Hôtel Europa, Gianni Pirozzi
Il y a quelques mois, nous faisions sur ce site léloge dEureka Street, un ouvrage dans lequel le
talentueux auteur nord-irlandais Robert Mac Liam Wilson recourt à lhumour noir pour raconter la violence qui gangrène sa ville natale, Belfast. Dans Hôtel Europa, Gianni Pirozzi opte pour une méthode diamétralement opposée: celle de la description froide et réaliste. A la fois intrigue policière palpitante et travail de journaliste fouillé, ce polar prend aux tripes le lecteur, emporté par les relents asphyxiants et délétères qui se dégagent de latmosphère des quartiers ultra violents et mal famés de la capitale de lUlster. Du tout grand art!
Tout part d'un appel anonyme adressé au SRPJ de Rennes annonçant le décès mystérieux dune quadragénaire. Le lieutenant Rozenn se rend dans lappartement de la victime et y découvre une femme dont le visage est couvert de brûlures de cigarettes. Manifestement, Clara Torrès,
militante anti-FN et pro-IVG, s'est suicidée mais les plaies purulentes marquant sa peau sont luvre de personnes externes. Obsédé par le visage torturé de cette femme, Rozenn se jure de tout mettre en oeuvre pour confondre le ou les coupables.
Lenquête est menée tambour battant et présente rapidement des résultats: les auteurs des sévices savèrent être trois jeunes skinheads proches du Front national. Ces têtes brûlées ont agi pour le compte dun notable local désireux deffrayer la militante pro-IVG, qui menaçait de dévoiler une sombre histoire dinceste. Mais voilà: les trois extrémistes iront trop loin dans leur entreprise d'intimidation. Ils violeront, puis tortureront Clara Torrès, qui choisira de mettre fin à ses jours suite à ces actes barbares. Démasqués, deux des trois frontistes décident de fuir à Belfast, où ils ont noué des liens avec les milices paramilitaires protestantes, qui partagent le même penchant pour la violence queux. Rozenn décide alors denvoyer à leurs trousses un de ses anciens indics, Augusto Rinetti. Ce cabossé de la vie, qui a toujours eu des sympathies pour la lutte de libération nationale des nationalistes nord-irlandais, accepte dactiver son réseau auprès des volontaires de lIRA. Sensuivra une folle course poursuite à travers les ghettos ultras de Belfast, en plein été, au plus fort de la saison des marches protestantes commémorant les victoires orangistes sur les papistes.
Gianni Pirozzi décrit avec beaucoup da propos et de talent les convulsions dune société gangrenée par une guerre civile fratricide et le désarrois des «combattants de la liberté» qui ne peuvent envisager de déposer les armes. Lauteur français sinspire, avec un sens de la documentation et de la précision remarquable, des «événements» qui ont déchiré lIrlande du Nord durant lété 1998. Notamment des vives tensions résultant de la volonté de lOrdre dOrange de défiler, comme de coutume, dans des quartiers catholiques de la bourgade de Portadown. Mais pour la première fois depuis des décennies, les unionistes protestants se virent refuser laccès aux zones catholiques. Considérant cette décision comme un camouflet infligé à leurs traditions séculaires et une concession inacceptable faite à leurs ennemis jurés républicains, les milices paramilitaires loyalistes orchestrèrent des émeutes et des démonstrations de force dans les quartiers populaires protestants des principales villes de lUlster, comme Shankill ou Sandy Row à Belfast. Cet été de feu a également été marqué par le tragique attentat dOmagh, revendiqué par un groupe de dissidents de lIRA. Cet acte reste à ce jour le plus sanglant 29 morts des Troubles.
Florent Cosandey, 25 mai 2006