par Alice Granger
Editions P.O.L.
L'auteur est irrésistiblement attiré par l'Afrique, il va régulièrement vivre au Mali, parmi les Dogons, ethnie qui a su longtemps résister au monothéisme. L'Afrique comme sa dernière maison, comme sa première maison, amniotique, cet ailleurs rejoint, avec sa chaleur omniprésente, son vent enveloppant, ses tempêtes de sable, ce contact des corps, ses odeurs. Cette Afrique chaude qui répond au besoin d'ailleurs d'un Occidental, ce besoin de revenir au lieu matriciel du commencement.
Mais l'auteur se pose la question des ravages causés aux Africains par le tourisme culturel, infiniment plus dangereux que le tourisme tout court et sa loi de l'argent. Voici des Occidentaux qui, avec toute la bienveillance du monde, avec une tolérance infinie, viennent s'intéresser à ce qu'ils nomment la culture des Africains, ici des Dogons, des Occidentaux qui en tirent profit pour eux-mêmes, qui s'en enrichissent, mais sans jamais que l'essentiel soit changé pour eux, le tourisme culturel n'étant qu'une façon de varier sans fin un style de vie immuable, une façon de renouveler les choses dont ils jouissent sans jamais mettre en question cette boulimie de jouissance et l'ethnocide qui en résulte. Il n'est en effet pas du tout indifférent et innocent que les Africains, et en particulier dans ce livre les Dogons, se voient notifier par les Occidentaux comme une culture intéressante, alors que jusque-là ils vivaient, avec leurs rythmes, leurs coutumes, leurs traditions, sans que ce soit de la culture, celle-ci ne se mettant à exister que par l'intérêt des Occidentaux. Le chamboulement qui en résulte est immense. La vie des Africains, avec son organisation propre, devient de la culture aux yeux des touristes culturels qui savent ce qu'est de la culture. En même temps la vie de ces Africains est irrémédiablement dérangée, l'important c'est devenu d'être une culture intéressante pour une autre culture hégémonique qui a le pouvoir d'en décider, l'important n'est plus de vivre selon une organisation propre même si elle est ancienne. Les Dogons, qui ont su résister au monothéisme, qui savaient dans les siècles précédents qu'une sorte de résistance immunitaire était une question de vie ou de mort face à l'invasive colonisation culturelle même lorsqu'elle prend le visage de l'humanitaire, sauront-ils résister à ce nouveau tourisme culturel, alors que le christianisme catholique et protestant a déjà laissé chez eux des traces évidentes de dégâts ?
Au fil du séjour de l'auteur chez les Dogons, qui se sent chez lui chez eux dans cette chaleur amniotique et cette promiscuité corporelle amicale, nous le sentons peu à peu s'approcher de l'intolérable de cette situation dans l'ailleurs si irrésistiblement désiré et rejoint. A la fin, cette chaleur si omniprésente, si enveloppante, ce vent sur la peau, ce sable, deviennent presque intolérables, suggèrent un désir de sortir, de s'en séparer, de naître. L'auteur serait alors allé chercher en Afrique, chez les Dogons, non pas la culture exotique, mais les conditions d'un sevrage possible de quelque chose d'ancien, d'hors-mémoire sauf au niveau de la peau, du corps, des sensations. Le tourisme culturel ce serait le contraire, il servirait à n'avoir jamais à se sevrer, en multipliant à l'infini le renouvellement des sensations pour éviter l'intolérable d'une vie où tout baigne.
Ce livre est intéressant par le fait qu'il nous laisse entendre un peu de cette vérité qu'un Occidental va chercher en Afrique, qui rend plus ambiguë la notion de culture.
Alice Granger