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Dolce agonia - Nancy Huston
par Alice Granger

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Editions Actes Sud.


Les personnages de ce beau roman de Nancy Huston sont tous arrivés à un âge où la mort, peu à peu, s'annonce comme la seule perspective, à travers le personnage de Dieu qui nous dit à quel moment précis il va faire trépasser chacun d'eux. Même Chloé, jeune épouse et mère, est déjà presque entièrement tournée vers l'au-delà où l'a précédée son frère, son unique amour.
Sean, qui vient d'apprendre son cancer du poumon, qui en dit long sur sa vérité en nommant affectueusement du nom d'un chien imaginaire, Patchouli, son penchant irrenonçable pour l'alcool, réunit dans sa maison quelques amis pour un repas qui semble d'adieu. En ce mois de novembre américain, la neige se met à tomber, tellement qu'après avoir mangé et parlé tout le monde reste dormir.
Chacun des convives considère sa vie, dans la conversation ou bien en pensée, et c'est le caractère transitoire, changeant, des choses qui frappe. Mariage et divorce, enfants si charmants et puis qui se droguent, se suicident, ont un cancer, partent, Beth qui a honte de sa mère et voudrait comme Athéna être sortie du cerveau de son père, des amours qui se font et se défont, Charles qui réfléchit en tant que Noir aux problèmes raciaux en Amérique, Leonid qui songe à son pays natal, au communisme, à Tchernobyl et ses victimes, à son exil et sa famille restée là-bas, l'holocauste. La destruction est sans cesse à l'oeuvre, rend dérisoires les prétentions des intellectuels, Sean est un romancier célèbre mais secrètement c'est Patchouli qui l'intéresse, l'entraîne, un autre personnage s'en va sans cesse à des congrès, et sera absent quand son père mourra. Dans cette destruction à l'oeuvre, qui rend transitoire tout ce qui se construit, les personnages déjà partis reviennent dans les souvenirs, mère, père, grands-parents, copains ou copines d'enfance.
C'est dans ce contexte d'altération irrémédiable que la réunion de ces quelques amis prend tout son sens, tout son relief. Quelque chose d'intensément tragique, que chacun d'eux a désormais admis, par effet de l'âge, des difficultés rencontrées, des échecs, fait que, peut-être, ils inventent une autre façon d'être ensemble, fait qu'ils peuvent apprécier la qualité de ces instants présents, manger en oubliant les problèmes de boulimie et d'anorexie, parler de tout et de rien, se tolérer et en même temps ne pas se tolérer, être contradictoire comme Sean qui bougonne tout le temps mais apprécie la présence de ses amis. L'intensité de cette réunion d'amis ressort du fait que chacun sent qu'ils sont là, vraiment là aujourd'hui, et qu'ils seront séparés demain. Comme si c'était ces petits riens qui étaient importants. En se retrouvant avec ses amis, Sean prend congé, et chacun des amis réunis commence aussi à prendre congé, dans la vérité de ces quelques heures d'amitié.
Nancy Huston, d'une façon extraordinaire, nous laisse entendre ce qui, en vérité, est important dans la vie.

Alice Granger 

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