par Calciolari
En lisant La
pharmacie de Platon, texte paru en 1968 sur Tel Quel, n. 32 et 33, et puis dans La dissémination (Seuil, 1972), qui est peut-être lun des textes de Derrida le plus dense et le plus clair sur sa démarche philosophique, en tenant compte du chemin fait par le philosophe jusquici, il est question daffronter la difficulté de luvre pour rejoindre la simplicité de son chiffre.
Jacques Derrida écrit en ouverture de La pharmacie de Platon: un texte nest un texte que sil cache au premier regard, au premier venu, la loi de sa composition e la règle de son jeu. Un texte reste dailleurs toujours imperceptible. La loi et la règle ne sabritent pas dans linaccessible dun secret, simplement elles ne se livrent jamais, au présent, à rien quon puisse rigoureusement nommer une perception (La dissémination, 79).
Le texte nest pas encore écrit, et pour chacun cela concerne une restitution à faire. Aussi pour luvre de Jacques Derrida, aujourdhui considéré comme le philosophe le plus important parmi ses confrères. Que reste-t-il de son itinéraire, au-delà de la phallophorie sociale qui privilégie les personnages au mépris de leurs contributions? Le texte na pas daccès direct, pas de perception, et la question est posée, celle dun texte qui nest plus sous lemprise du présent, cest-à-dire dun texte sans plus dontologie. Point de mythologie de lêtre.
Dans La pharmacie
de Platon, Derrida lit les mythes fondateurs de lécriture. Puis il cherchera toujours à confirmer cette lecture, aussi avec La scène de lécriture, dans LÉcriture et la Différence (1967), en constitue un supplément. Justement, la question du supplément hante luvre de Derrida, pour quil serait question à nommer les paradoxes de la supplémentarité (81).
Quelle est lécriture quintervient dans le récit de Platon: une écriture du déjà écrit en tant que tout serait déjà tout dit? Telle est lécriture même de Jacques Derrida: A très peu près, nous avons déjà tout dit de ce que nous voulions dire, qui dit de Platon qui disait déjà dans le Phèdre que lécriture ne peut que (se) répéter, quelle signifie (semanei) toujours le même et quelle est un jeu (paidia) (81). Derrida écrit par force de jeu, au risque toujours et par essence de se perdre ainsi définitivement. Qui saura jamais telle disparition? (79). En écrivant les chances dêtre lu par le texte de Platon, Derrida parle des siennes. La dissimulation de la texture peut en tous cas mettre des siècles à défaire sa toile. Le fil du texte est caché. Et aucune lecture est valable: Derrida en fait le catalogue à prescrire, au point quaussi le supplément de lecture ou décriture doit être rigoureusement prescrit (80). Parce quil nest pas question den ajouter ou den rajouter, mais de lécriture même comme supplément.
Certes, lexpérience est de la parole et non du discours qui se pose en maître et contrôleur de la vie. Et de lexpérience, il ny a que le récit. La raison, comme théorise Jean-Pierre Faye, est raison narrative. Aussi de la science, comme de lécriture, il na que le récit. Donc, le récit est originaire, et même le récit qui cherche la mimésis complète est originaire, en tant que recherche toujours manquée de se poser comme copie. La répétition, aussi, nest pas du même: elle est une fonction originaire dans la parole, sans quelle soit la parole à se répéter. Ce nest pas le signifiant à se répéter, mais son fonctionnement en tant que le signifiant se divise de lui-même et diffère de lui-même.
Alors, lécriture du discours réalise ses prémisses logiques, ses postulats, de façon implacable, inéluctable, impitoyable.
Si la vie est ôtée de lécriture, ce sera lécriture de la mort, lécriture ontologique, celle de lêtre pour la mort. Cest pour cela que Jacques Derrida a pu dire: Rien de ce que je tente naurait été possible sans louverture des questions heideggériennes (Positions, 1972, p. 18), sans pour autant arriver à la reconnaissance de dette de Michel Haar: Nous devons tout à Heidegger (Cahier de lHerne. Heidegger, 1983).
