par penvins
1959 (La
table ronde)
réédition 2002, L’âge d’homme.
Semelles de vent, le titre évoque bien sûr Rimbaud, l’homme aux semelles de vent. Le roman raconte le périple d’un jeune homme pendant la dernière guerre, il est de toute évidence fortement autobiographique. Passé en Espagne au lendemain de la défaite parce qu’il ne supportait pas l’éthique de soumission geignarde et chevrotante, Laurent tente le passage au Portugal et se retrouve en prison. Libéré par la Croix Rouge il rejoindra l’Afrique du Nord et les Français Libres d’Alger. Il y trouvera des emmerdeurs rétrogrades, comprenant rien à la jeunesse et rejoindra en Libye la 1ere Division Française Libre, les hommes de de Gaulle. Mais la soif de fuite ne s’arrêtera pas là et Laurent parcourra tout le pourtour de la Méditerranée sans que l’on comprenne toujours très bien s’il est militaire ou civil comme ses parents le lui écriront plus tard.
Ce qui pousse ainsi Laurent à toujours partir ailleurs c’est une immense soif de vivre. Le prétexte en est Lolita (que dans son Journal Jacques d’Arribehaude appelle Guiguite) et à travers elle une autre formidable défaite, celle d’un enfant pauvre que la rencontre d’une jeune dorée a humilié. D’une certaine façon toute l’histoire de Laurent est là, dans cette humiliation. Dans son journal (Cher Picaro) J. d’Arribehaude raconte un guet-apens dont on retrouve ici l’image inversée, Laurent basculant dans un bassin un officier anglais dont il s’était fait le rival.
Ce roman est celui d’une génération comme ceux de J Kerouac ont pu l’être ou plutôt à l’inverse de ceux que furent pour la Beat generation les romans de Kerouac : le roman d’une errance hors de France, le roman d’un pays perdu et qui le sera pour toujours.
On comprend bien sûr pourquoi ce roman n’a pas eu de succès lorsqu’il est sorti en 1959. D’une certaine façon le mettre sur le devant de la scène c’était dire la douleur inacceptable et en même temps la vérité sur l’héroïsme de la France pendant la guerre. Chez d’Arribehaude il n’y a aucune mythification de la Résistance, la vérité est beaucoup plus prosaïque lorsque l’on a 17 ans. Et en même temps il y a une lucidité tant sur le nazisme que sur le communisme et une compassion vis à vis de ceux qui se sont trompés de bonne foi que l’on pratique rarement ailleurs. Sans pour autant que se trouvent jamais excusés les salauds ni les profiteurs de n’importe quel camp qu’ils soient.
L’ennemi, le vrai, Jacques d’Arribehaude l’appelle la connerie, la connerie des hommes pour ce pacifiste, c’est à la fois la guerre et toutes les formes d’embrigadement. S’il y a d’un côté les scouts du retour à la terre et à l’ordre moral pétainiste, il y a de l’autre le côté rampant et béni-oui-oui, catéchiste, puritain, puceau, gland, pompier d’élite des communistes russes et Bien pire qu’une nonne. […] Si convaincue d’avoir raison. Si désespérément et horriblement sincère. la conviction imbécile de cette jeune allemande au corps si bien fait pour l’amour mais décidément trop impossible avec ses discours. Jacques d’Arribehaude se fout de l’efficace et de l’utile des lendemains chantants communistes ou fascistes comme Ossip l’étudiant chargé de servir d’interprète au commissaire qui lui sert de guide en Dalmatie et qui ne comprend rien à la beauté de ce pays. Ce qui me tue, ici, c’est bien cette espèce de haine furieuse, frénétique, contre tout ce qui est charmant, beau, gracieux. dit Ossip.
Face à cette connerie ne reste à Laurent qu’une valeur
essentielle, la vie. Bene o male vivere e encora cio che ci
remane... c’est ce désir de vivre qui sera la colonne vertébrale de Jacques d’
Arribehaude, l’instinct de vie par dessus tout. Lorsque tout
est perdu, lorsque le paradis est perdu, Lolita mais aussi la France
de son enfance, il ne reste plus qu’à fuir pour tenter de la retrouver ailleurs, en Afrique par exemple, où J. d’Arribehaude s’extasiera devant l’innocence et le doux bonheur païen et qui lui fait écrire dans ce roman ces deux lignes inattendues :
Aljucen.
Esparragalejo. La Garovilla.
Villages
africains, tout blancs, endormis par la chaleur entre les collines.
De ce point de vue, les pages 34 et 35 de Semelles de Vent sont à lire avec une particulière attention, comme si elles donnaient la clé. Toujours J. d’Arribehaude, ainsi qu’il le raconte dans
son journal tente d’échapper au mythe d’une sexualité romantique, c’est sa quête. La figure de Lolita/Guiguite est bien sûr l’origine apparente de cette
fuite en avant qui alimente le roman et la vie de l’écrivain mais on y reconnaît surtout les marques de ce formidable instinct de vie : tout d’abord le refus de la répétition à l’identique de revoir les mêmes lieux, les mêmes visages, pour se coucher le soir dans le même lit.
On y entend le titre d’une nouvelle de J. London L’amour
de la vie, la nécessité d’affronter le monde : un cheminement long et difficile à travers les déserts du monde, le bonheur de l’amour : Il ne put résister au bonheur de s’y plonger. Au lieu du délassement espéré, la fatigue fondit sur lui, d’un coup l’anéantit. puis la féerie Un mélange fantastique de vert, d’orange, de rose une débauche éblouissante et magistrale, une féerie…
Après ce que l’on pourrait à juste titre voir comme une scène érotique vient la désillusion : Une image obsédante le guidait. […] Dormir. Sombrer dans le
sommeil comme dans la mort. S’engloutir. Et l’on peut
lire dans l’impossibilité du passage, la fermeture salutaire du chemin vers le paradis.
Laurent ne parviendra pas à traverser la frontière vers le Portugal, il sera conduit à la prison de Badajoz. C’est cette prison-là qui est le vrai danger au lieu de se trouver dans le paradis espéré il se retrouve dans les sombres profondeurs empestées du patio chico, celui dont il se méfiera si longtemps et qui l’emmènera sur les chemins du monde.
Ce livre est une formidable leçon de vie, un pied de nez à l’héroïsme et aux grandes idées dont le siècle dernier a tellement souffert qu’il était impossible d’en parler. Lisez ce livre. Faites-le lire, parce que la vie n’a rien a voir avec ce qu’on vous en a raconté.
Penvins
10/11/2003