mépriser du bout de ses paroles lorsqu'ils ne marchent pas à son trip (en gros ceux qui ne la suivent pas sont réactionnaires, machos, imbéciles - prière de barrer les mentions inutiles).
C'est sans doute plus qu'ailleurs avec « Quitter la Ville » que l'évidence est mise à nue, que cette sacro-sainte vérité dont nous abreuve Angot fait retour. Qu'est cet aveu soi non une somme mégalomaniaque rarement poussée à ce point. Sous prétexte de se monter un piédestal de splendide isolement, se prenant les pieds dans son propre inconscient, Angot se trahit elle-même. Croyant se monter en exception on la voit telle qu'elle est vraiment croupissant/jouissant dans le jus médiatique, notant consciencieusement toutes les émissions où elle a pu faire son show, son psy-show comme pour se rassurer elle-même de l'adoration dont elle est l'objet, pour le rappeler à ses lecteurs jusqu'à des épisodes grotesques de feinte modestie: après avoir fait son numéro à la librairie Molière (« épuisées, épuisée j'étais » dit-elle, à une retardataire qui ne l'a pas vu et qui demande si elle est Christine Angot, l'écrivain répond « non » : elle y voit une façon de s'effacer, n'y verrait-on pas un retour d'ego que le plus nul des psychanalystes décrypterait sans peine.
Mais chaque fois Angot doit remettre des cuillerées de pseudo douleurs personnelles dans lesquelles suintent un mépris pour les êtres différents d'elle-même rarement atteint. Il lui faut sans doute cela pour que son monde tourne autour d'elle-même et qu'elle soit admirée. A ce pointil s'en va d'une maladie, d'une altérité : à noircir notre monde pour nous le montrer la romancière se croit sans doute exonérée (mais de quoi?).Hélas ou heureusement il est peu vraisemblable que le monde réel ait à voir avec ce que la romancière écrit dans ses romans ou son dernier « jugement».Même la douleur ne passe par pas le marquage angotien. On retrouve ni plus ni moins que les vieilles ficelles déjà usées par Annie Ernaux. Ce type de roman-vérité n'est qu'un ersatz, une confiture au gélifiant bien connu. L'attitude stratégiquement de l'auteur n'est-elle pas d'ailleurs une forme d'attitude inconsciente - qui sent confusément une faiblesse majeure dans sa mise en scène et sa feinte de vérité - rappelle que son supposé" comment dire" n'est encore et toujours qu'un comment ne pas dire (attitude relevée justement et depuis longtemps par la psychanalyse). Et il faudrait puis que son roman se pique d'autobiographie une nouvelle fois en revenir à Nietzsche : "l'autobiographie est dénuée de sens. Même sous la main des plus grands penseurs-peintres n'ont jamais pris forme que des tableautins tirés d'une seule vie, la leur. Dans ce qui est en devenir un être en devenir ne saurait se réfléchir en image fixe et durable, en image d'un "ça"" (Humain trop Humain). Or, c'est bien un "ça" qu'Angot projetait de capter.
De fait elle parvient au mieux que de captiver (certains). Il existe en effet dans son écriture rien d'autre qu'une langue de bois, un style "Maalox" ou "Digest". A ce titre et contrairement à Houellebecq (même dans ses ambiguïtés) n'est pas une hors la loi. Mais le contraire même.. Sous couvert de pétard tout repose en paix. Son rituel d'exorcisme fait de ses livres des romans d'épouvantes à la petite semaine et ne valent pas moins mais pas mieux qu'eux. Bref son "oeuvre" va à l'encontre de ce que la romancière feint de faire croire ; le lecteur n'y amène rien. Surgit un sempiternel miroir romanesque où le lecteur se piège. Le roman attrape-mouche il y a longtemps qu'on connaît. On peut l'accepter, c'est sans doute une régression désolante mais qu'on nous fasse pas le coup d'une écriture nouvelle. Il n'y a pas ici création, parlons tout au plus de créativité et certainement de commerce. Angot est un produit marketing, et si l'on admet que le marketing est la perversion de la démocratie on voit tout de suite où se situe celle qui se veut la plus libertaire et politiquement incorrecte de nos écrivains. Il y a de quoi rigoler - enfin presque.
Jean-Paul Gavard-Perret