Le texte de Platon, dans ce cas, est le Phèdre, et non ce qui est dit dans le Phèdre comme mythe de lécriture. Platon condamne lécriture du discours et lécriture originaire est celle du Phèdre. Nous pouvons lire aussi le texte de Platon comme négation de lécriture en tant que répétition du même, et en tant que telle comme appartenant au même discours, mais justement le Phèdre est originaire dans son indication dune autre piste à explorer pour lécriture. Platon, donc, explore les paradoxes de lécriture du discours.
Quelle est donc la matière de lécriture? Déjà évoquée au début du Phèdre, la Pharmacée (Pharmakeia) annonce lécriture comme pharmakon: Socrate compare à une drogue (pharmakon) les textes écrits que Phèdre a apporté avec lui (87). Derrida laisse toujours en grec le mot pharmakon et cest la question qui signifie soit remède soit poison, soit drogue soit médicament. Le pharmakon serait une substance [
] lanti-substance elle même: ce qui résiste à tout philosophème (87).
Pour lécriture du discours, et puis du logos, et enfin de lêtre, il ny a pas de matière mais de substance, qui est double. Cest-à-dire que la substance et lantisubstance, le remède et le poison, sont encore des caricatures de la matière, qui reste insubstancielle et insémiotisable.
Jacques Derrida élabore un supplément dune fabuleuse généalogie de lécriture (93), la même qui est de Socrate et quil attribue, avec un écart, à Platon. Cela se passe à travers le mythe de Theuth et de Thamous. Dun dieu lautre. Deux dieux. Un demi-dieu parlant au roi des dieux. Non pas Dieu. Mais, un dieu inférieur et un dieu supérieur.
Theuth propose lécriture à Thamous comme une « connaissance (to mathema) » pour la remémoration: mémoire aussi quinstruction ont trouvé leur pharmakon (Phèdre, 274 e). Et Jacques Derrida souligne: lécriture est proposée, présentée, déclarée comme un pharmakon (91), et en tant que telle est acceptée. Donc, pas de mémoire, mais remémoration. Cest comme pour le pharmakon, la question sera quelle est la bonne remémoration et quelle est la mauvaise.
Donc, deux dieux, comme plus tard dans le texte de Schreber, mais sans lironie inconciliable du président. Le dieu mineur et le dieu majeur (même infiniment mineur et infiniment majeur) sont ce qui reste de la tentative de ôter Dieu. Les dieux du polythéisme sont lhypotypose de la délégation à Dieu: ils sont les gardiens de limpossible mise à mort de Dieu. Et dans ce mythe, Theuth est fils du fils et Thamous est père du père. Ainsi, le père du logos nest pas le père dans lexpérience, nest pas le père dans la parole, dans sa fonction de nom. Et donc, selon Derrida: La spécificité de lécriture se rapporterait donc à labsence du père (95).
Lécriture du discours est lécriture du totem et du tabou. Lécriture de labsence du père est lécriture parricide, mais aussi matricide, sans le temps. Cest lécriture du même au même en passant par le même, sans lAutre.
Le totem par excellence est animal, selon Freud. Et alors, bien sur, pour Derrida: Le logos est
un zôon. Cet animal naît, croît, appartient à la physis. La linguistique, la logique, la dialectique et la zoologie ont partie liée (97).
A ce point, il ny a plus quun passage: de lhomme comme animal mortel dAristote à lécriture de la mort. Le dieu de lécriture est aussi, cela va de soi, le dieu même de la mort (113), jusquà occuper la place du mort (115).
Non pas toute lanalyse de Jacques Derrida va dans cette direction, par exemple: Le pharmakon et lécriture, cest donc bien toujours une question de vie ou de mort (130). Cependant, la vie reste un supplément de la mort. Cest une survie. Et apparemment, il ny a pas de sortie de la vie circulaire. Même dans un texte récent, Les états des lieux de la psychanalyse, Jacques Derrida ne trouve pas lau-delà de la pulsion de cruauté et il accepte le pharmakon, la dernière et plus petite goutte de sang, la dernière goutte de ciguë.
