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L’intérieur du chien - Jacques Tournier
par penvins

Grasset 2003

Bon, je vais prendre le risque d'être profondément injuste, d'une exigence outrancière - qui dépasse les bornes, presque jalouse voire haineuse, revancharde - parce qu'après tout ce livre est un petit bijou, finement ciselé et tout et tout, mais c'est pour bien faire comprendre ce que je recherche, quelle est ma quête littéraire, après... libre à vous d'être ou de ne pas être d'accord. Ce serait même bien que vous ne soyez pas d'accord, qu'on puisse en discuter.

Comme il y a plusieurs niveaux de langue, il y a bien sûr plusieurs niveaux de littérature, le terme lui-même est ambigu et l'on peut aussi parler de registre, comme on parle de registre de langue mais cette ambiguïté sied bien au problème, en effet la littérature qui s'exprime ici se caractérise justement par sa recherche poétique, elle se veut de haut niveau. Est-ce que cela en fait pour autant une littérature intéressante, ou n'y a-t-il là qu'un bel objet bien travaillé mais sans âme? C'est la question que pose ce livre et à laquelle il n'est pas aisé de répondre.

De quoi s'agit-il? Jean vit seul dans une demi maison avec son chien Vendredi (Le chien de tous les Robinson Crusoë) lorsque l'on sonne au portail. Il ne répond pas. Il travaille à perdre la mémoire, à oublier Julia. On apprend que cette maison appartenait à deux frères ennemis qui l'avait séparée par un grand mur de brique et que Jean en occupe la partie gauche ( on peut peut-être y voir une allusion au cerveau gauche - celui de la raison - du contrôle de soi ) tandis que l'autre partie est à la fois un vieux débarras de mémoire et la tombe d'une espérance.

Cette langue-là est avant tout une langue de symboles - en ce sens elle se rapproche de la langue du rêve - celle de l'inconscient et c'est ce qui en fait l'intérêt - mais à la différence du rêve elle est sous la dépendance de la conscience, c'est une langue extrêmement maîtrisée, trop maîtrisée, le travail poétique qui est à l'œuvre ici est un travail d'architecture il ne pousse pas la langue dans ses retranchements, la langue est au contraire tout à fait banale, il joue à l'intérieur de cette langue ordinaire Dans une ténébreuse et profonde unité à composer une histoire où Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Ce qui devrait faire l'intérêt de cette histoire, c'est que Jacques Tournier nous y emmène dans cette formidable entreprise de recomposition de la mémoire qu'est le deuil, mais il fait semblant de croire que celui-ci sera fait lorsque chacun aura réimaginé la morte: "aucun cadavre ne revit, il faut le réinventer" et tout le travail de ce livre est dans cette double réinvention: Jean réinvente Julia, Agnès - sorte de double de Julia - réinvente Julia et disparaît avec elle laissant Jean enfin seul avec sa propre réinvention. Tout est bien qui finit bien dans le meilleurs des mondes, le deuil a bien eu lieu et le roman peut être refermé, Agnès emportant même avec elle les flacons (médicament/poison) dont se servait Julia - l'ambiguïté sur le médicament est cultivée (aux deux sens du terme!) on ne sait pas vraiment si Julia s'en est servi pour se soigner ou au contraire pour hâter sa mort.

Je suis sévère avec ce livre, sans doute suis-je passé à côté, sans doute relevait-il pour Jacques Tournier d'une exigence - nécessité impérieuse - que je n'y ai pas perçue. C'est comme si Tournier n'était pas allé au bout de son deuil, non pas celui de la mort de Julia, mais celui de son départ pour l'Amérique et de son aventure avec ce peintre américain auquel elle ne veut pas survivre. Le deuil n'est pas lorsque l'on s'enferme avec son image de la disparue, le deuil suppose que l'on accepte l'histoire de l'autre comme indépendante de la sienne or Jacques Tournier semble dire l'inverse: la seule histoire de Julia c'est celle que j'ai vécue avec elle. Pire si l'on voit dans Agnès un double de Julia qui disparaîtra à la fin du livre lorsque le deuil sera fait, on en arrive à : elle est partie avec son histoire et moi de son histoire je garde la vision que j'en ai eu! C'est un deuil certes, c'est aussi un refoulement, un refus d'accepter la réalité pour ce qu'elle fut. Même si Tournier tente ici de nous dire que Julia c'est à la fois celle qu'il a connue et celle qu'Agnès a connue, sa façon de fermer l'histoire en laissant chacun à son image me paraît relever plus de l'incantatoire que de la vie, plus du manuel de psychologie que de la réalité.

Si le texte échoue à aller au bout de ce qu'il prétend dire c'est qu'il ne remet rien en cause de la langue - de la représentation du monde - la violence de la mort semble n'avoir rien changé au monde, tout doit redevenir comme avant, de sorte que l'endeuillé qui s'est un moment mis à l'écart peut revenir sereinement parmi les vivants. Ce n'est pas ainsi que j'envisage la littérature - tout au contraire - mais on peut aimer cette façon de l'envisager, comme un baume, un cicatrisant, un anesthésique, libre à chacun...

Penvins
e-litterature.net©
17/03/2003

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