par Meleze
Dans cet article je me propose d'utiliser la Théorie de la Justice de John Rawles pour montrer comment l'abandon de la reforme de la magistrature en France en janvier 2000 est une victoire de LA CORRUPTION.
Cet écrivain américain, John Rawles, a une pensée de type socratique avec plusieurs briques qui s'ajoutent les unes aux autres. Son uvre s'étend sur plus de 3O ans, de 1970 à nos jours. La référence à Socrate est d'ailleurs revendiquée par lui-même comme une influence en droite ligne issue du dialogue même de Platon sur la République. S'il était question ici de chercher à réfuter John Rawles il faudrait passer par plusieurs étapes pour établir une conclusion. Ca donnerait quelque chose comme:
1°) la définition d'une société inefficace
2°) le blocage des institutions
3°) le respect de soi et son contraire la honte de soi
Cependant, en pratique j'ai commencé à lire la " Théorie de la Justice" à cause du cas de la France. Quoique je ne sois pas du tout partisan de l'école utilitariste dont Rawles se réclame j'ai fini par penser quil était possible d'isoler le cas ou "les acteurs sociaux ne peuvent pas se mettre d'accord pour modifier la situation du système de justice".
La théorie de la Justice cherche à cerner la notion d'un « écart par rapport à l'optimum». C'est un écart de ce genre qu'on rencontre en France où les gens qui ne sont pas satisfait de leur justice veulent la changer. On peut alors se rapporter au contrat de base qui définit la justice, à la définition des contractants, pour y réfléchir.
Or, qu'est-ce qui est orignal dans Rawles?
C'est que la justice est décrite comme un contrat entre le peuple et ses représentants. C'est la première fois qu'on imagine un contrat de ce type. On emprunte la notion de contrat au monde de l'entreprise. On l'importe dans le domaine de la Justice. On écrit une théorie qui aurait du être interdite. Au mieux le livre de Rawles aurait du être conservé en américain, et censuré en France. Car, dans ce pays ou les deux premiers magistrats font l'objet d'une procédure d'examen, l'instabilité pratique de la justice en tant que contrat devient le cas d'école de cette théorie.
Dans le pays qui a vu naître le contrat social de Rousseau, contrat qui est passé entre les partis politiques d'une nation, l'idée qu'il puisse y avoir un 2° contrat fonctionnant cette fois entre les représentants et les représentés pour réaliser l'équité, cette idée va faire des ravages. On aura beau dire que Rawles est démodé, que son idée de contrat est virtuelle, qu'il ne faut pas prendre une théorie utilitaire au pied de la lettre en cherchant à s'en servir dans une situation sociale bien particulière, - alors qu'au contraire l'intérêt de ce qui est utilitaire c'est d'être utilisé-, la théorie de la justice marche à merveille.
Un contrat de justice résulte de l'égalité des citoyens devant la loi. Un contrat de justice n'a pas besoin d'institution. Il se comporte comme un contrat privé. Là où un contrat privé rapporterait de l'argent le contrat de justice rapporte le jugement et si le jugement n'est pas rendu c'est qu'il y a distorsion entre ce que les représentants avaient promis et ce qu'ils ont exécuté. Vous comprenez: pas besoin d'aller chercher midi à 14 h! pas besoin d'institutions, de ministères, de garde des Sceaux, de budget et d'une instruction si chargée d'histoires qu'il faut en moyenne 3 ans pour obtenir réparation. Le contrat de Rawles ne produit aucune institution, à ce point même qu'il n'est pas très réaliste sur les moyens qu'il donne à la justice pour être exécutée.
Par contre le contrat de Rawles enregistre de façon impitoyable toutes les dérives par rapport au sens de l'équité.
La théorie de Rawles fait l'histoire de la façon dont notre système a dégénéré. Si son livre est réputé pour être si difficile à lire c'est parce qu'il procède à l'envers. Il s'imagine de façon idéaliste que les sociétés anciennes sont moins justes que les sociétés modernes. De même il sous-entend que les sociétés modernes connaissent des progrès et en auraient enregistrés dans le domaine de la justice, comme dans les autres domaines.
Ainsi Rawles marche à l'envers dans le sens d'une société qui progresse vers la justice, alors que nous revivons l'époque de Socrate, l'époque d'un monde républicain finissant comme Athènes disparu sous les coups des macédoniens, après que notre système de justice s'est sans arrêt dégradé et que les forces sociales qui devaient en faire les réparations, n'y ayant pas réussi, sont obligées d'abandonner le système dont elles ont la charge, ouvert devant l'inconnu.
La justice ne progresse pas elle régresse.
Nous aurions bien voulu avoir recours à la théorie de la justice pour vous en montrer les progrès mais tout ce que nous y avons trouve c'est la preuve que les représentants du peuple n'exécutent pas leur mandat parce que toute la société dans son ensemble complice de la corruption trouve plus d'avantages à la marche vers l'injustice qu'elle n'en aurait à remettre le système à plat pour le réformer.
Dans sa théorie de la justice Rawles n'utilise cependant pas du tout le concept de la corruption, -comme si ça n'existait pas aux Etat-Unis - et je dois résoudre le point de savoir à quel moment du raisonnement je commence à m'en servir.