Les apparents oppositions, jusquau rêve de la conjonction des opposés, traversent aussi le texte de Jacques Derrida. Le bien et le mal, le dedans et le dehors, le vrai et le faux, lessence et lapparence, le vivant et le mort
et non seulement le pharmakon comme remède et poison. La philosophie, autrement dit, lontologie, se fonde sur la mort du deux et de la contradiction. Pour Héraclite: nous sommes et nous ne sommes pas et déjà par Parmenide: nous sommes, ayant perdu la contradiction et la négation, qui reviendra deux mille trois cents ans après avec Freud et le ver
de verdrängung, traduit à tort ou à raison en français avec refoulement. Cest-à-dire par linvention dun non-philosophe, quest plutôt un talmudiste hassidique, comme Sigmund Schlomo.
Le polythéisme se métamorphose de mythe en logos, et puis en système par Aristote. La mort du deux, la mort du un et la mort du tiers deviennent respectivement: le principe de non-contradiction, le principe didentité et le principe du tiers exclu. Et cela entraîne la mort du zéro, la mort de lesprit, la mort de Dieu, la mort de la matière, la mort de lécriture, la mort de la langue, la mort de la mémoire, la mort de la vie rongée à mort. Logique de la mort qui rebondie de la logique binaire de Boole à la chaîne signifiante de Lacan.
Certainement, sen apercevoir est à la portée de chacun, mais pas à celle de la logique du supplément, celle du pouvoir de la mort, de ladministrer: de la donner et de se la donner.
Il faut être absolument clair : la vie pour la philosophie est un cercle, une sphère, une chaîne, une ligne qui à linfini se rejoigne ; un ouroboros qui dévore sa queue. Et il suffit de dire quavec une telle ligne nous pouvons aussi aller dans le passé à tuer notre père avant dêtre généré, pour avoir un des plus grands logiciens de notre ère: Kurt Gödel.
Alors, tout en découle du postulat de mort: la série est sans sortie et le mouvement même de la vérité (aletheia) est déploiement du mnemè (131). Cest-à-dire, la mémoire du cercle de la fonction de mort. Heidegger est allé jusquà dire que lêtre même est circulaire.
Le supplément se révèle un déplacement fonctionnel: Lexcès mais peut-on encore lappeler ainsi? nest quun certain déplacement de la série (129). Le même rêve est nourrit par Lacan sous le nom de but de réel qui devrait venir dun signifiant nouveau dans la chaîne signifiante. Et le supplément du supplément (136), et ainsi de suite, appartient à la logique du supplément, qui est une algèbre, faite pour avoir des géomètres exécuteurs.
Le simulacre serait une imitation du vrai, du savoir absolu, et en fait, il substitue le souvenir et ses archives à la mémoire, loriginale et la copie à loriginaire, la prothèse à lorgane. Lhomme du cercle et du supplément est lhomme de la pseudo vie, il est lhomme prothèse. La marionnette. Larchétype: chaque type qui passe par originel est la copie impossible de loriginaire. Alors, le vrai est-il le répété de la répétition, le représenté présent dans la représentation (138), tout étant présence?
En ôtant le faire, le pragme, il y a lêtre et ses doubles et puis ses multiples. En ôtant la vie, il y a la présence et labsence de la mort, toute sa circulation. En outre, ces grandes oppositions semblent structurelles à la vie et cependant elles sont fantasmagoriques, tout en soulignant le « deux ». Le cercle est limpossible système du deux, il est sa couverture, qui est le retrait en Heidegger.
Jacques Derrida note que les « limites de lanthropos » viennent à partir de cette ambivalence zoopharmaceutiques du même pharmakon (148). Mais il maintient ces limites, en particulier : la double nature de lhomme. Et aujourdhui comme jadis pour la philosophie, le un se divise en deux. Lhomme double. Lanimal dans lanimal. Le vivant dans le vivant. La partie double, et puis multiple. Presque jamais perçue, par exemple, dans cette phrase: En nous cest lenfant qui a peur. Il ny aura plus de charlatans quand lenfant qui se «maintient au-dedans de nous» naura plus peur de la mort (150).
Louis Althusser affirmait déjà quen chacun de nous il y a un enfant pervers qui dicte sa loi, et en vain il a toujours cherché de se faire passer par la bonne enveloppe de lenfant innocent.
