par Alice Granger
Editions Métailié
Livre très vivant, plein de dialogues dont la traduction réussit à rendre l
Il s’agit dans ce livre, surtout, de jeunes gens qui n’en finissent pas de s’attarder dans un état d’adolescence, vivant sans travailler, littéralement dans le corps accueillant et nourrissant de leurs familles ou celles d’amis. Ils sont à l’intérieur. A l’intérieur de familles qu’ils «parasitent», ou à l’intérieur de cette ville, Naples, dans son sous-sol, ses égouts, ses combines, sa mafia.
Donc, intense sensation de pouvoir vivre éternellement dedans, dans le corps, dans la ville, éternel retour (Nietzsche) à ce dedans qui nourrit à profusion sans avoir à payer (des tonnes de nourriture, obsession du manger, boulimie), et volonté de puissance (encore Nietzsche) se manifestant par l’argent facilement gagné par des combines géniales. Rimbaud aussi : réflexion sur cette oisive jeunesse qui ne peut durer, expulsion en fin de compte.
Même à aller chercher dans les sous-sols de Naples le secret de l’énergie éternelle, guidé par une sorte de magicien impuissant, ces jeunes gens échouent à trouver en eux, dans cette vie flottante et indolente, l’énergie indispensable pour se séparer de l’adolescence, pour tourner la page et en ouvrir une autre. Jeunes gens qui escomptent un héritage paternel supposé pouvoir les faire vivre éternellement passifs dans le grand corps maternel napolitain les englobant. En arrière-plan l’ombre mafieuse et son argent, on peut se débrouiller, combines, argent facile, protection.
Mais le testament du père fait le contraire de mettre à disposition de ses enfants héritiers des biens qui les perpétueraient en un corps matriciel, sans avoir à naître, à se séparer. Ce testament sépare, à jamais, met dehors, coupe le cordon ombilical, en déshéritant de manière légale ses enfants. La loi, justement. Inscription de la loi.
Naples est, dans ce livre, une métaphore matricielle d’où ses enfants ont beaucoup de mal à naître.
Alice Granger-Guitard
le 6 mars 2002