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Je voudrais que quelqu’un m’attende quelquepart, Anna Gavalda
par Alice Granger

Editions Le Dilettante.

Quel beau style, ces nouvelles ! Maintes occasions de rire des trouvailles. Humour. Ecrivain de notre temps. Qui sait rendre les façons de parler de notre temps, en écrire le pittoresque et les impasses.
Un fil relie ces nouvelles. Pivot pour entendre : la nouvelle qui parle de l’IIG. Interruption involontaire de grossesse. La grossesse : attendre. Attendre un enfant, ne plus penser qu’à cela. Je voudrais être un enfant que quelqu’un attend. L’enfant est mort-né, à 6 mois de vie foetale. Quelqu’un ? Glissement entre la mère et ce quelqu’un.
Dans chacune des nouvelles, on peut retrouver quelque chose qui ne va pas jusqu’au bout. Ce qui est attendu meurt en quelque sorte au bout d’un certain temps. Ne bouge plus. N’est plus vraiment vivant. Comme l’amour chez un vieux couple. Comme ce rendez-vous à Saint-Germain-des-Prés avec un monsieur, qui n’aboutit à rien. Comme ces milliers de filles que cet homme a baisées et dont le visage non seulement n’existe plus, mais n’a jamais vraiment existé, n’est jamais venu à la lumière, n’a jamais vu le jour. La seule qui compte ne photographie que ses mains, la seule chose qui n’est pas déglinguée chez lui. On a l’impression qu’entre les hommes et les femmes, quand le sexe commence à être une sorte de but unique, ça commence à tourner court, ça avorte. Quelque chose avorte. Une jeune fille sur le parking du Milton voudrait mettre une pancarte autour de son cou avec, " je veux de l’amour ". Si vous me violez, je vous arrache les couilles. Sexe et section, ici. C’est fini. Pour eux et pour elle. Autre façon de dire que quelque chose ne peut aller jusqu’à son terme. Deux jeunes hommes dont l’un est de bonne famille vont un soir à une fête organisée pour que les enfants de ce milieu-là se rencontrent entre eux, et donc pour éviter qu’ils ramènent à la maison une Leïla ou une Hannah. Les deux jeunes se préoccupent d’avoir une voiture, un endroit idéal pour que la chose avec une fille puisse aller jusqu’au bout. La voiture est justement nommée "aspirateur à belette". De là à penser à l’avortement par aspiration, même si l’aspiration est à l’envers... Finalement c’est la luxueuse Jaguar du père du fils de bonne famille qui est empruntée ( le père est absent ). Bredouilles, les jeunes, aucune belette ne s’est laissée aspirer... Histoire avortée. Mais, sur la route du retour, un sanglier. Aile et phare enfoncés, sanglier cru mort qui est mis sur le siège arrière pour un futur festin. Cauchemar qui se poursuit plus fort : sanglier qui reprend vie. Les jeunes qui descendent précipitamment. Le sanglier enfermé. La voiture complètement saccagée. Les pompiers tirent. Le sang partout. Métaphore de l’avortement. L’intérieur saccagé et sanguinolent. Le sang aussi de l’accident sur l’autoroute provoqué par une fausse manoeuvre. Des vies foutues, dont celle du chauffard. Ma femme sait déjà qu’elle m’a perdu.
Même la dernière nouvelle, celle de la visite chez l’éditeur, raconte une belle histoire de premier livre peut-être accepté, et puis non. Cela ne va pas jusqu’à son terme.
Question qui se pose : comment quelqu’un peut-il attendre quelque part ? Encore une fois je trouve un brin de réponse chez Dante. Par l’allégorie. Béatrice attend Dante au Paradis parce qu’elle est une allégorie. Allégorie : dire autrement qu’en termes propres. Dans le livre, et à notre époque où le sexe est une affaire qui va vite ( même dans ses ratés ), il y a presque une question sur une espérée double attitude des femmes par rapport à cela. A portée de mains, et aussi séparée, en attente comme Béatrice au Paradis. Pas que ça.
Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part , se traite dans ce livre aussi sur le mode tu voudrais que je t’attende quelque part qu’une femme dirait à un poète. Pas seulement la femme à écrire, et le mari à la maison, qui n’y connaît rien. Lui aussi, poète.
Parce que toutes ces histoires avortent plus ou moins, et que certaines font discrètement apparaître quelque chose d’autre ( cette fille qui photographie les mains mais ne s’intéresse pas plus que ça au mec ) qui est peut-être de l’ordre de l’allégorie, on se demande si le caractère chaotique de notre temps ne serait pas la porte ouverte sur autre chose qui est espéré. A suivre.

Alice Granger

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