par Xavier Lainé
Il faut aimer les mots
A Propos de José Luis Reina Palazon, Exotarium II, Le corps incertain, éditions L’arbre à Paroles
Sortir du corps comme dans un rêve et atteindre les rives incertaines que fréquentent nos songes. Quitter la terre, se défaire de toute matérialité pour entrer en communication avec le néant qui nous suit.
Un frémissement nous gagne à la lecture de ces mots, de ces vagues qui nous abordent, nous sabordent dans nos certitudes, nous entraînent, au-delà de nous-mêmes, à explorer les territoires du poème.
C’est un chant, un chant monté de la gorge et qui envahit tout l’espace sans rien forcer, une sublimation qui nous guide, nous ensorcelle de mots en mots pour nous faire descendre au plus près d’un Styx qui nous autoriserait à regarder aussi derrière nous, histoire de reconstituer notre fil amoureux.
Il faut aimer les mots pour ce qu’ils sont: le véhicule le plus sûr pour nos êtres éphémères.
Il faut aimer les mots, les traduire, les lire en langue gutturale, comme un chant lancé vers les étoiles.
Il faut aimer les mots, et la nuit qui les porte sous notre regard.
Il faut aimer les mots, la nuit et le monde qui nous porte:
“Il
y a la passion du monde
qui
nous fige
et
parcourt
comme
un vide tendu
l’ombre
du bonheur.”
Passion du monde, et des êtres, miracle de sagesse au détour du poème ciselé en langue commune, mais ô combien profonde.
Poursuite hagarde du bonheur qui nous fuit, parfois nous entraîne en subtiles caresses, pour mieux nous délaisser au bord d’un chemin creux.
Nous reste l’oubli comme unique refuge:
“Il
y a un hier
qui
est passage,
triomphe
de l’éphémère,
temps
fulgurant,
et ta mémoire
y
voit
la
passion de l’oubli,
lumière de ton esprit.”
On ne cesserait de lire et de relire ces mots ensorcelés. On ne pourrait plus quitter des yeux les pages, et la mélodie qui se trame entre les mots de mémoire et d’oubli. Quelque chose arrive qui est de l’ordre de la révélation. Mais peut-être, au fond, d’abord, révélation à notre propre sensibilité d’être. C’est à elle que s’adresse le poète en filigranes. Ses mots nous touchent parce qu’ils ont quelque chose qui tend à l’universel. Quelle qu’en soit la langue, sa musique nous émeut, nous entraîne, berce nos nuits écourtées de poètes écorchés vifs sur le brasier du monde.
Ne pas sombrer, la poésie comme main tendue par delà les frontières et les langues, geste de tendresse en direction des êtres de chair victimes consentantes du délire mondialisé. Où l’esprit pourrait-il encore se poser, se reposer dans ce monde, sinon sur la page amoureuse du poète? Quel refuge saurions-nous trouver enfin si de ses mots il ne nous montrait un chemin, étroit certes, mais un chemin vers une forme d’éveil à ce que nous sommes, d’éveil à la beauté négligée de l’univers d’où nous venons?
“L’aurore de ton esprit,
comme un vol taillé,
dans
ta foi glisse
et ardent désir est son éclat.”
Je ne pourrais ni ne saurais vous citer toutes les pépites étincelantes dans cette nuit d’août où je découvrais José Luis Reina Palazon. Nuit fraîche du Brabant Wallon, non loin de cette maison toute de poésie envahie et qui m’offrait le luxe de découvrir un chant qui sonne encore à mon oreille, et à mes yeux, quelques mois plus tard, quand enfin le temps volé à la nuit me ramène en ces rives.
Il y a là quelque chose qui relève de la transparence du cristal, quelque chose qui nous rapproche de ces milliers d’étoiles qui scintillent, comme autant de mondes inconnus à nos yeux, mais qui font pourtant partie du nôtre.
A chaque poète découvert, c’est à un émerveillement nouveau qu’il faut se préparer, sortir de sa tour pour suivre avec attention les lignes qui se succèdent, et bordent les rêves à venir.
Allez, et voyez, le territoire du poème est bien plus vaste que ce que les médias autorisés vous le disent. Ouvrez grand vos yeux, et observez encore ce qui nous vient: c’est une franche tendresse, un chatoiement du verbe, une douce récompense à notre curiosité:
“Rien ne rend son amour et sa solitude à l’âme:
le
flamboiement du vol ce sont des filaments retenus
par le regard nocturne du désir.
Personne
ne distingue les ombres de leur nom
et celui qui épie le hasard n’écoute que ses pleurs
dans
les ailes du temps.”
Que ces mots ouvrent notre curiosité plus largement encore, et nous rende attentifs à cette littérature délaissée, et pourtant aussi nécessaire que l’air que nous respirons.
La Burlière, Ferrages de Guilhempierre, Manosque, 6 octobre 2004
Xavier Lainé