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La vie sexuelle de Catherine M. - Catherine Millet
par Jean-Paul Gavard-Perret

Catherine Milet

Catherine Millet sans légende ou l'épreuve du corps Catherine Millet, La vie sexuelle de Catherine M., Le Seuil Paris, coll. "Fiction & Co".


Il arrive que le corps ne soit plus une boîtier de mélancolie ou le moyen de mettre en abyme la fiction qui trouve là le moyen pour le noyer sans doute. Il arrive - rarement - qu'il résiste même - ou surtout - lorsqu'il s'agit du corps féminin. C'est le cas dans ce livre - majeur et magique mais d'une magie retournée - de Catherine Millet directrice d'une des plus importantes revues d'art contemporain : Art-Press. Avec elle, nous en finissons d'emblée avec une certaine vulgate "à la Bataille" et ce même si l'auteur ne s'oppose pas systématiquement à un philosophe encore mal évalué quant au feuilleté de sa pensée. Toujours est-il que le livre marque l'exclusion définitive des notions d'un machisme ou de féminisme tant ces concepts deviennent des peaux de chagrin face à ce que Catherine Millet met en représentation, on aurait dit met en branle si ce mot n'allait pas à l'inverse d'un livre qui est tout sauf un livre qui se lit d'une seule main. S'il provoque en effet du désir ce ne peut être ce que Jacques Henric appelait des "désirs vicaires" car il n'existe pas ici des glaïeuls incendiaires de la perversion. Tout est beaucoup plus naturel - sans pour autant que l'on tombe dans un principe de nature mais plutôt de culture et de culture avancée. Pour l'auteur de "La vie sexuelle de Catherine M.", un élément majeur met en effet l'accent sur un fait culturel majeur : la religion s'arrête à la rencontre du sexe, le sexe qui non seulement débride l'interdit mais le rend inopérant. Et soudain la pratique sexuelle peut se définir par tout ce qui n'en fait pas partie mais qu'on lui colle pourtant "au cul" afin de mieux l'oblitérer, la salir. Pour Catherine Millet il ne peut y avoir d'interdit, il ne peut y avoir d'habit. Le vêtement devient, comme l'accessoire ou la transgression, inutile, forcément inutile. Il n'y a pas non plus de putes, de femmes infernales pour orner comme dans les films d'Almodovar des terrains vagues, il n'y a pas des talus de route buissonnière, des parkings souterrains pour des rencontres sous le joug du péché . Il n'y a pas non plus de partouzes décrites comme c'est souvent le cas ailleurs telles des " tournantes " (viols collectifs) qui font saliver actuellement les journaux (Nouvel Observateur en tête) sous-couvert de les dénoncer et ce dans ce jeu pervers qu'a instauré d'abord - non les news anglais- mais l'hebdomadaire Italien l'Espresso d'il y a une quinzaine d'années. Mais il y a plus. Semblait rester - jusqu'au livre de Catherine Millet - la question qu'on croyait ultime "si l'amour ne s'embarrassait pas de pudeur pourquoi le ferions nous ?". Ce à quoi l'autobiographe répond sèchement : il ne s'agit pas de faire l'amour mais de baiser et il ne s'agit pas là d'un pur problème de jeu sémantique : il convient que tout soit clair au niveau du langage pour que cela soit clair au niveau de la vie et de l'éthique (à différencier de la morale-morale). Baiser, rien que baiser de manière vigoureuse, précise ; détruire l'amour pour que l'écriture passe à travers la peau et les interstices, qu'elle se signale à l'intérieur du sexe jusqu'à ce que le mot histoire ou événement reprenne un sens en littérature ("lit&rature" de Barthes enfin touchée du doigt) au moment où pourtant la description ne sert plus à fabriquer de la fiction. En effet restreindre le livre à un texte événementielle serait trahir ce que l'accumulation des faits dit : saisir, se saisir au bord de l'anéantissement où on n'est plus rien - même pas son désir. Montrer aussi cette béance physiologique où sombrer afin de se situer hors artefacts, hors artifice ou logos. La baise est donc bien ce que nous disions plus haut : éthique. Mais elle devient aussi (cf. Sade) une esthétique particulière celle qui oppose, par exemple, la C. M. de Millet au Boucher de Reyes ou au narrateur de Femmes de Sollers . C.M. possède des rêves d'esthète, les autres gardent des rêves de boucher.
Aussi il ne faut pas se tromper sur l'apparente docilité de la "narratrice". Il s'agit de la docile étrangeté d'une distance jamais abolie au corps de l'autre et que souligne un style ou plutôt une langue tout sauf " neutre " (ce mot fourre tout qui sert dans ce cas à se débarrasser du livre de l'auteur). Malgré les tendresses les plus "tendres" (mais est-ce encore le mot ? - oui tout compte fait, une tendresse distante, non engluée de sentimentalisme mais tendre tout de même), il n'y aura rien que le jeu des corps, il ne se passera rien (mais ce rien est un tout) que cette jouissance extérieure, sans véritable "accord", sans véritable "entente" (ni attente), sans affectation non plus ce que l'écriture réussit à placer dans la conscience de ses lectrices et de ses lecteurs s'ils acceptent dans un univers où la performance perfore les idées reçues et où l'absence de culpabilité emmerde sans doute ceux dont toute critique (littéraire ou artistique) repose sur la morale. Baiser est donc un vide (nécessaire) et une stratégie (suffisante), c'est aussi une modalité de vivre, une liberté d'expression, le moyen d'être de manière d'abord physique et mécanique sans quoi le "reste" sera toujours de l'ordre de l'épiphénomène. Baiser aussi est un apprentissage (comme ce livre est un roman d'apprentissage) par effacement (se donner - mais en gardant conscience, en regardant, être la voyeuse de sa propre image). C'est aussi la manière sans doute de se contrôler même jusqu'au - presque - sommet du cri ou des pleurs. D'où, aussi, le côté ascète d'un livre tout emprunt de la plus extrême solitude (au plus profond de l'orgie qui porte bien mal son nom) jusqu'à toucher le plus terrible secret qui pousse à la nécessaire pratique d'un plaisir aveugle (mais yeux ouverts) à la joie comme à la douleur en une lucidité qui impressionne, qui coupe pratiquement le souffle (sans forcément le remplacer par un halètement) car d'une certaine manière il n'offre - chez le voyeur - que les fleurs fanées d'un festin nu des sens. Contrairement au livre en répons de J. Henric ("Légendes de C. M."), chez C. Millet l'image n'entraîne rien, du moins rien de ce qu'on pourrait attendre au sein même de l'accumulation, l'image ou plutôt sa légende n'entraîne rien qu'un vide et c'est son plus grand mérite. L'auteur épuise ainsi le pornographique jusqu'à ce qu'on puisse rien en dire, elle le retourne pour qu'il retourne à sa pauvreté. Il y aura eu quoi finalement au sein même des débordements d'alcôve, de vestiaire, de banquette arrière sinon ce rien d'autre que cet avant que Millet passe sous silence en nécessaire primitive du futur. Des preuves sont là d'un vrai vide, d'une vraie vie prise comme jamais et stricto sensu à bras le corps. On en finit soudain avec les images dites salaces mais pas avec la vie dans cette "évidence" (pas si évidente que cela) que propose Millet en cet évènement capital.


Jean-Paul Gavard-Perret

On lira également l'article de Chantal Thomas / Art Press Mai 2001 dont s'inspire cette note de lecture

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