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Enfance - Nathalie Sarraute
par Amélie Averlan

Gallimard 1983

 

 

Parler d'autobiographie semble aujourd'hui dépassé. Il faut pourtant prendre ce terme en compte, et se demander ce qui, au vingtième siècle, nous fait émettre des réticences à l'emploi de ce mot et du sens qu’il véhicule : auto-biographie ou l'écriture de soi. Qu'est-ce qui, au vingtième siècle, fait rompre avec le moi ? On ne peut étudier les auteurs du vingtième sans en passer par la psychanalyse et sa majesté le "moi" mis en question par Freud. Parler de « récit de vie » semble mieux convenir à ces auteurs nés après les théories freudiennes, remettant en cause la toute puissance et suprématie du moi. Des écrivains comme Nathalie Sarraute ne nous racontent pas l'histoire de leur vie. Il n'y a pas à proprement parler d'histoire à suivre dans Enfance, si ce n'est celle des lieux, des noms, des temps, des objets/choses, et surtout de la naissance de cet objet/livre suivant les sursauts de la mémoire.

 

« "- Alors, tu vas faire ça ? "Evoquer tes souvenirs d'enfance"...Comme ces mots te gênent, tu ne les aimes pas. Mais reconnais que ce sont les seuls mots qui conviennent. Tu veux "évoquer tes souvenirs"...il n'y a pas à tortiller, c'est bien ça.

- Oui, je n'y peux rien, ça me tente, je ne sais pas pourquoi... »(Enfance, Gallimard, p. 7.)

 

Deux voix ou deux voies sont inscrites. C'est déjà ce qui différencie Enfance des autres récits de vie. Il n'y a pas une histoire, mais bien deux histoires qui vont se tisser : celle des souvenirs et celle du livre à écrire. L'une provoque l'autre, et l'autre convoque la première, et, entre ces deux voix, le silence de forces émotionnelles et des sensations, la voie des sous-conversations tacites. Rousseau, dans Les Confessions, s'en remet à Dieu, le "souverain juge", se croyant fait comme aucun autre, il brandit le moi actif, celui qui pense et agit :

 

"Voilà ce que j'ai fait, ce que j'ai pensé, ce que je fus. J'ai dis le bien et le mal avec la même franchise."

 

Ce moi, c'est celui-là même qui est brisé chez Sarraute, qui s'en remet à un moi incertain du pourquoi de cette entreprise. Le récit s'écrit à partir des espaces et non du moi comme chez Rousseau. Les espaces, de la Russie à la France, de Moscou à Paris, d'Isovo à la rue Boissonade, construisent l'architecture d'Enfance. Les espaces sont aussi ceux des mots qui éveillent les souvenirs d'enfance, qui filent le récit et donnent naissance à l'écrivain.  L'enfance s'évoque par bribes de souvenirs et d'émotions  qui convoquent la mémoire et font avancer le récit par l'intermédiaire des deux voix inscrites. C’est bien un voyage qui s’écrit : celui des différents lieux de l’enfance, de ses différentes figures parentales, mais aussi du début à la fin d’un livre. Où s’arrête (l’)Enfance ? 

Au moment de prendre le Tramway toute seule,

 

« Soyez gentil, c’est la première fois que ‘la petite’ prend le tramway toute seule, rappelez-lui de descendre au coin du boulevard Saint-Germain… »(p. 276.)

 

Au moment où l’écrivain veut aller ailleurs, c’est-à-dire écrire à partir d’autres lieux que ceux d’ « Enfance » :

 

« Rassure-toi, j’ai fini, je ne t’entraînerai pas plus loin…

-          Pourquoi maintenant tout à coup, quand tu n’as pas craint de venir jusqu’ici ?

 

-         Je ne sais pas très bien… je n’en ai plus envie… je voudrais aller ailleurs… » (p. 277.)

 

 

 

Amélie Averlan

11.10.02

 

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