par Meleze
La cause des livres - 2004
Exigence : Littérature avait déjà eu loccasion dintervenir pour le soutien de La cause des livres nouvel éditeur paru sur la place en 2003.
Cette maison dédition a eu la chance de rencontrer un nouvel auteur en 2004 M.Rozenbaumas dont je pense quil est vraiment intéressant de parler. Lécrivain suit ici le projet de J.J.Rousseau qui est de faire paraître « ses confessions » et il atteindrait son but de faire toucher du doigt loriginalité de son témoignage sil ne sétait pas laissé influencer par le modèle de lodyssée dHomère qui en fait déclenche les polémiques contre lui.
Ulysse au cours de son voyage fait face à toute une série de situations dont il se tire à son avantage. M.Rozenbaumas né en Lituanie fait la guerre du côté soviétique puis il est cadre dirigeant du régime lituanien. Dans ces deux situations scrutées dans les moindres détails par des historiens spécialisés, à la différence dUlysse qui na pas laissé de preuves derrière lui, il peut se faire attaquer soit par des lituaniens qui ont vécu la guerre du côté occidental soit par les opposants au régime communiste qui sont depuis revenus au pouvoir.
Vous voyez pourquoi le côté témoignage du livre de Rozenbaumas peut nuire à la réception de son message.
Alors quun publiciste italien Pierro Cittati grand spécialiste de LIliade et lOdyssée a prétendu au sujet de la sortie récente de son livre chez Gallimard « la pensée chatoyante » quaucune histoire humaine ne pouvait échapper à la prédestination dUlysse, le message que M. Rozenbaumas veut transmettre ne me parait pas du tout être homérien. Son livre est au contraire consacré à leffort quil fait pour se débarrasser de cet habit dUlysse rentrant à la maison après un grand voyage, de façon à accéder par une voie plus abstraite qui aurait pu être celles de personnages dans un roman, aux directions que sa vie lui a fait prendre. Des personnages dont on a construit la structure psychologique peuvent alors être mis à lépreuve.
Quest ce qui fait quun message nest pas homérien ? Pour moi cest la répétition. Ulysse ne se retrouve jamais deux fois dans la même situation tandis que dans sa biographie M Rozenbaumas décrit deux situations successives dont il se sort avec génie parce quil les a déjà vécues une première fois. Situez-vous dans la caverne avec le cyclope et vous saurez dinstinct que notre écrivain la rencontré deux fois, en tant que juif lorsquil séchappe de Lituanie pour ne pas connaître la décimation qui fut le sort de ses frères et surs, et en tant que gestionnaire de la Lituanie communiste dont il échappe avant que la serre du goulag ne se referme sur lui. Cest cette originalité quil ne faut pas laisser échapper.
Cet écrivain a exercé plusieurs métiers. Il a connu successivement des hauts et des bas. Il arrive en France, parvient presque au sommet de lentreprise et il y renonce par spinozisme en ouvrant un magasin de tailleur comme Spinoza possédait un magasin de tailleur doptique. Qui dans sa vie a choisi une activité artisanale comme Spinoza quand il a été condamné par le consistoire? Jadmire cela. Jadmire la résistance à largent à la civilisation de la consommation.
Enfin il y a le thème de la gloire militaire. Nous autres français, juifs ou non juifs, aimons beaucoup ce thème (voir par exemple les romans sur lEmpire de Patrick Rambaud), alors que notre histoire ne nous a plus donné de rêver de gloire militaire depuis 1918 sauf à avoir dans sa famille un héros de la résistance ce qui est très rare. Généralement nous connaissons plutôt des prisonniers ou des collaborateurs et cest ainsi que certains prétendent quil était naturel à la veille de la 2° guerre mondiale de ne pas pouvoir chausser ses lunettes de ne savoir a priori qui serait les bons et les mauvais.
On ne peut pas savoir ce quon aurait fait. Et tels que les risques de guerre se présentent aujourdhui dans le monde, -et ils sont nombreux- on nest pas non plus sur de ce quon fera.
Il nempêche quun homme comme cet écrivain lituanien a anticipé la destruction de sa famille par loccupation de la Lituanie par les allemands quil sest engagé du côté russe, quil a fait une guerre héroïque aux avant-postes de larmée rouge, par le froid et par la faim et quil est rentré chez lui en vainqueur. Je navais jamais lu auparavant le témoignage dun éclaireur de larmée russe. Il y a là cent pages qui se lisent dun coup et une amitié indéfectible de camarades de guerre qui se noue autour du projet de notre écrivain de gagner loccident, comme le fit plus tard Soljenitsyne pour sélever au-dessus de lopposition idéologique entre lest et louest.
MELEZE