par Meleze
UN LIVRE A CUR OUVERT
Manzoni « les fiancés »
Imaginer une poitrine que vous ouvrez en deux. Vous en prélevez le cur comme faisaient autrefois les prêtres sacrificateurs. Il est là entre vos mains. Il bat. Et ses battements dépendent de la foi que vous placez dans lavenir du héros. Cest son histoire qui palpite maintenant entre vos mains. Faites un faux mouvement, relâchez votre attention un instant, le cur sarrête. Vous lavez tué avant de connaître la fin de lhistoire. Cest ainsi que se lit le livre de Manzoni « les fiancés » chef duvre classique de la littérature italienne.
Un livre a cur ouvert ! Nest-ce pas ainsi quon pourrait définir de nos jours tout ce qui se rattache à la littérature classique. Lhistoire de fiancés se déroule entre Lecco Milan et Bergame. Le héros parcoure tout à pied. Aujourdhui celui qui ferait le même chemin ne trouverait même pas un kilomètre de terre sur ce parcours tant ce périmètre est urbanisé, industrialisé. Le pied sur le goudron lui indiquerait, tout comme le cur ouvert par limagination la distance qui nous sépare de la littérature classique.
Après avoir ouvert ce roman jai eu la curiosité de me demander si Bernard Pivot lavait retenu parmi la liste des 100 livres des siècles quil fallait avoir lu pour passer lan 2000 en honnête homme. Jai eu lintense satisfaction de savoir que non, de savoir que souvent la vraie critique ne lisait pas les livres avec son cur, quelle avait ainsi des grilles danalyse, des systèmes de référence auxquels Manzoni avait échappé.
Dailleurs qui soccupe vraiment du cur en fait. Il bat, cest tout ce quon lui demande. En dehors du corps humain il serait mort. Il ne fonctionne bien que si on loublie. Manzoni a beau avoir donné son nom à des rues dans toutes les villes dItalie cest ce qui lui est arrivé de temps en temps.
Il faut reconnaître que certains épisodes de lhistoire des fiancés sont un peu invraisemblables (histoire de la conversion de lhomme sans nom). Ca tient au parti pris du roman historique ou Manzoni comme Stendhal conserve des épisodes de la chronique historique de base, même au prix de lennui. Il nempêche que son travail dans son ensemble, fortement inspiré de la Divine Comédie de Dante est passionnant. Il appartient à cette classe de la littérature ou les héros ont toute une série dépreuves à traverser pour se retrouver. Comme il sagit de fiançailles, entre des jeunes gens, évidemment très croyants et vierges, le psychanalyste verrait peut-être une signification symbolique aux différentes épreuves traversées par la virginité avant le mariage.
Mais pour ma part je préfère retenir lépisode du Lazaret, institution par laquelle la ville de Milan a, en 1629/30 enfermé ses fous, que je ne me rappelais pas non plus avoir été citée par Michel Foucault dans son « histoire de la folie à lâge classique ».
Donc Manzoni après avoir décrit lenfermement des fous et des pauvres fait arriver la peste au milieu de tous ces miséreux.
Et là je dis que cest un roman magnifiquement moderne. Au diable les modèles, les ressemblances, les influences, le découpage en classes sociales. Seule reste lépidémie et le courage dy faire face quand nous sommes comme ces héros du début du 17° siècle confronté à une autre épidémie le SIDA. Or, contrairement à eux nous ne voulons prendre la maladie à bras le corps et nous attendons que les laboratoires trouvent le remède miracle.
MELEZE
11/10/2002