Il est aussi à noter que la négation du père, et donc de lautorité (rien à voir avec ses dénégations, telles lautoritarisme et lanti-autoritarisme), entraîne la création des comités : qui devraient fixer, ou moins, le limite pour le reste de la communauté. Cest ainsi, par exemple, que Umberto Eco établit les limites de linterprétation; et de même, linterprétation infinie est dictée par le même comité (de charlatans qui dénoncent toujours le charlatanisme de lAutre).
Jacques Derrida remarque que la ciguë na jamais eu dans le Phédon dautre nom que pharmakon, et il note aussi que la ciguë a un effet ontologique (157), mais il va à formaliser lui aussi la philosophie comme cette transmutation de la drogue en remède, du poison en contre-poison (156). Transmutation que dans luvre de Claude Lévi-Strauss va de la nature à la culture. Toujours lhominisation. Pas de transsubstantiation. Et cest pour cela que la philosophie lit encore et encore la théologie comme discours sur un théos grec. Pas dautre lecture de linstance du monothéisme.
Voici la formalisation du pharmakon fait par Jacques Derrida. Avant la dichotomie remède / poison, le pharmakon est lélément commun, au medium de toute dissociation possible (158). Et cependant, il est lélément pas tout à fait commun, qui dans sa particularité entre dans la parole jusquà rejoindre sa singularité de cas.
Derrida donne son statut à la « différance », au propulseur de son ontologie, quil va distinguer de la différence, en disant que :
le pharmakon est le mouvement, le lieu et le jeu (la production) de la différence. Il est la différance de la différence. Il tient en réserve, dans son ombre et sa veille indécises, les différents et les différends que la discrimination viendra y découper. Les contradictions et les couples dopposés senlèvent sur le fond de cette réserve diacritique et différante. Déjà différante, cette réserve, pour «précéder» lopposition des effets différents, pour précéder les différences comme effets, na donc pas la simplicité ponctuelle dune coincidentia
oppositorum. A ce fonds la dialectique vient puiser ses philosophèmes. Le pharmakon, sans rien être par lui-même, les excède toujours comme leur fonds sans fond. Il se tient toujours en réserve bien quil nait pas de profondeur fondamentale ni dultime localité. Nous allons le voir se promettre à linfini et séchapper toujours par des portes dérobées, brillantes comme des miroirs et ouvertes sur un labyrinthe. Cest aussi cette réserve darrière-fond que nous appelons la pharmacie (158-159).
Ce pharmakon est
un lieu, paradoxale (fonds sans fond) qui est toute une pharmacie, et qui a dautres noms en dautres théories. Certes, il va de la caverne platonicienne jusquau retrait (de lêtre) de Heidegger et puis jusquau trésor des signifiants ontologiques de Lacan. Cest un lieu fermé, bouclé sur soi-même, et lorsquil séchappe sest pour un labyrinthe. Pas de paradis. Les choses ne procéderaient pas de louverture originaire mais de la couverture à percer, comme dans le texte de Heidegger: par désobstruction, par déconstruction, par destruction, par strip-tease. Et de la brèche de la couverture qui reste aussi la différance de la différence vient : lêtre pour la mort, le sujet à la mort, lécriture de la mort, le discours de la mort, la mort du père, la mort du fils, la mort de lesprit, la mort de la matière, la mort de la mère, la mort de lAutre, la mort de Dieu
la mort en toutes ses sauces.
Où Derrida place la différance, là il y a louverture originaire, le deux, et non plus le un qui par découpage produirait les couples des oppositions.
Cest de la croyance dans la couverture qui procède celle dans la déconstruction. Pas de surprise, aujourdhui, que le mot soit la traduction proposée par Derrida du mot heideggérien abbau. Et à plus fort raison, là où la « déconstruction » nest pas du texte, mais de la vie. Dans le cas particulier du Phèdre, Derrida lit aussi le pharmakos (magicien, empoisonneur, bouc émissaire) à côté du pharmakon, ce qui nétait pas en Platon.
