par penvins
Philippe ALMERAS
JE SUIS LE BOUC
Essai
Philippe Alméras poursuit dans ce livre ses réflexions sur l’antisémitisme de L- F Céline, en resituant les faits dans leur époque.
Il montre que contrairement à ce que certains croient encore l’antisémitisme de Céline ne date pas de Bagatelles pour un massacre.
Depuis Sedan la République se battait pour exister, en 1877 Gambetta lance : Le cléricalisme, voilà l’ennemi. Les jésuites et les congrégations sont expulsés. A l’angoisse des catholiques, Edouard Drumont répondra que si les électeurs ne défendent plus l’Ordre Moral c’est que
derrière les ministres protestants et/ou francs-maçons, tous républicains de progrès, se cachent les Juifs qui inspirent le travail de déchristianisation. p 17
Si Céline ne cite pas Drumont, il ne le méconnait pas et
Destouches père a parlé le livre avant que Destouches fils l’écrive et il a bien sûr dévoré La France juive comme La Libre Parole, le journal antisémite que Drumont a lancé avec ses droits d’auteur, p33
Après Gambetta et Clémenceau viendra le petit père Combes qui avec l’appui de Jaures radicalisera les laïcisations
Quand ses parents retirent Louis de l’école communale pour le mettre à Saint Joseph, c’est le moment de la Séparation. Le placer dans une école religieuse et privée en 1905, c’est manifester une solidarité avec les victimes d’Emile Combes et les vaincus de la querelle scolaire. p 60
Si Céline manifeste plus tard son indifférence religieuse, cela ne l’empèche pas d’appartenir à cette France Chrétienne que Drumont prétend défendre celle qui fait dire à Péguy que le Peuple était un peuple gai et qui fera dire à Céline : la Gaité nous sauvera.
Philippe Alméras complète son parallélisme Drumont/Céline en rappelant que le premier a été vu par Rabi (Anatomie du judaïsme français) - il aurait pu ajouter par Bernanos - comme une sorte d’être sacrificiel, et que ce qualificatif a souvent été attribué à Céline
Après la guerre de 14 on reprochera aux juifs de "ne pas avoir fait leur devoir" thème que reprend Céline dès le début de Bagatelles, cependant jusque vers 1930 l’antisémitisme français décroit tandis que le racisme - Gobineau - reste très naturel tant à gauche qu’à droite.
C’est avec la crise de 1930 qu’il se réactive, en 1932 Bernanos publie une biographie de Drumont : La Grande Peur des biens-pensants. Quant à Céline il rompt avec Elie Faure qui cherche à l’embrigader dans la lutte antifasciste, car "On peut encore être antisémite et antifasciste en 1933".1933 c’est l’année de la sortie de "L’Eglise" appréciée par Léon Daudet, mais aussi par Le Canard enchaîné. Sartre tirera du 3eme acte - antisémite - une réplique qu’il mettra en exergue de La Nausée (1937)
1936 avec "le gouvernement Blum, ce sont les Juifs aux commandes !". Gringoire énumère les attachés de cabinets juifs, Céline de retour de Russie (27/09/1936)
apprend que le gouvernement suspend la convertibilité de la monnaie et qu’une traite signée par Denoël est revenue impayée p 149
Céline avait beaucoup travaillé à Mort à crédit, il avait peur du cancer, peur de rater ce deuxième roman, son livre a été mal jugé, il
écrit pour le public et en vue d’un succès, (...) Mea Culpa recoit un accueil délicieux (...) Là est donc l’issue. p 155
Céline rédigera le plus gros de Bagatelles après la chute de Blum et
C’est à New York où il est parti pour un voyage qui peut être une promotion, que sa résolution d’engager une croisage antisémite semble formée. (...) c’est donc qu’il a vu New York belliciste et juif, comme l’Europe. p 157 [début mars 1937]
L’antisémitisme de Bagatelles est-il emprunté ? Oui et non répond Alméras, si les nombreux emprunts sont indéniables,
l’auteur compte sur [cet opportunisme] pour faire passer ses idées sur le style, son antialcoolisme, son antisaxonisme, son progermanisme, tout ce qui lui est propre et qui dans le contexte du temps est mal reçu, mal perçu. p 169
D’ailleurs ce qu’il cherche c’est à faire rire, il ne veut pas ennuyer les masses avec Gobineau, Vacher de Lapouge ou Montandon, il veut entraîner le peuple derrière lui et parle donc son langage. Si les juifs ne sont pas une race, ils refusent le mélange - ce sont eux les racistes, quant à "la race française" elle est à faire c’est une question de discipline.
On le voit l’antisémitisme de Céline s’inscrit dans celui de son époque et lorsqu’en 1945
les contemporains prennent leur distance avec l’affreux antisémite [et] nient [...] avoir eu connaissance chez lui d’un antisémitisme antérieur à Bagatelles,
ils se protègent :
En admettant l’avoir connu, ils s’en seraient faits les complices et au moins les témoins muets p 212
Céline devient ainsi selon sa propre expression le bouc (émissaire).
Penvins