La définition de la corruption résulte de ce qu'il existe deux échelles fonctionnant l'une à cote de l'autre.
- la répartition des biens allant des pauvres au riches
- la réparation de la justice allant des représentants aux représentés
Voici comment Rawles présente ces deux échelles: le concept de justice dans l'économie politique
"Pour résumer, l'essentiel est que, en dépit des traits individualistes de la théorie de la justice comme équité, les deux principes de justice ne dépendent pas de manière contingente des désirs existants ou des conditions sociales présentes. Ainsi nous sommes capables d'en déduire une conception de la structure de base juste et de l'idéal personnel qui lui correspond, qui peuvent servir de critère pour évaluer les institutions et pour guider la direction générale du changement social."
"En supposant certains désirs généraux, comme le désir de biens sociaux premiers, et en prenant comme base l'accord qui serait conclu dans une situation initiale convenablement définie, nous pouvons parvenir à l'indépendance nécessaire vis à vis des circonstances existantes. La position originelle est caractérisée de façon à ce que l'unanimité soit possible; les réflexions de n'importe quel individu sont typiques de celle de tous. Il en va de même de tous les jugements bien pesés des citoyens d'une société bien ordonnée, dans laquelle s'exercent les principes de justice"( théorie de la justice édition du seuil 1995 ).
Normalement dans la lecture de Rawles, en 1971, aux Etat-Unis, les inégalités de la répartition des richesses créent des injustices que le contrat du peuple avec ses représentants va corriger. Aujourd'hui par contre vis à vis du même schéma d'analyse je vous demande d'introduire et d'approuver le concept de corruption. Car dans le cas de la France il y a une bonne vingtaine d'année nous vivons au contraire une situation dans laquelle le contrat de justice aggrave chaque jour la répartition des richesses issues du marché. Bien sûr le contrat de justice est virtuel et n'existe que dans la simulation théorique d'un auteur américain féru d'utilitarisme, mais nos réformateurs ont fait traduire son livre.
Nos réformateurs sont férus d'utilitarisme. Fondé sur l'économie politique et la théorie du libre échange, l'utilitarisme s'est étendu à de nombreux domaines de la société et de la morale, comme l'économie de l'éducation, l'écologie et le domaine de la justice. L'utilitarisme a connu des difficultés au moment où son créateur Stuart Mill fut réfuté par Marx dans la 2° moitié du 19°siècle. Mais il a eu son héros en la personne de Friedrich Hayek qui fuyant le nazisme est arrivé à Londres et a réussi par quelques formulations nouvelles à relancer le libéralisme économique qui est la seule doctrine en vigueur aujourd'hui. Le libéralisme économique trouve la corruption tout à fait conforme à sa morale. Il la considère comme transparente dans le système des prix. Selon le libéralisme ou sa version morale (qui a aussi fait, -je me le rappelle -, le sujet d'un brillant article dans le récent dictionnaire des sciences philosophiques et morales de Mme. Canto-Sperber) l'utilitarisme, un groupe illégal comme la maffia agit selon le système des prix en, d'une part maximisant son profit et, d'autre part en redistribuant ses bénéfices selon le code de l'honneur qui est comme je l'ai appris dans un autre livre récent, la deuxième loi du contrat de Rawles.
Voici le second principe de Rawles dont j'ai trouvé l'explication dans le commentaire de Pierre Lantz en intervention dans un colloque sur les usages et les abus de la notion de contrat:
"Les plus grandes espérances de ceux qui sont les mieux situés dans l'échelle sociale sont justes, si et seulement si, elles fonctionnent comme partie d'un arrangement qui améliore l'espérance des membres les moins avantagés de la société" Rawles 1971 éditions du Seuil page 75
Il existe donc de la façon la plus officielle au sommet du libéralisme qui se promène de Seattle à Davos en passant par les sommets dits G 8 une doctrine du contrat qui uniformise en une seule et même doctrine, les comportements légaux et les comportements illégaux, les bénéfices des maffias et ceux des groupes commerciaux, à cette restriction prête dite "la loi du maximin", que ces comportements améliorent (c'est-à-dire corrompent) la situation des plus défavorisés.
Ainsi tous les comportements mafieux sont conformes à cette loi et, devons nous le dire, les maffias russes toutes matinées de leur héritage égalitariste de l'époque antérieure ont eu plus que toutes autres le souci de la justice dans la répartition de leurs bénéfices. Il vaut mieux travailler dans la maffia russe que dans une autre maffia italienne, colombienne, chinoise, ou américaine mais, toutes au monde contribuent virtuellement au contrat de Justice entre tous les citoyens du monde puisque dans la version universaliste de Rawles il n'y a pas de raison de se limiter à des frontières nationales lorsque le libéralisme est l'idéologie dominante, pour actionner son modèle de la justice.
C'est à l'échelle du monde entier que les maffias et la corruption doivent être mesurées pour l'importante contribution qu'elles apportent à la civilisation. L'utilitarisme profite très largement du monde illégal dont il fait un des moteurs de notre évolution appelant de ses vux des empires arbitraires qui pourraient apparaître au 21° siècle fondé par les self made man ambitieux sur les modèles que le cinéma se plaît à créer, le plus célèbre d'entre eux anglais comme son idéologie, s'appelle James Bond.
Mercredi 9/02/2000
Mélèze.