par Alice Granger
Editions Grasset
Le personnage principal de ce beau roman est Andréa, un jeune prêtre sans charges autres que celles darpenter, à scooter, les rues de Paris, surtout la nuit, afin dêtre le récepteur de la voix perdue des hommes qui sadresse à lui sur le mode de la confession. Confesseur marginal de vies chaotiques, de rencontres de hasard, des lendemains mélancoliques du sexe, des vies qui ne savouent quà lui ratées, sans talent.
Tandis que les rues de Paris sont peu à peu envahies par un vent de sable venu du désert déposer ses dunes, accomplir sa désertification, Andréa admet finalement quil sest, pour lui-même, fourvoyé.
Au pays des commencements quil arpente de nuit, parabole orientée vers toutes ces voix solitaires disant la perte, le chaos, limpossibilité, Andréa est comme un frère avec tous les autres frères et surs, Ismalia une sur en particulier. Vu de chasteté prononcé en devenant prêtre, Mathilde quil aima une seule nuit à ce moment-là et qui symbolise son choix den revenir à un état fraternel des relations. Andréa sest égaré en croyant en un monde fraternel, lui frère compatissant à légard des autres frères et surs en souffrance au pays chaotique des commencements. Ce monde-là se recouvre de sable jaune venu du désert, il se désertifie au fur et à mesure quAndréa lui-même saperçoit de laltération irréversible des commencements, de cette grande maternelle de la nuit retenant les êtres en souffrance. Rien narrête la tempête de sable. Le prêtre Andréa, langélique frère, tellement à lécoute, ne peut rien contre la désertification à luvre dans les vies quil rencontre, et dans son désert à lui il y a bien quelques tentations.
Andréa na pas faim des autres, de même que ces autres nont pas faim de lui, il leur offre seulement à partager avec lui une sorte de maternelle fraternelle en voie densablement, dinvasion jaune. Il est prêtre, cet Andréa, mais si peu eucharistique, ce nest pas du corps à sincorporer symboliquement quil donne à manger, mais de la nostalgie, de léternisation chaotique. Sa mère, dans ce contexte-là, qui lappelle souvent. Et son frère Frédéric, pour qui tout baigne dans le monde des affaires.
Frères et surs dans la grande maternelle des rues nocturnes de Paris, confessions de ceux qui errent. Ainsi, ne semble-t-il pas quAndréa a soigneusement évité lenvie anthropophagique suscitée par son frère aîné Frédéric ? Lorsquils se rencontrent, les deux frères, Frédéric et Andréa, évitent de se dire lessentiel, cette haine-envie-jalousie de toujours. Frédéric nest pas envié-jalousé-incorporé symboliquement et eucharistiquement, il est substitué par les inoffensifs frères et surs de la nuit, qui confessent leurs errances, leurs impasses, leurs échecs, leur nostalgie plutôt quavoir un tel relief quils pourraient être enviés-dévorés.
Ce roman est celui du fourvoiement dAndréa, qui a cru pouvoir dénier, par une fraternisation de son existence, ce que son frère Frédéric suscitait chez lui, la haine-envie dincorporation pour être lui. Dans la voie de la dénégation, il a échoué, comme son ami peintre Milos qui lui avoue à la fin de sa vie navoir jamais eu de talent, à être un vrai peintre de la vie. Roman du refoulement de ce quelque chose de violent et doxymorique entre deux frères. Frédéric à son frère, par sa seule personne en relief, frère aîné : ceci est mon corps, prends et mange, ceci est mon sang, prends et boit. Andréa, le petit frère, entend très bien et devient prêtre, mais refoule cette violence anthropophagique, il refuse la supériorité de son frère, il refuse le repas pour tenter dêtre à la hauteur de ce frère dénié en allant faire bonne figure dange auprès des marginaux de la nuit, il fuit, il se fourvoie.
Alice Guitard-Granger