par Irma Krauss
Gallimard, 2000.
«As-tu lu Schuhl, tu sais le goncourt, Ingrid Caven?»
Combien de fois depuis deux mois ai-je posé cette question,
en pure perte.
Alors maintenant, j'ai compris et je prends les devants «
Il faut que tu lises Schuhl , tu sais, Ingrid Caven, le goncourt».
En parlant de Shuhl, un ravissement de le voir sur le plateau
de Bouillon de culture répondre à un Pivot qui
s'inquiétait de cette vingtaine d'années de silence
sans écriture : et Shuhl, le paumé magnifique,
de rétorquer qu'écrire ce n'est pas publier.
Et vlan! Dans la tronche! Sur-le-champ Shuhl m'a séduite.
Auparavant j'avais lu, bien sûr, des critiques - aussi
élogieuses, les unes que les autres - sur cet hommage
à sa femme Ingrid Caven. J'attendais le moment propice,
pour enfin lire cet ouvrage. Cette petite phrase «écrire
n'est pas publier» m'a fait comprendre que le moment propice
était enfin arrivé.
Une splendeur! Quel écrivain ce Schuhl! d'une sensibilité
inouïe que je qualifierais de féminine. oeuvre tout
en nuance, en finesse. Écriture habilement elliptique,
jouant avec la digression - sinueuse jamais tortueuse -, lorgnant
aussi avec la jolie figure qu'est la métonymie.
Ingrid Caven - égérie et épouse - du regretté
R.W. Fassbinder. Femme mythique allemande face à un immense
cinéaste allemand.
Fassbinder, cette Allemagne, il la portera toujours en lui comme
une honte brûlante. Blessure sans cautérisation
possible : il sait, il l'a toujours su - qu'il aura à
choisir entre la folie ou la mort. Il choisira sans choisir :
le corps prématurément bafoué par les excès
donnera au coeur l'ordre de tirer sa révérence,
à moins que cela soit l'inverse, qui sait...
Un monde! une époque! une utopie! - cette Allemagne agitée
des années soixante-dix - qui a fini pour plusieurs -
dans l'égout ou le caniveau - quelle importance après
tout, égout ou caniveau l'eau s'écoule pareillement
dans le fétide.
Voilà à quoi nous convie Schuhl. À cette
Ingrid pré-Fassbinder, et à cette Ingrid post-Fassbinder.
Et lui en narrateur spectateur se balade, aussi ahuri que nous,
dans cet univers où la démesure est mesure de toutes
choses. Dionysos dresse la table : le festin est servi. Et son
imagination fulgurante magnifie le détail... elle nous
amène là où nous n'attendions pas du tout
aller. Ne donnant jamais dans l'hagiographie, il nous donne une
(son) Ingrid Caven de chair et de sang. Une splendeur! cette
femme, cette chanteuse, cette actrice.
Quel écrivain généreux, que ce Schuhl.
Irma Krauss