par Alice Granger
Editions Gallimard.
Magnifique roman que l'on pourrait qualifier de marrane. Double vie ou bien vie marrane. Le mot apparaît une fois dans le livre qui a un côté roman policier. C'est aussi une fine histoire de castration, de sevrage, de naissance, de séparation.
Laredo Rémi a une double vie. Il est marié à Marie, dont le prénom est si significatif quand on se place du point de vue marrane. Ennui conjugal de ce mariage si bourgeois, normal, sans surprise. Mais Rémi a une maîtresse, qu'il rencontre souvent dans un parking, ou dans un lieu clandestin. Rémi ne se sent bien que dans les souterrains, dans un ventre en quelque sorte, dans une bulle.
Lors de leur dernière rencontre, dans le parking, l'explosion d'un airbag blesse le sexe de Rémi. Il rencontre ainsi la castration. A la suite de cet « accident », il se met à avoir des acouphènes, des bruits parasites dans les oreilles, exactement comme le fœtus se trouve, dans l'utérus, entouré d'un milieu sonore. En quelque sorte, Rémi est en train de comprendre. Cela va de pair avec la découverte que ce parking est truffé de caméras, ils sont vus en permanence, il se voit avec sa maîtresse dans la bulle, c'est l'intrusion du visible dans le monde sonore comme à la naissance.
Sa maîtresse a mystérieusement disparu.
Laredo Rémi, cela se lit « L'arrêt-de-Rémi ». Histoire de faire le deuil de quelque chose d'ancien, de se séparer de quelque chose de matriciel ici vécu comme un amour total aussi bien que clandestin, que souterrain. Comment Rémi s'y prend-il ? Il se sert de Marie, la chrétienne en somme, la femme officielle, pour éliminer définitivement la juive, la femme du souterrain, la femme matricielle. Marie semble n'avoir pas d'autre sens, dans ce roman, qu'un sens castrateur, et la séparation originaire accomplie, elle aussi disparaît, emmenée par les policiers.
Alors, Rémi se trouve enfin face à l'inconnu, face à la vie. Doremifasolasido.
Alice Granger-Guitard
le 23 janvier 2002