par penvins
Gallimard 1994 et 1998 Folio 1998
Comment venir à bout de la quadrature du cercle, faire entrer à l'université l'écrivain scandaleux, faire de son uvre un sujet d'étude tout en donnant des gages à l'autorité de tutelle que l'on ne tombera pas dans l'apologie du racisme, faire de Céline un sujet de scandale qui soit tout littéraire et n'ait rien à voir avec son antisémitisme.
Tartufferie dont Godard se fait le champion. Le vrai scandale de Céline serait celui de sa langue, le vrai scandale de Céline serait de tenter de nous faire d'admettre des idées que nous n'avons jamais eu!
Mais pour cela, pour que la démonstration fonctionne, il faut d'abord se débarrasser de l'homme. Céline n'est pas Destouches. Relisez bien cette phrase, elle est importante, elle vous permet d'entrer en littérature, celle dont Artaud disait qu'elle est cochonnerie, à partir de là Godard pourra étudier Céline, tourner autour de l'uvre, en disséquer le cadavre remarquablement.
Le scandale de Céline c'est qu'il redécouvre avec le français populaire les réalités du corps, qu'il fait entrer dans le domaine littéraire la maladie, la souffrance et la mort que la langue de l'écrit depuis trois siècles différente de celle de l'oral avait tenté d'oublier. Son "génie" serait d'avoir réintroduit dans la littérature française cette langue parlée par des hommes et par des femmes que leur éducation n'a pas habitués à faire silence sur leur corps.
Pourtant monsieur Godard vous ne passez pas loin de Louis Destouches lorsque vous soulignez que Mort à Crédit dénonce la plus grande des violences: la situation de l'enfant, sur qui tous ont pouvoir, non seulement les parents, les maîtres, les partons, mais le monde entier des adultes. et que tous les premiers romans de Céline sont empreints de cette culpabilité sans cause et qui se cherche des causes, au besoin s'en invente.
Céline est bien un homme qui souffre et qui souffre tellement qu'il peut considérer que la souffrance n'est pas un accident mais la fibre la plus profonde de la vie, qui imagine en lui sans répit la mort dans les replis de son corps et pour qui La vie se passe[...] à échapper aux menaces que d'autres hommes font peser sur vous.
Merde alors, on croirait que vous avez compris! Mais non si l'écriture que s'invente Céline peut se lire du côté du fantasme d'un corps qui a à défendre son intégrité contre les menaces de l'extérieur; celui du rapport au père[...]. vous vous esquivez, vous refusez d'aborder l'homme, vous savez bien que si vous alliez jusque là vous devriez admettre vous aussi que l'homme ne saurait être cette construction de l'esprit que la morale ne cesse de nous représenter, qu'il y a en lui des pulsions inavouables, alors les causes et les effets qui chez Céline ont abouti au racisme lui étaient propres, et donc ne nous concernent pas. et qu'Il est sans doute bon que, faute d'arriver à une explication définitive, il reste pour nous une part de mystère... on croit rêver!
Et dès lors vous allez vous employer à démontrer que le roman parce qu'il est pluriel, échappe à la caricature du moi social, qu'il exprime un moi profond incapable de dire le racisme avec la violence de l'être social et que ce n'est pas le racisme de Céline qui est le moteur de ses romans mais qu'au contraire ils ont en coupant les ponts avec tout réalisme ouvert la voie aux sous-produits que sont les pamphlets.
La démonstration est faite. Nous pouvons lire les romans qui sont de la vraie littérature, pas les pamphlets qui ne sont que des scories .
Ne reste plus qu'à dédouaner les romans de toute considération morale en plaçant la littérature dans le domaine de l'esthétique et que d'affirmer que celle-ci par nature rend grâce à l'humain qui est en nous. puis on invente un moi créateur que l'on distingue soigneusement de l'inconscient en tout cas freudien parce que je le verrais bien du côté de l'inconscient collectif de Jung votre moi créateur! et le tour est joué: L'auteur n'existe plus, Destouches n'a pas écrit l'oeuvre de Céline, c'est le "génie" qui a créé et non la souffrance de l'homme qui a appelé au secours les autres hommes.
Désolé monsieur Godard, je ne peux pas vous suivre sur ce terrain, en dépit de votre brillante analyse.
Penvins
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le 10/03/2002