par Meleze
Le thème principal du livre de Salinger, "l'Attrape-Coeur", est l'école buissonnière. C'est pourquoi j'y vois une direction dissuasive qui ne m'a pas plu à l'age 15 ans lorsque j'avais ce livre sous la main.
Pour moi, le fait de ne pas aller à l'école aurait été un tabou infranchissable. Telle est la principale remarque que m'inspire la relecture, 50 ans plus tard de ce livre. Le livre était dans la bibliothèque de mes parents autrefois. Je l'avais oublié jusqu'au jour où une émission de télévision consacrée à Le Clézio me l'a remis en mémoire. Le Clézio en fait un livre culte qui a déterminé sa vocation d'écrivain. Pour moi au contraire c'est plutôt du remplissage.
En dehors de ce tabou de l'école je n'y trouve plus grand chose. A l'école j'ai été battu, marginalisé. Je la détestais. Je bouffais du sucre en pagaille pour la supporter. Maintenant j'ai des dents dans un affreux état. J'en veux plutôt à Salinger d'avoir été dans des collèges privés que mes parents n'avaient pas les moyens de me payer. le but de son héros est de tout évidence différent du mien: le héros se distingue dans sa cavale de trois jours cherchant à dégager sa propre personnalité. J'essayais au contraire de me fondre et de m'intégrer au mieux possible. L'école n'était pas obligatoire au point que je n'ai jamais songé à la manquer, ou à y échapper. Mais j'y suis toujours revenu comme à la solution de sortie obligatoire bien qu'elle ne m'ait emmené nulle part. A Salinger je préférais Miller ou Kerouac qui ont tous les deux une vision idéaliste de la culture qui leur a parfois fait cruellement défaut au cours de leur vie.
Un développement du livre est cependant intéressant lorsqu'il s'interroge sur le modèle d'homme qu'il voudrait être et qui donc en général serait préférable aux américains que les males moyens sortant des universités
"On pouvait être sur que la plupart se marieraient avec des mecs complètement abrutis. Des mecs qui n'arrêtent pas de raconter combien leur foutue voiture fait de milles au gallon. Des mecs qui se vexent comme des mômes si on leur en met plein les narines au golf, ou même à un jeu stupide comme le ping-pong. Des mecs terriblement radins. Des mecs qui lisent jamais un bouquin. Des mecs super casse pieds".
Et franchement c'est ce que j'ai essayé d'être. Pour ne pas devenir un casse pied je me suis efforcé de me cultiver. Lorsque je rencontre une nouvelle personne et que je parviens au moyen de cette culture à éveiller son intérêt je m'efforce de lui faire comprendre ce qui m'inquiète en permanence dans le système dans lequel on vit. Je ne m'intéresse ni aux performances du sport ni à celle de ma voiture. Au total je ne suis pas tellement sociable. L'école dans laquelle j'ai bien passé 25 ans de ma vie m'a enseigné à me dédoubler. Je lui dois la facilité avec laquelle je supporte la solitude.
Le but de l'école , pour nous mettre d'accord Salinger et moi même, devrait être de donner à chacun des deux sexes le goût de l'autre plutôt que d'assumer on ne sait quelle fonction de reproduction sociale.
Mais il y a encore autre chose, car aujourd'hui, contrairement à hier je suis sensible aux sources de l'auteur. Kipling d'abord qui est sans contestation possible le maître d'oeuvre de l'attrape coeur qui demande toujours ce que font les canards de Central Park lorsque le lac est gelé exactement comme l'enfant d'éléphant énerve toute la gente animale en demandant obsessionnellement ce que "le crocodile mange pour son dîner". Karen Blixen ensuite, et là ce fut pour moi la surprise totale de constater qu'elle était tout en tête des goûts de l'Attrape-Coeur qui parvient même à s'abstraire du chahut dans une chambre d'interne en se concentrant sur "la ferme africaine". Ca c'est intéressant que nous autres français n'avions pas ce livre dans nos références enfantines .
Avons nous même quelque chose dans notre culture qui nous aide à affirmer nos goûts?
Mélèze