Donc, la « différance » est une figure impossible de louverture, de la relation, quaucune généalogie ou discrimination viendra à découper. Et si réserve il y a, elle est toujours réserve mentale : elle est la mentalisation de la logique et du pragme, et son nom est toujours « ontologie », malgré lexpérience ne réponde pas au principe de non contradiction, au principe didentité et au principe du tiers exclu.
En ce qui concerne la distinction entre pharmakon et pharmakos, ce dernier est aussi le dieu de lécriture en tant quil occupe la place du mort. Il est le délégué impuissant dun délégué puissant.
Scène : le délégué supérieur (le numéro « un » sans le zéro, sans lautorité) dit que lécriture est inefficace si elle nest pas garantie par lui-même, aujourdhui élu par un cercle de délégués, toujours dénonçant la mauvaise tromperie du vieux délégué pour lui opposer un autre nouveaux délégué. La dénonciation de lapparence, du simulacre, à lavantage de lêtre (qui est lavoir de ce système) correspond à la façon même de reproduire les humains et leur circulation. Et si certains segments de la série des « un », aussi parmi les derniers numéros un, se donnent des délégués inférieurs pour renverser la sorte du clan du délégué supérieur, cela participe à la même circulation. Rien à voir avec la vie à inventer chaque jour et chaque nuit.
La vérité de lêtre (tò on) et de « létant en sa figure » (168) comporte linterrogation sur la tromperie des images (querelle aussi de liconoclastie et de liconolâtrie), et la vérité qui est le non plus caché de la vie vient prise comme souvenir de la dimensions de la semblance (niée). Et toujours, lorsque la mort viendra, elle aura les yeux de la vérité.
Lécriture serait une pure répétition, donc une répétition morte [
] Répétition pure, répétition absolue, de soi, mais de soi comme renvoi déjà et répétition, répétition du signifiant, répétition nulle ou annulatrice, répétition de mort, cest tout un. Lécriture nest pas la répétition vivante du vivant (169).
À cet égard, la trace mnémonique de Freud est encore en dette avec cette écriture circulaire de la remémoration, au point que Lacan formalise ce cercle magique et hypnotique comme chaîne signifiante. Seulement dun nouveau signifiant viendrait un but de réel, qui ne sera rien dautre quun supplément de circularité.
Encore en relation avec la vie et la mort, il ny a pas dopposition ou de division entre la mémoire vive de la parole et la mémoire morte de lécriture : les deux sont dans le registre de la remémoration. Autrement dit, de la fausse mémoire. Toutes les deux sont ontologiques, circulaires, excluent le faire. Soit le souvenir primaire de la mémoire soit le souvenir secondaire de la remémoration ôtent loriginaire, la mémoire en acte, la trace de lexpérience et non du discours.
La vérité. Aletheia, rien nest plus létal, cest-à-dire voué à loubli. Il ny a plus rien à cacher : cest laphorisme de louverture qui dissoudre chaque couverture.
Dautre part, seulement en ôtant loriginaire, il surgit le système de loriginale et des copies; et loriginal est déjà fantasme, ou bien copie de copie. Le duplicata impossible est double, bon et méchant, pendant que loriginaire ne se laisse pas accrocher à larbre du bien et du mal.
Chaque élément est incodifiable, indécidable, insignifiable, incommune, non
seulement le pharmakon. Il ny a pas de bipartition du signe, malgré Saussure et Lacan, mais il y a tripartition fonctionnelle et non ontologique. Cest la leçon que nous tirons de lexpérience et de la confrontation avec le texte dArmando Verdiglione. Tandis que Jacques Derrida affirme toujours la dichotomie du signe lorsquil écrit: Le savoir ontologique est bien encore une force pharmaceutique opposée à une autre force pharmaceutique (172). Le discours est une pharmacomachie et son issue est la mort par empoisonnement à partir du jour de la naissance. Ainsi va le monde comme enclave de substances et de mentalités. Et il y en aura pour tout le monde, parce que: La pharmacie na pas de fond (185).
Pharma, coup. Cest le même étymon qui apparaît en latin comme forma, formule. Chaque coup appartient à la parole et non au sujet. Telle serait la liste des coups : de cur, de grâce, de tonnerre, de foudre, de froid, de chaud, de fortune
Chaque élément est un coup de dès, sans dieu majeur ou mineur qui arithmétise.
Chaque élément linguistique y a t il un élément qui ne soit pas de la parole pour lhomme ? entre dans la tripartition fonctionnelle du signe : comme nom, comme signifiant et comme Autre (aussi autre du nom et du signifiant). Nous pouvons dire que chaque élément entre dans la vie comme drogue ou nom (par déduction), comme pharmakon ou signifiant (par séduction) et comme Autre du nom et du signifiant (par abduction).
Le mot français médicament,
et aussi remède, perd létymon de pharmaco, quil y a par exemple en pharmacologie. Cela dit, la pharmacie intellectuelle est la fonction du signifiant, qui nest pas institutionnel, parce que divisé de lui-même et diffère de lui-même. La répétition est la fonction du signifiant, sans quil soit le signifiant à se répéter.
La droguerie et la pharmacie intellectuelles empêchent la croyance dans labsorption des psychodrogues et des psychopharmaques (néologisme plus précis de psycholeptiques).
Or, cest placer la pharmacie comme lieu, mouvement et production à la place de louverture à engendrer le célèbre artifice de lécriture de la mort et de sa vérité ontologique (187) chez Jacques Derrida. Cette économie de la mort va jusquà celle de la pulsion de mort, qui contre Freud reste toujours une administration (possible ou impossible) de la mort.
Écriture de la mort ? Platon écrit à partir de la mort du père (192). Lécriture est parricide (204). Telle écriture parricide et paratactique a comme son envers lécriture infanticide et paraphrastique. Les deux sont des écritures matricides, soit dans le sens de la mère que dans le sens de la matière. Cest le monde de linfini potentiel, celui de limpuissant Achille qui narrive jamais à dépasser la tortue.
Pour ne pas semer dans le sillon le droit chemin de Dante, qui ne tourne pas en rond la pharmacie de Derrida se trouve dans un livre qui a pour titre La dissémination. Or, la graine, la semence, la levure, la croissance, sont des propriétés de la fonction du père dans la parole. Et lécriture qui procède de labsence de père est vouée à la dissémination, à léparpillement et aussi à la propagation universitaire.
Quest-ce que la mort comme vérité ?. Cest lalgèbre de la négation de la vie originaire : une structure de suppléance telle que toutes les présences seront les suppléments substitués à lorigine absente (208). Cette origine absente, qui devient la différance comme origine présente, est toujours la négation de la parole originaire. La différance, disparition de la présence originaire, est à la fois la condition de possibilité et la condition dimpossibilité de la vérité (210). La possibilité et limpossibilité de la vérité sestompent dans labsence dabduction, parce que la conclusion est déjà donnée dans la prémisse.
Si le pharmakon habite louverture : on ne peut dans la pharmacie distinguer le remède du poison, le bien du mal, le vrai du faux, le dedans du dehors, le vital du mortel, le premier du second, etc : Pensé dans cette réversibilité originale, le pharmakon est le même précisément parce quil na pas didentité. Et le même (est) en supplément. Ou en différance. En écriture (211).
Le supplément sous le nom danalogon a été la pierre dachoppement de Jean-Paul Sartre à propos du simulacre, et pourquoi pas à propos du pharmakon, ayant poussé avec des drogues la recherche qui a aboutie à Limaginaire (1939). Et ceci cest une autre histoire.
La force de Jacques Derrida est celle davoir traversé et de traverser toujours chaque question, et de ne se tenir pas aux bribes qui sont le repas habituel de tout philosophe.
Peut-être que lécriture de Jacques Derrida est en partie un baume. Rendre vain le pharmakon comme balsamique (pour linstauration dune autre recherche et pour joindre dautres abords) pourrait enlever la terre sous les pieds et demander impérieusement labsorption de toute chose comme substance, bonne ou mauvaise, complètement réversible, pour se donner en spectacle - souvent avec admiration - aux premiers et aux derniers du civil gregge (troupeau civil), selon la définition dun ultraphilosophe devenu poète, lui aussi portant le nom de Jacques, Leopardi.
Giancarlo Calciolari